Ménopause ou le troisième cycle de la femme

S’il reste vrai que la vie d’une femme est rythmée par ses variations hormonales, celles-ci ne sont plus nécessairement synonymes de mal-être. Le troisième cycle de la femme ne doit plus être considéré comme une fatalité.

 

Françoise Madaïla est sexologue en France. Actuellement, elle réalise une étude à Kinshasa sur la ménopause des femmes congolaises. Dans un entretien à Business et Finances, Dr Françoise Madaïla déclare d’emblée que la longévité féminine a une conséquence étonnante : « une femme, réglée en moyenne à 12 ans et ménopausée à 52, a ses règles pendant quarante ans… soit à peu près la moitié de son espérance de vie. Dans ces conditions, impossible de considérer que sa vie de femme commence à la puberté et s’arrête à la ménopause ». Ce serait faire bien peu de cas des quarante ans que couvrent ses périodes non fécondes, poursuit-elle. Voici pourquoi, depuis quelques années, la ménopause suscite l’intérêt des médecins et des femmes. « Celles-ci n’ont pas plus de troubles qu’autrefois, mais elles osent davantage en parler et ne sont plus disposées à subir une ménopause pénible, affirme-t-elle. C’est peut-être de la médecine de confort, mais au nom de quoi exigerait-on qu’une femme souffre lorsqu’on peut la soulager ? »

La prévention est là encore de mise. Même si la ménopause n’est pas une maladie, même si elle est un état naturel, elle est mieux vécue lorsqu’on s’en préoccupe tôt. « Après quarante ans, il faut faire faire un bilan sérieux », conseille cette sexologue. D’après elle, la ménopause ne se produit pas du jour au lendemain : « Une période transitoire de perturbations du cycle commence entre 42 et 50 ans. Elle peut durer quelques mois ou des années. Durant cette préménopause (ou périménopause), les ovaires fonctionnent irrégulièrement, s’arrêtent pendant un ou deux cycles, puis reprennent… Ce déclin de la fonction ovarienne crée un déséquilibre hormonal – trop d’œstrogènes par rapport à la progestérone – qui peut entraîner des malaises très voisins de ceux que ressentent certaines femmes avant leurs règles : seins gonflés et douloureux, nervosité, ballonnement, prise de poids… »

Cette phase de transition n’existe pas pour les femmes sous pilule contraceptive, dit-elle, puisque leurs ovaires sont depuis longtemps mis au repos. Elles ont par conséquent un équilibre hormonal, tout à fait artificiel certes, mais très confortable. « Récemment encore, explique Dr Françoise Madaïla, certains médecins faisaient arrêter la pilule aux femmes de plus de 40 ans. Aujourd’hui, compte tenu du fait qu’elle permet de passer sans encombre la période de préménopause, ils trouvent préférable de la poursuivre sous surveillance accrue. » Le bilan biologique (sucre, cholestérol, triglycérides) doit être bon, et la femme ne doit absolument pas fumer. Lorsqu’elle s’approche de la cinquantaine, on lui demande d’arrêter la pilule durant deux ou trois mois.

Fenêtre thérapeutique

« Cette fenêtre thérapeutique permet de voir si elle a encore des cycles réguliers, auquel cas on lui prescrit une pilule, ou si elle est près de la ménopause. Dans ce cas-là, il vaut mieux remplacer la pilule par un traitement spécifique dont les hormones, dosées beaucoup plus faiblement, sont préférables à un âge où le risque d’accident cardiovasculaire augmente », explique Dr Madaïla. Il est du reste superflu de poursuivre une contraception efficace à 100 % à un âge où la fécondité est très basse. Entre 40 et 44 ans, une femme sur sept attend un enfant dans l’année si elle a des rapports réguliers sans précautions. Le chiffre tombe à une femme sur cinquante après 44 ans.

« À 47 ans, estime Dr Madaïla, une femme sans contraception n’a pas plus de risques de devenir enceinte qu’une femme de 30 ans avec un stérilet. Cela étant, il est prudent de maintenir une contraception jusqu’à la ménopause confirmée, à la fois pour éviter toute grossesse inattendue et pour des raisons psychologiques : l’arrêt de la contraception peut être vécu comme une mise hors circuit prématurée, qui s’ajoute aux autres craintes de la femme. » Effectivement, bien qu’on montre de plus en plus de « jeunes mères » de 40 ans, bien que les hyper-battantes soient souvent des femmes plus que mûres, il demeure dans l’inconscient collectif l’idée que l’âge est une malédiction.

« Les femmes entre 40 et 50 ans viennent en consultation pour se préparer le mieux possible à leur retour d’âge. Elles ont surtout besoin d’information. En cas de malaises importants, on peut leur proscrire de la progestérone pour compenser l’excès d’œstrogènes, mais beaucoup plus souvent la consultation est l’occasion de faire un état des lieux. » Toute femme devrait d’ailleurs avoir un examen gynécologique annuel. Celui-ci permet de diagnostiquer des anomalies sans gravité – fibromes, « boules » dans les seins -, et surtout, de dépister un cancer du sein ou de l’utérus à ses débuts.

Quand on sait que la fréquence de ces cancers augmente avec l’âge, mais que traités au tout début ils guérissent dans plus de 80 % des cas (sein) et 100 % (col de l’utérus), la surveillance annuelle est parfaitement justifiée. La consultation est aussi l’occasion de faire un bilan de ses habitudes de vie. Le déséquilibre hormonal modifiant l’équilibre lipidique (les graisses dans le sang) et le métabolisme des graisses, il devient plus facile de prendre des kilos superflus et plus difficile de les perdre.

Cela ne signifie pas qu’il faille s’astreindre à un régime draconien comme veulent le faire croire certains médecins qui n’oseraient jamais proposer à leurs patients masculins et ventripotents de supprimer tout alcool et toute sucrerie, mais ne se privent pas de l’ordonner à des femmes encore sveltes ! En revanche, un rééquilibrage de l’alimentation est nécessaire si vous avez tendance à vous enrober.

La ménopause proprement dite est l’arrêt définitif des règles. Les ovaires ne produisent plus d’œstrogènes et ce déséquilibre hormonal, inverse de celui de la préménopause, se manifeste par des troubles plus ou moins diffus : bouffés de chaleur, dépression, insomnies ou encore sécheresse vaginale. Certaines femmes ignorent des problèmes. Selon Dr Françoise Madaïla, ces « bienheureuses » ont la chance d’avoir maintenu un taux d’œstrogènes suffisant grâce à l’activité de leurs glandes surrénales, qui prennent en quelque sorte le relais. À l’appui de cette hypothèse, la constatation que chez ces femmes, un traitement à base d’œstrogènes provoque tous les troubles caractéristiques de l’excès d’œstrogènes, preuve qu’elles en ont déjà suffisamment.

« À cette raison purement psychologique s’ajoutent des raisons personnelles et sociales. Il est évident qu’une femme vivant avec un compagnon qui l’aime, dans une atmosphère détendue, avec un métier passionnant et assez de temps et d’argent pour prendre soin d’elle, passe beaucoup mieux le cap que celle qui la vit comme un ultime abandon. » Cette sexologue dit qu’elle rencontre en consultation des femmes dont la vie entière a été placée sous le signe du dévouement :

« Elles se sont occupées de leur mari, de leurs enfants, mais jamais d’elles. Elles n’ont pas eu le temps de prendre soin de leur ligne, de leur peau, de leur moral. À cinquante ans, les enfants partis du foyer, le mari pris par son travail ou parfois parti avec une autre, elles ont l’impression d’avoir sacrifié leur beauté et leur jeunesse pour rien et de n’être plus d’aucune utilité. »

Elles ne le disent pas en ces termes et consultent car elles ont des insomnies ou des bouffées de chaleur, ou parce qu’elles craignent d’avoir « le cancer », mais en filigrane apparaît ce sentiment. Les antécédents médicaux, les avortements, les excès d’alcool ou de nourriture, le manque d’exercice, bref, tout ce qui a pu abîmer le corps dans sa jeunesse est aussi un obstacle à une ménopause réussie. « Si j’osais, je dirais presque que le bonheur à 50 ans se prépare dès 25 ans. C’est un peu le même problème pour les hommes : ceux qui vivent uniquement pour leur travail sans jamais prendre soin d’eux et s’interroger sur le sens de leur existence passent mal le cap de la retraite. » Mais si le malaise est social, à quoi sert de le médicaliser avec des traitements hormonaux ? Justement, pour remettre à leur juste place les problèmes physiologiques… et les autres.

Recréer l’équilibre rompu

Il existe en médecine classique comme en homéopathie des médicaments qui s’attaquent à tel ou tel symptôme de la ménopause : bouffées de chaleur, nervosité, jambes lourdes… Les femmes qui ne souffrent que de ceux-là s’en trouvent bien. L’ambition des traitements hormonaux est de recréer un cycle artificiel avec des doses d’hormones très faibles dites « physiologiques », afin de supprimer l’ensemble des manifestations de la ménopause. Le traitement s’adresse aux femmes qui passent mal le cap, sous réserve qu’elles n’aient aucunes contre-indications. Contre-indications absolues : cancer du sein, de l’utérus, de l’ovaire, phlébites récentes, hypertension artérielle non traitée, antécédents d’accidents cardio-vasculaires, diabète, hyperthyroïdie. Contre-indications relatives : tabagisme et/ou alcoolisme, phlébites anciennes, varices importantes, fibromes ou polypes. Cette liste impose au médecin – généraliste ou gynécologue – de faire un bilan de santé très complet de sa patiente avant de prescrire. Le traitement lui-même doit toujours comporter des œstrogènes et des progestatifs. Il a été en effet établi avec certitude que les traitements à base d’œstrogènes seuls augmentent le risque de cancer. Enfin, les premiers mois de traitement sont une phase de mise au point. « L’équilibre hormonal étant en effet différent pour chaque femme, il faut parfois modifier les doses, changer de types d’hormones, voir arrêter le traitement s’il est mal supporté. Lorsqu’il est bien suivi et bien supporté, le traitement supprime les malaises de la ménopause. Plus important encore : il diminue les risques d’ostéoporose (perte de substance osseuse liée au déficit hormonal) qui sont la cause de tant de fractures chez les femmes âgées. »

Les hommes aussi

Enfin, la ménopause se traduisant par une augmentation du risque cardio-vasculaire, on suppose que le traitement, en reconstituant le cycle féminin, a un effet protecteur. Une étude européenne a vérifié cette hypothèse. Cela étant les hormones ne sont pas omnipotentes. Si elles réussissent à faire disparaître les problèmes liés au déséquilibre hormonal, elles n’effaceront pas les difficultés personnelles et sociales.

Pour les hommes, une consultation d’andropause existe aussi. Les patients affluent. Des hommes de 50 ans ou plus, poussés par leurs femmes qui souhaitent qu’ils se prennent en main, ou venus spontanément en raison de problèmes variés insomnies, prise de poids, anxiété, problèmes sexuels… Le médecin fait un examen clinique, occasion de dépistage des cancers de la prostate, des testicules et du sein (eh oui, même chez les hommes !) et surtout occasion de faire découvrir à l’homme son appareil génital qu’il connaît souvent très mal. « Des dosages très fins montrent en effet que l’âge se traduit aussi chez l’homme par un déséquilibre hormonal. La diminution de la testostérone, moins spectaculaire que l’arrêt des œstrogènes chez la femme, joue cependant un rôle évident sur les troubles de la cinquantaine. Bien que, socialement, l’homme vieillissant soit moins dévalorisé que la femme, le succès des consultations montre que qu’il y avait là un réel besoin. Les hommes se rendent comptent qu’ils ne peuvent pas rester à la traîne de leurs compagnes qui ont décidé de vivre mieux toutes les étapes de leur existence. Le dynamisme féminin les insécurise, mais il les stimule aussi en les forçant à s’occuper d’eux. »