Mission quasi-impossible

La loi de finances de l’année 2016 s’inscrit dans l’optique de la poursuite de la mise en oeuvre du Programme gouvernemental de 2012. Elle a été élaborée dans un contexte particulier caractérisé, d’une part, par la baisse des cours des principales matières premières d’exportation du pays et, d’autre part, par l’organisation d’élections, ainsi que le découpage territorial.

Les députés ont voté la loi de finances.
Les députés ont voté la loi de finances.

Cette année, l’exercice paraît routinier. Le gouvernement attend des trois régies financières (la Direction générale des impôts, la Direction générales des douanes et accises ainsi que celle des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participation) des recettes courantes de l’ordre de 5 599,1 milliards de francs, soit environ 6 milliards de dollars. Dans ce montant, les recettes des douanes et accises (DGDA) représentent 2 579,9 milliards de francs contre 2 579,3 milliards de l’exercice 2015, soit un léger accroissement de 0,02 %. Ce réajustement est motivé par la capacité de leur mobilisation au cours des trois dernières années. Quant aux recettes des impôts, les assignations à la DGI sont fixées à 2 296 milliards contre 2 374,8 milliards en 2015, soit 3,3 % de régression à cause de la baisse des cours des principaux produits d’exportation du pays. Les recettes non fiscales, qui sont encadrées par la DGRAD, sont estimées à 723,2 milliards de francs contre 622,5 milliards en 2015, soit 16,2 % d’accroissement provenant essentiellement de la vente des licences des télécommunications et des effets d’entraînement de la nouvelle loi sur les hydrocarbures, notamment au titre de pas de porte.

Les assignations des recettes courantes aux régies financières reflètent la préoccupation du législateur dans la perspective de la mise en place de la chaîne de la recette. L’objectif est d’assurer la traçabilité et la fiabilité de l’information budgétaire en particulier, en classifiant les recettes par secteur d’activité, pour mieux appréhender le niveau des ressources publiques provenant de l’activité économique. Elles ont été également structurées de façon à catégoriser l’origine de la ressource et le bailleur, tout en améliorant l’information sur le service mobilisateur.

Cependant, des agents au sein de régies financières doutent que ces assignations soient atteintes, voire dépassées. Ces dernières années, les trois principales agences mobilisatrices ont réalisé des recettes qui n’ont pas été toujours à la hauteur des assignations. D’où l’appel du gouvernement pour éviter les écarts. À chaque évaluation des recettes, les principales régies financières se sont souvent placées en dessous du seuil. Elles ont souvent évoqué le fait qu’il est quasiment rare de voir les entreprises dépasser les assignations ni de les atteindre avec exactitude alors qu’elles peuvent aussi réaliser des recettes qui vont au-delà de ce que l’État attend d’elles, explique un inspecteur des impôts de la DGI. Mais il y a toujours des disparités entre les bénéfices réalisés par ces entreprises et le montant qu’elles sont censées encaisser.

La faible contribution des mines 

L’apport des mines au Trésor public est jugé très faible. Une centaine d’entreprises difficilement traçables opèrent dans ce secteur. Selon le rapport de l’ITIE-RDC 2013, quelque cinq sociétés contribuent au budget de l’État : Kamoto Copper Compagny (KCC), filiale du suisse Glencore en partenariat avec l’homme d’affaires israélien Dan Gertler. Suite à la conjoncture, Glencore a suspendu ses activités en République démocratique du Congo. Mais KCC contribuait le plus au budget à hauteur de 19 %, devant Tenke Fugurume Mining (TFM), une filiale de l’américain Freeport Mac Moran (13 %) ; Mutanda Mining (MUMI), une autre filiale de Glencore et de Dan Gertler (12 %). Mais depuis 2015, TFM paie l’impôt sur les bénéfices et les profits (IBP) après cinq ans d’exonération. D’où la polémique autour du code minier de 2002 dont la société civile ne cesse de réclamer à cor et à cri la révision.

Avec la conjoncture sur les marchés financiers, le budget 2016 risque d’en pâtir davantage. Le cours du cuivre est passé d’environ 7 000 dollars la tonne au début de l’année 2014 à 5 000 en août 2015. Le baril de pétrole brut s’est vendu à 47 dollars en août 2015 contre 110 au début de l’année. La République démocratique du Congo peut se targuer d’avoir titillé la barre symbolique de 1 million de tonnes de production de cuivre en 2013, surclassant du coup la Zambie voisine et de viser, à moyen terme, le million et demi. Mais en termes de recettes, ce n’est que du menu fretin, alors que le secteur minier est redevenu, depuis plus d’une décennie, le moteur de la croissance avec des productions de plus en plus croissantes. La chambre des mines de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) évalue à plus de 60 % la contribution du secteur extractif (mines et hydrocarbures) dans les recettes ordinaires de l’État, soit environ 2 milliards de dollars payés par les sociétés minières et les entreprises pétrolières. D’après la Banque centrale, les recettes générées par le secteur minier ont représenté respectivement 38 % et 41 % du total de recettes respectivement en 2013 et 2014. Pour ce qui est de la Direction générale des recettes administratives, domaniales et de participation (DGRAD), les apports des rubriques « autres recettes » et « pétroliers producteurs », ont représenté respectivement 11 % et 7 % de l’enveloppe totale. En 2013, ces recettes avaient atteint 14,6 % du Produit intérieur brut (PIB).

Les profits rapatriés par les miniers excèdent maintenant les entrées de capitaux grâce au code et aux contrats miniers considérés comme très libéraux. Ces profits rapatriés pourraient être, en 2019, trois fois plus importants, soit sept milliards de dollars pour seulement deux milliards d’entrée d’investissements directs étrangers (IDE). Les organisations de la société civile ne comprennent pas comment, avec une production de plus de 265 000 tonnes de cuivre, en janvier-mars 2015, le pays en soit à un budget de 7 milliards de dollars, auquel le secteur minier ne contribue qu’à hauteur de 10 %.

Pourtant qualifiés de porteurs de croissance, les secteurs des industries extractives, mines, forêt et hydrocarbures ne rapportent pas assez de recettes. Cette faible contribution est liée au laxisme qui gangrène les mines, lequel se manifeste notamment par des exonérations accordées aux entreprises minières. En dehors des opérateurs miniers, le ministère de tutelle est aussi épinglé pour la faiblesse des recettes du secteur, autour de 50 % de ses assignations.

Hydrocarbures, le ventre mou…

Les hydrocarbures sont l’un des secteurs les plus nébuleux de l’économie nationale. Ce secteur avait été soumis à un audit financier, mais l’on se rend à l’évidence que les pétroliers producteurs n’en font toujours qu’à leur tête. Ils réduisent ainsi l’État à un partenaire dormant, incapable de contre-vérifier ce que lui déclarent et versent les pétroliers producteurs. Cette année, l’État attend d’eux 175,8 milliards de francs contre 427,5 milliards en 2015, soit une régression de 58,9 % à cause essentiellement de la baisse du cours du baril de Brent, qui est passé de 100 dollars prévisionnels à moins de 50 sur le marché international. Selon le rapport ITIE-RDC, le secteur pétrolier a généré 446,8 millions de dollars au profit de l’État. Cinq sociétés (Lirex, Perenco Rep, Chevron ODS, Teikoku et Mioc) exploitent le pétrole sur le bassin côtier de l’Atlantique et contribuent le plus au budget.

La filière a aussi d’autres avantages qui ne sont pas toujours capitalisés, en l’occurrence les droits de vente de rapports, de cartes géologiques et des résultats de recherches géologiques et pétrolières, les redevances de superficialité sur le permis d’exploration et sur la concession, le bonus de renouvellement du permis d’exploration ainsi que celui de renouvellement de la concession. Il y a également le bonus de production, de la signature des conventions de pipeline, celle d’une convention d’implantation d’une raffinerie ou d’une industrie pétrochimique et du bonus de signature des contrats de fourniture du pétrole brut. Le manque à gagner est beaucoup plus considérable dans tous ces secteurs. Ce qui, d’ailleurs, fait que les régies n’arrivent pas à atteindre leurs assignations pour booster l’économie nationale.