Montée constante des crimes haineux aux États-Unis depuis 2000

L’extrême droite a manifesté à Washington. Heidi Beirich, l’experte des extrémismes, analyse les conséquences des événements de Charlottesville il y a un an, dans un entretien avec Isabelle Hanne.

UN AN, jour pour jour, après les violences de Charlottesville (en Virginie aux États-Unis), où une contre-manifestante avait trouvé la mort, écrasée par une voiture-bélier conduite par un néonazi, une nouvelle manifestation de nationalistes blancs était prévue dimanche 12 août à Washington DC. L’organisateur de cette deuxième édition du « Unite the Right rally » (rallye pour l’union de la droite), Jason Kessler, 34 ans, voulait que celle-ci se tienne comme l’an dernier, à Charlottesville, mais le permis lui a été refusé. Il l’a obtenu en revanche pour la capitale fédérale. 

Le rassemblement devait se tenir à Lafayette Square, en face de la Maison Blanche. Heidi Beirich, spécialiste des extrémismes, des suprémacistes blancs et du mouvement néoconfédéré au Southern Poverty Law Center, une association qui surveille les activités de l’extrême droite et des groupes haineux aux États-Unis, décrypte les conséquences de Charlottesville sur ces mouvements. 

À propos de Jason Kessler, l’organisateur de la manifestation du 1é août à Washington, et de la précédente à Charlottesville en 2017, Heidi Beirich souligne qu’il a un parcours étonnant. Jason Kessler a commencé son engagement politique à gauche, a voté démocrate et a même fait partie du mouvement Occupy Wall Street. Avant de faire une bascule spectaculaire à l’extrême droite. On le range aujourd’hui dans la catégorie des nationalistes blancs, qui considèrent que les Blancs, aux États-Unis, sont l’objet d’attaques croissantes. Il se voit comme le défenseur des droits civiques de l’homme blanc oublié, négligé par le système.

Après Charlottesville, fait remarquer l’experte, Jason Kessler est devenu un paria. Dans sa ville – il est originaire de Charlottesville où les habitants ont été traumatisés par les événements – mais également auprès des groupes d’extrême droite. Les conséquences du rassemblement de l’an dernier ont été extrêmement négatives pour eux. Beaucoup sont sous le coup de poursuites pénales ou de procès au civil, comme celui que leur intente la municipalité de Charlottesville. En plus, ils ont perdu leurs principaux moyens de financement : des plateformes comme PayPal ont supprimé leurs comptes, ne voulant plus être associés à ces mouvements de haine. Il ne leur reste guère que les bitcoins, l’argent liquide ou les chèques pour financer leurs activités. 

Après des années à fermer les yeux au nom de la liberté d’expression, de nombreuses entreprises de la tech commencent à agir : Twitter a fermé de nombreux comptes en amont du rassemblement de dimanche, par exemple. Sans compter ce qu’ils devront payer en frais d’avocat et en dommages et intérêts : Charlottesville a coûté très cher, dans tous les sens du terme, à l’alt-right. À leurs yeux, Jason Kessler incarne le rassemblement et ses conséquences.

D’après Heidi Beirich, il n’y a pas de nuances entre les différents groupes qui manifestent. « Ils sont globalement tous suprémacistes blancs. Certains sont plus antisémites, d’autres se définissent plus comme appartenant à l’alt-right, dans le but d’être vus comme une force politique… Mais leur point commun, c’est qu’ils pensent tous que le pays ne devrait être dirigé que par des Blancs », explique-t-elle.

Combien d’Américains représentent-ils réellement ? « C’est très difficile à dire. On peut tenter de le mesurer au nombre de crimes haineux, qui sont en constante augmentation [selon le FBI, ces actes criminels à motivation raciale ont augmenté de 11,7 % entre 2014 et 2016, ndlr]. On peut aussi compter le nombre de pages vues des principaux sites de l’alt-right, comme le Daily Stormer, un site néo-nazi qui compte 400 000 pages vues mensuelles. Pour le rassemblement à Charlottesville, les estimations varient de 500 à 1 500 manifestants d’extrême droite. »

Mouvements affaiblis

Charlottesville était censée montrer l’apothéose de ces groupes d’extrême droite, nationalistes, racistes, antisémites et suprémacistes… « Paradoxalement, les événements de Charlottesville ont affaibli ces mouvements. Les condamnations ont été internationales », fait remarquer l’experte. Et d’ajouter : « Richard Spencer, l’un des chefs de file des suprémacistes blancs (même s’il se définit comme identitaire ou nationaliste blanc), et également l’inventeur de l’expression «alternative right», a dû stopper sa tournée de conférences à travers le pays. Il était l’un des orateurs à Charlottesville, l’an dernier. Il fait d’ailleurs partie de ces figures de l’extrême droite qui se sont désolidarisées de la manifestation de dimanche ». Selon elle, plusieurs forums et sites d’extrême droite, comme le Daily Stormer, ont appelé leurs lecteurs à ne pas s’y rendre, considérant le désastre de l’an dernier, et voyant cette nouvelle manifestation comme un piège. Ces groupes sont aujourd’hui très divisés.

L’an dernier, les violences de Charlottesville ont pris les autorités par surprise. Heidi Beirich dit ne l’avoir pas été : « Non. On voit bien, depuis le début des années 2000, l’augmentation constante des crimes haineux aux Etats-Unis et du terrorisme intérieur, comme les actes de Dylann Roof [le tireur de l’église de Charleston, qui a tué neuf Afro-américains en juin 2015, ndlr]. Les forces de l’ordre de Charlottesville n’avaient pas pris la mesure de la situation, alors que tous les signaux étaient au rouge ». 

Et de poursuivre : « Par exemple, ils n’avaient rien fait pour séparer les cortèges d’extrême droite des contre-manifestants. Les policiers de Virginie n’étaient pas préparés à ce niveau de violence. Mais depuis, les autorités américaines ont tiré les leçons de Charlottesville, comme on l’a vu à d’autres rassemblements de l’extrême droite, notamment à Boston. »

Donald Trump, le président américain, avait rajouté de l’huile sur le feu en renvoyant dos à dos racistes et contre-manifestants antiracistes. Quels ont été les effets de sa rhétorique sur ces mouvements ? Heidi Beirich répond : « Elle n’a pas commencé au lendemain de Charlottesville. En disant des Mexicains qu’ils sont des «violeurs», en traitant les nations africaines de «pays de merde», ou en décidant de politiques anti-pays musulmans, ou anti-immigrés, il a légitimé et stimulé le mouvement. Aujourd’hui, la haine vient directement de la Maison Blanche ».