Optimisme des investisseurs étrangers, mais…

« Financer la croissance africaine à l’horizon 2023 : perception des investisseurs internationaux », tel est le titre d’une étude plutôt optimiste pour l’économie africaine qui vient de paraître. 

UN RAPPORT des Nations Unies sur les villes africaines mettait en relief un large consensus existant jusqu’ici sur la relation entre industrialisation, croissance économique et urbanisation. Mais l’exemple africain est venu perturber cette logique. À en croire la Banque africaine de développement (BAD), la dynamique économique africaine actuelle est le fruit d’une demande intérieure soutenue et de la mise en œuvre des grands projets dans le domaine très stratégique des infrastructures. 

En juillet, le baromètre d’Havas sur la perception des économies africaines à l’horizon 2023 a livré ses secrets. On retiendra utilement de cette étude de ce service conseil dédié aux pays émergents, d’abord, que 92 % des investisseurs internationaux interrogés dans cette étude ont réaffirmé leur optimisme. Par ailleurs, ils ont renouvelé leur confiance aux perspectives économiques de l’Afrique au cours des cinq prochaines années. En chiffres, 80 % des dirigeants sondés sont prêts à renforcer leurs investissements pendant cette période.

Les sondés étaient des dirigeants représentant environ cinquante groupes mondiaux qui opèrent dans plusieurs secteurs d’activité en Afrique. La meilleure perception de l’Afrique constatée dans cette étude est confortée par un rapport de la BAD signalant une nette augmentation des flux financiers externes à destination du continent. Ces flux financiers, selon l’institution financière africaine, sont passés à environ 180 milliards de dollars en 2017, dont 49 milliards constitués des investissements directs étrangers (IDE).

Le baromètre d’Havas souligne également l’optimisme des investisseurs à plus d’un titre. Concrètement, les dirigeants interrogés ont évoqué l’émergence d’une classe moyenne (58 %), l’amélioration du climat des affaires et des investissements (49 %) ainsi que le dynamisme démographique (47 %). D’autres dirigeants sondés, soit moins de 40 %, ont ajouté des critères comme la diversification économique croissante, les infrastructures, l’innovation et même l’urbanisation rapide.

Le Centre mal coté 

Si l’Afrique peut se prévaloir d’un regain d’intérêt indiscutable à l’international, l’enquête apporte une autre révélation plus alarmante sur les véritables centres d’intérêt. L’Afrique de l’Ouest et de l’Est ont attiré le plus d’investisseurs internationaux, soit 64 % des personnes interrogées. Des pays qui sortent du lot sont la Côte d’Ivoire (63 %), le Kenya (37 %), le Nigeria (39 %) et le Ghana (63 %). L’Afrique du Nord vient après, soit 38 % des sondés, devant l’Afrique australe, soit 31 % des sondés. En termes d’attractivité, les investisseurs internationaux ont plébiscité le Maroc, le Sénégal, l’Éthiopie, l’Égypte et le Rwanda.

Selon l’enquête d’Havas, l’Afrique centrale est mal cotée et risque même de perdre des investissements à court terme. En tout cas, c’est la seule sous-région du continent africain où les personnes interrogées, soit 20 %, ont souhaité davantage réduire leur volume d’investissement. « Sa perception pâtit des guerres civiles et de l’insécurité qui prévalent dans certains pays comme le Soudan ». 

La situation des industries en RDC

Pour le cas spécifique de la République démocratique du Congo, le baromètre d’Havas la classe parmi les pays les plus risqués de la région à cause des inerties découlant avant tout d’une instabilité politique chronique ou d’une situation sécuritaire préoccupante. En effet, 19 % des dirigeants considèrent le Nigeria, ce géant pétrolier de l’Afrique, comme un « pays risqué » du fait de sa forte dépendance au pétrole. Par contre, 63 % des personnes sondées ont préféré le Kenya pour sa grande résilience liée à la diversification de son économie. Qu’en est-il de la RDC ? Les enquêtes menées par l’Institut national de la statistique (INS) fournissent des données sur la répartition spatiale des industries, la répartition par branches d’activité et leur situation, la répartition selon la forme juridique, l’origine du capital social et la taille des effectifs. La production, le chiffre d’affaires et les effectifs de la main-d’œuvre.

Pour les enquêtes de 2013-2014, on observe des variations en rapport avec le total des unités industrielles. Par ailleurs, les profonds écarts et le manque de données constatés dans certaines branches sur la production et le chiffre d’affaires traduisent soit la rupture de collaboration des acteurs de la branche concernée, soit l’arrêt d’activité ou la fermeture des unités industrielles, ou encore la prise en compte des entreprises nouvellement identifiées.

Les données présentées proviennent du ministère de l’Industrie via la Cellule d’études et de planification industrielle (CEPI), de la Banque centrale du Congo (BCC), du Guichet unique de création des entreprises (GUCE) et de l’Agence nationale pour la promotion des investissements (ANAPI).

Selon la BAD, la classe moyenne africaine désigne l’ensemble de personnes gagnant entre 2 et 20 dollars par jour. Si l’augmentation de cette classe représente bien une nouveauté remarquable, les importants écarts qui la caractérisent traduisent bien la faible distance qui sépare la limite inférieure de cette classe de la limite supérieure de la précédente. Or, les hommes et les femmes dont le revenu est situé entre 2 et 4 dollars représentent près de 60 % de ce nouvel ensemble. Un rapport de la Standard Bank de 2014 intitulé « Comprendre la classe moyenne africaine » estime même que si la population des classes moyennes africaines est passée de 4,6 à près de 15 millions d’individus en 15 ans, 86 % des personnes concernées se situaient dans la catégorie des « faibles revenus ». 

La vulnérabilité de cette catégorie de population aux aléas économiques ou sanitaires est donc patente, le moindre accident ou événement défavorable pouvant signifier un basculement ou un retour dans la pauvreté. La population urbaine est par ailleurs à l’image de l’Afrique : jeune – comme il l’a été rappelé précédemment (20 % des Africains avaient, en 2012, entre 15 et 24 ans) – et surtout sous-employée. 

Certes, le taux de chômage officiellement affiché par le sous-continent pourrait paraître enviable : environ 6 % des sans-emploi. Toutefois, comme l’essentiel des statistiques africaines, celles du chômage sont généralement déficientes, voire erronées. 

Au mieux, elles ignorent la réalité du monde du travail en ne tenant pas compte des emplois précaires et du sous-emploi dans le secteur informel, dissimulant ainsi la faiblesse réelle du taux d’activité doublée de celle des niveaux de rémunération.

Selon un rapport de la Brookings Institution, « Les jeunes [africains] trouvent du travail, mais pas à des rémunérations correctes et sans la possibilité de perfectionner leurs compétences ou d’avoir une certaine sécurité de l’emploi ». Malgré un taux de croissance moyen de 4 % en 2013, plus de 70 % des jeunes africains vivraient en moyenne avec moins de 2 dollars par jour, soit le seuil de définition de la pauvreté. Il convient de ne pas se laisser abuser par ces moyennes purement statistiques, dont la définition tient davantage lieu de convention que d’indicateur réel de pauvreté, particulièrement en ville. 

Ainsi, ces niveaux ne prennent pas en compte les coûts supplémentaires auxquels doivent faire face les citadins par rapport aux habitants des campagnes. Comme l’explique fort bien S. Commins, « alors que les ruraux peuvent en général obtenir, dans leur environnement proche, du carburant, des matériaux de construction, des aliments, de l’eau etc., les habitants des villes, eux, doivent payer pour presque tous ces éléments. »

Par ailleurs, même en considérant que ce taux de 6 % de chômage soit proche de la réalité, celui-ci n’en demeure pas moins situé à 20 % au-dessus du taux mondial (5 %), alors que l’Afrique vient de connaître plus de dix ans de croissance quasi ininterrompue et qu’elle comptait, en 2012, six des dix économies dont la croissance avait été la plus élevée.

Cette fragilité des populations et du tissu économique de la plupart des villes africaines explique l’importance vitale qu’y occupe la satisfaction des besoins essentiels – l’approvisionnement en eau et en denrées alimentaires -, bien avant la fourniture en énergie, pourtant essentielle. Dans ce domaine, le manque ou la fragilité des infrastructures adéquates constitue là encore une ligne de faille d’importance vitale que la croissance urbaine de demain peut transformer en vecteur d’instabilité majeure.