Pas de succès pour les politiques publiques sans fonctionnaires compétents

Il existe plusieurs indices d’évaluation de la gouvernance des États. L’étalon de Mo Ibrahim mesure les éléments essentiels qu’un gouvernement (État) peut contrôler et non pas les données (par exemple, les taux de croissance) dépendant des facteurs qu’il ne maîtrise pas.

 

Cette année, le milliardaire anglo-soudanais Mo(hamed) Ibrahim, fondateur du premier opérateur téléphonique panafricain Celtel, réunira ce mois à Kigali les décideurs de demain. Cet événement « par et pour les Africains », selon lui, prévu pour prendre place pendant un week-end, réunira des personnalités du monde politique et des affaires. L’édition 2018 débutera le vendredi 27 avril par la cérémonie de la remise du prix (Mo Ibrahim) à Ellen Johnson Sirleaf, la présidente sortante du Liberia, récompensée pour avoir permis à son pays de vivre une transition démocratique pacifique. La fondation de ce philanthrope milliardaire publie chaque année un indice de la gouvernance des États et décerne, quand il le peut, le prix Mo Ibrahim à d’anciens présidents ou chefs de gouvernement africains, comme une sorte de prime de départ. Le prix (5 millions de dollars) est financé sur la fortune personnelle de Mo Ibrahim et s’accompagne d’une pension annuelle à vie de 200 000 dollars doublée si l’ex-dirigeant fonde une œuvre caritative.

En marge de cette soirée de remise de prix, il sera organisé un forum des jeunes. Objectif : discuter sur la gouvernance, le rôle de l’Union africaine et, surtout, les services publics. « Le sujet est rarement évoqué et pourtant, avec les risques climatiques, l’augmentation des inégalités, les États sont contraints de suivre de nouvelles feuilles de route. Or, il ne leur est possible de tenir leurs engagements si, et seulement si, des fonctionnaires compétents sont là pour les mettre en application », explique Nathalie Delapalme, directrice de la recherche à la fondation.

Après la vente de Celtel en 2005 (3,4 milliards de dollars), Mo Ibrahim a créé en 2006 la fondation qui porte son nom, avec pour mission : inciter à une meilleure gouvernance en Afrique et aider le continent à se débarrasser de ses dictateurs corrompus. Un an plus tard, la fondation inaugure le Prix Mo Ibrahim pour « un leadership d’excellence en Afrique ». Les lauréats sont Joaquim Chissano (ancien président du Mozambique, en 2007), Festus Mogae (ancien président du Botswana, en 2008), Pedro Pires (ancien président du Cap-Vert, en 2011). En 2009 et 2010, le comité n’a pas identifié de candidat à la hauteur de ses exigences. Le Prix récompense les chefs d’État ou de gouvernement africains, qui ont exceptionnellement amélioré la sécurité, la santé, l’éducation, le développement économique et les droits politiques dans leurs pays, et transféré démocratiquement leurs pouvoirs à leurs successeurs.

L’indice Mo Ibrahim

La Fondation publie l’indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine, qui établit un classement des performances réalisées par les 54 pays d’Afrique. Jusqu’en 2009, l’indice ne prenait en compte que les 48 pays de l’Afrique Subsaharienne. L’indice Mo Ibrahim est élaboré par une équipe de personnalités autour de 95 indicateurs. Il évalue objectivement la gouvernance des États sur la corruption, les droits de l’homme, la vie politique, l’enseignement, la santé… Un réseau d’experts recueille les données, telles que les statistiques gouvernementales, ou d’institutions internationales et d’ONG, complétées de sondages d’opinions. Les pays reçoivent ensuite une note sans complaisance (de 1 à 100 points) et font l’objet d’un classement.

Les pays les mieux placés pour leur gouvernance sont Maurice, le Botswana et Cap-Vert… La République démocratique du Congo se retrouve encore dans le peloton de queue. Son score le plus élevé est de 33 points en 2008, puis la baisse, avec une légère remontée en 2011.

Cet indice permet ainsi d’évaluer annuellement la qualité de la gouvernance pour chaque pays africain. D’après les experts de cette fondation, « l’Afrique avance, mais lentement et inégalement. » Dans l’analyse, ils ne considèrent que quatre variables essentielles explicatives de la qualité de la gouvernance dans un État ou une entité donnée. Un, la sécurité et la souveraineté du droit (la souveraineté, la redevabilité, la sécurité individuelle et la sécurité nationale). Deux, la participation et les droits de l’homme (la participation, les droits et la parité). Trois, le développement économique durable (la gestion publique, le climat des affaires, les infrastructures et l’agriculture). Quatre, le développement humain (la protection sociale, l’éducation et la santé).

Indices CPIA et PEFA

D’autres indices ou indicateurs permettent d’évaluer les politiques et les institutions par pays. C’est le cas de l’indice CPIA (Country Policy and Institutionnal Assessment) qui est une évaluation de la Banque mondiale visant à rendre compte du « degré de qualité des politiques suivies par les pays et de leurs dispositifs institutionnels ». L’indice CPIA évalue principalement la gestion macroéconomique, la politique fiscale et la politique d’endettement ; les politiques de commerce et d’intégration économique régionale, les finances publiques et le climat des affaires) ; les politiques d’inclusion et d’équité sociales (le genre, la gestion équitable des ressources publiques, les capacités des ressources humaines, l’emploi et la protection sociale, ainsi que la politique et les mécanismes de régulation de l’environnement).

L’indice CPIA évalue également la gestion du secteur public et des institutions (le respect des droits de propriété et …

des règles de gouvernance, la qualité budgétaire et de la gestion des finances publiques, le niveau de l’efficience dans la mobilisation des recettes, la qualité de l’administration publique et le niveau de transparence, de la redevabilité et de la corruption dans le secteur public). Il s’agit de mesurer l’impact du cadre politique et institutionnel dans pays sur la croissance durable et la réduction de la pauvreté, ainsi que sur l’utilisation efficace de l’aide au développement.

Par ailleurs, le PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability) est un indice de suivi et d’évaluation de la performance de la gestion des finances publiques dans le temps. Il a été mis en place en 2001 par la communauté internationale et s’applique à 200 pays dans le monde.

Il a été mis au point par les partenaires du Programme « Dépenses publique et responsabilité financière » (PEFA) en collaboration avec le Groupe sur la gestion des finances publiques du Comité d’aide au développement de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), afin de disposer d’un outil capable de fournir des données fiables sur la performance des systèmes, des procédures et des institutions de gestion des finances publiques. C’est un ensemble de 31 indicateurs relatifs à la crédibilité du budget, la couverture et la transparence budgétaire, mais aussi au cycle budgétaire et aux pratiques des bailleurs de fonds.

Il y a aussi l’indice ou l’indicateur global de santé économique des États africains. En application depuis 2011, cet indicateur intègre dans l’analyse quatre éléments essentiels (la qualité du climat des affaires, l’étendue et l’état des infrastructures, la qualité de la politique économique et financière, le niveau du bien-être et la qualité de vie de la population), outre le GCI (Global Competitivness Index), un produit du Forum économique mondial, l’IL (International Living), l’IBI et le CPIA.

Considérations des évaluateurs

Selon les différentes évaluations CPIA et PEFA, la gestion publique de la RDC en général demeure marquée par certaines pratiques contre-productrices par rapport à l’objectif de l’émergence économique. En effet, les évaluations de la Banque africaine de développement (BAD), de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) mettent en relief un réel déficit en matière de respect des droits, notamment du droit de propriété et des règles de gouvernance ; en matière de qualité budgétaire ainsi que de gestion des finances publiques, notamment l’efficience dans la mobilisation des recettes et l’efficacité de la politique fiscale, des normes de qualité dans l’administration publique et des principes de transparence, de redevabilité (l’obligation de rendre compte ou Accountability) et d’anticorruption dans le secteur public.

Malgré la nette amélioration du score au niveau de la matrice de gouvernance économique, de sérieuses inquiétudes demeurent quant à la mise en œuvre effective de la réforme structurelle en RDC. Par ailleurs, la gestion du secteur public et des institutions ne s’est guère améliorée, ce qui est un sérieux handicap dans l’amélioration de la note CPIA. Une évaluation PEFA a confirmé la tendance déjà observée par l’évaluation CPIA, comme quoi les performances en matière de gestion des finances publiques, selon la Banque mondiale, souffrent encore de certaines faiblesses résilientes. C’est dire que la RDC est encore dans la « zone rouge ».

Enfin, l’indicateur global de santé économique des États africains a confirmé le caractère encore très fragile de la croissance économique du pays et la faiblesse de la capacité de croissance actuelle à booster le développement durable. Comme pour les autres indices, cet indicateur place également la RDC dans les profondeurs du classement du Rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

En définitive, les experts pensent que les politiques macroéconomiques ainsi que les réformes structurelles et sectorielles amorcées jusque-là n’ont pas encore engagé véritablement le pays dans la voie du développement durable. Aussi, estiment-ils, il faut créer les « conditions propices » à la consolidation des acquis sur le plan économique et les « conditions indispensables » à la construction des bases solides pour une croissance plus inclusive à même de conduire le pays vers l’émergence et le développement durable. Dans cette perspective, la réforme et la modernisation de l’administration publique est la condition sine qua non.