Passeport biométrique ou quand la police dicte sa loi

Les demandeurs du passeport biométrique se plaignent des conditions entourant l’obtention de ce document, pourtant considéré sous d’autres cieux comme une pièce d’identité ordinaire.

Obtenir un passeport congolais équivaut à un parcours de combattant.
Obtenir un passeport congolais équivaut à un parcours de combattant.

Tôt le matin, vers six heures, l’entrée du centre de capture des données des demandeurs du passeport biométrique au ministère des Affaires étrangères commence à recevoir ses premiers clients. Certains viennent pour la première fois, d’autres pour renouveler l’ancien.  Petit à petit, une file se forme. Une heure après, elle devient très longue, compacte. Et chaque jour ouvrable, la même scène se répète à cet endroit. De nombreux requérants de passeport, hommes et femmes, envahissent ce lieu et attendent l’ouverture du portail pour accéder à l’intérieur de l’enclos du ministère, puis au bâtiment abritant le centre où se déroule habituellement l’opération de capture de données biométriques : empreintes digitales, photos, signature. Mais, l’attente sera longue pour certains et très courte pour d’autres.

Séraphin Lumaga Vena est l’un de ces requérants. Enseignant de carrière, la trentaine franchie, son visage trahit le chagrin à cause, confie-t-il, de la mauvaise expérience de la veille. Malgré tout, la patience et l’espoir sont de mise. ‘‘J’espère qu’aujourd’hui Dieu me fera grâce pour que je me fasse enregistrer’’, déclare l’enseignant. C’est en vain qu’il s’est déplacé dès l’aube depuis la commune de Mont Ngafula, située à l’ouest de Kinshasa. Il est rentré sans atteindre son objectif du jour. « Hier, je suis arrivé ici à six heures et quart, espérant être parmi les dix premiers. Quelle n’a pas été ma surprise de constater que près d’une centaine  d’autres candidats  m’avaient précédé !

Inutile de se décourager, car il faut consentir le même sacrifice  le jour suivant : se réveiller encore à cinq heures pour occuper l’une des dix premières places. À défaut de se déplacer tôt le matin, une autre solution possible : négocier avec les vendeurs ambulants squattant le voisinage du ministère pour se faire réserver une place.

Une règle non écrite

Il y a pire. Les policiers commis à la sécurité et positionnés à l’entrée du centre de capture se laissent soudoyer par certains demandeurs retardataires. « Si je savais qu’il fallait réserver un peu d’argent pour graisser la patte aux policiers placés à l’entrée, je n’aurais pas traîné deux jours de suite pour cette opération », regrette Séraphin Lumaga qui ajoute, plein de conviction, qu’assagi par l’expérience de la veille, « je me suis préparé en conséquence et espère être servi aujourd’hui’’.

À en croire ce dernier, tout demandeur de passeport doit, pour franchir le portail, se délester de 2 000 à 3 000 francs au profit des policiers. C’est une règle non écrite mais qui a force de loi. Ne pas y souscrire, c’est admettre de perdre sa place au profit du requérant qui se montre plus généreux.

Démonstration avec Séraphin : « c’était mon tour d’entrer ; le policier devant moi me barre le passage pour exiger son dû. C’est-à-dire 3 000 francs. Je lui dis que je n’avais rien. Il me somme de quitter le rang. Malgré mes supplications, il reste de marbre. Vite, je trouve une astuce : feindre de téléphoner. C’est alors qu’il m’appelle pour me demander dérisoirement 500 francs. Là, j’ai coopéré mais avec amertume ».

Autre témoignage : un couple, arrivé après 9 heures en compagnie de ses enfants, descend directement d’une 4×4 Fortuner ; sans se faire prier, le mari tend des billets de banque aux policiers qui les enfouissent dans leurs poches puis conduisent eux-mêmes la famille jusque dans la salle d’attente au grand dam des premiers arrivés.  Une observation : les policiers réservent des places dans la salle d’attente, puis les cèdent moyennant quelque pécule. En général, cinq dollars sont exigés. La devise serait : « Pas de paiement, pas d’accès au centre de capture ». Séraphin, arrivé dans la salle a attendu l’invitation près de deux heures, alors que ceux qui entrent après lui, usant des procédures illicites, sont vite conduits au centre de capture.

‘‘ J’ai pris mon courage à deux mains. J’ai tenté de suivre un monsieur qu’accompagnait un policier, mais je suis vite repéré et le policier me demande d’aller m’aligner à la queue hors l’enclos. Il est vite calmé par trois billets de mille francs congolais que je lui offre ». Plusieurs demandeurs de passeports se plaignent d’arriver tôt le matin pour n’être reçus que tard dans l’après-midi.

Attendre la durée d’une grossesse

Mis en circulation le 1er avril 2009 par le ministère des Affaires étrangères, sous la gestion d’Alexis Tambwe Mwamba, le passeport biométrique coûte officiellement 125 dollars à part les dix dollars du formulaire. En cas de livraison express, il est vendu à 250 dollars. En principe, le requérant devrait lui-même payer cet argent aux succursales de la Banque internationale pour l’Afrique au Congo (Biac) ou de Raw Bank situées dans l’enceinte du ministère des Affaires étrangères et ce, conformément à la note de perception établie par les services de la Direction générale des recettes administratives et domaniales (DGRAD).

Muni de la note de perception délivrée par l’une de ces banques, le demandeur du passeport biométrique se présente à l’Agence nationale du renseignement (ANR) pour identification. A ce stade, il devra débourser 10 dollars et présenter, outre la preuve de paiement d’une des banques précitées, sa carte d’électeur ou une attestation tenant lieu de carte d’identité.

Ce n’est qu’alors qu’il peut se présenter au ministère pour capture de ses données biométriques.  Dans la pratique, la réalité est tout autre. Le passeport biométrique est plutôt acheté à 200 voire 300 dollars.  Le requérant verse cette somme à un fonctionnaire véreux du ministère ou à quelqu’un ayant des entrées au ministère pour l’obtention du document dans un délai raisonnable. Le seul effort du requérant est de remplir le formulaire à domicile, de se présenter physiquement au ministère, malgré toutes les tracasseries, pour la capture, et aller ensuite à l’ANR pour l’identification. Dans ce cas, le passeport peut être délivré après une semaine. Si l’on suit la voie officielle, on risque d’attendre la durée d’une grossesse.  Selon un fonctionnaire de ce ministère, ‘‘la délivrance du passeport devrait se fait endéans quatre jours ».

Un seul centre à Kinshasa 

Tous les requérants de passeports biométriques  sont d’avis que les procédures pour l’obtention de ces documents sont tortueuses. Un agent de ce ministère attribue ce fait aux problèmes techniques. « L’internet, pourtant indispensable dans l’opération de capture, a un débit lent. Il arrive aussi que nous n’ayons pas du tout de connexion internet », explique-t-il.

En outre, l’on constate que le directeur intérimaire de la chancellerie et des litiges, Edouard Aluma, n’a pas tenu parole. En 2014, ce cadre avait annoncé l’ouverture de trois autres centres de saisie et de capture à Kinshasa en vue d’améliorer les services rendus par son ministère. Mais jusqu’à ce jour, Kinshasa ne dispose que d’un centre, celui du ministère. Néanmoins, un effort considérable a été fait pour doter ce centre de plusieurs machines neuves et, heureusement, installer des centres de capture dans les provinces de la République.

Des fonctionnaires au ministère des Affaires étrangères estiment qu’après la mise en circulation du passeport biométrique, certaines antivaleurs ont pris corps dans l’administration, entachant les procédures d’obtention de ce document. Dommage que le naturel chassé, il soit revenu au galop.