Pays non-alignés : la difficile redéfinition des relations Nord-Sud

Les représentants de 106 pays du Mouvement des pays non-alignés (MNA) se sont retrouvés à Alger pour essayer de donner un nouvel élan décisif à cette instance, devenue un cadre, plutôt, de figuration.

 

D

ans la capitale algérienne, il a été ainsi question d’une « renaissance » de ce mouvement en lui donnant les moyens de rebondir sur sa vision originelle. Cependant, beaucoup d’eau a déjà coulé sous le pont et les donnes du contexte international ont connu bien de mutations qui risquent d’exiger des efforts titanesques à cet espace de travail qui veut occuper à nouveau une place de choix dans le concert des nations. En se faisant représenter à la grand’messe d’Alger par le vice-ministre Affaires étrangères, la RD-Congo a voulu aussi faire savoir qu’elle continue à croire à la vision de ce regroupements d’Etats, qui se prévalaient alors de la « neutralité positive » face aux blocs de l’Est et de l’Ouest.

De tous les regroupements des pays en voie de développement, le Mouvement des non-alignés est le plus vaste. Il compte pas moins de 120 membres, 17 pays observateurs et 9 organisations internationales. Il représente ainsi les 2/3 des Etats ayant adhéré à l’Organisation des Nations unies (ONU). Plusieurs de ses membres se retrouvent aujourd’hui sur la liste des pays émergents, notamment la République Sud-africaine, la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Iran… C’est dans ce cadre qu’on a constaté un renforcement des relations financières et économiques Sud-Sud. Selon la Commission Economique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), « le poids des pays riches, qui était de 60 % du produit intérieur brut mondial au début du siècle ne représenterait plus que 43 % de la richesse mondiale en 2030 ». Ayant atteint son apogée dans les années 1960-1980, avec notamment ses contributions décisives dans le processus d’accession de certains pays à l’indépendance, le Mouvement des aon-alignés » était entré dans une sorte d’apathie. Chaque membre avait estimé impérieux de se familiariser plus, selon ses atouts et ressources, avec les modèles conduisant vers la sortie de l’état de sous-développement. La plupart de ces pays se sont alors investis dans la croissance, essentiellement macro-économique. Ainsi, certains ont pu atteindre, voire dépasser, le niveau des pays à revenus intermédiaires. Paradoxalement, au sein du mouvement, des pays comme le Brésil et la Chine ne sont pas des membres effectifs et préfèrent avoir un statut d’observateur.

Des écarts dans la perception de nouveaux défis

Tout cela ne semble pas dès lors favoriser le développement d’un cadre de travail harmonieux. Au niveau même de la philosophie générale de ce regroupement, les approches ont des écarts notables. Ainsi, certains membres estiment que cette organisation a fait son temps car créée au plus fort de la guerre froide, une période largement dépassée. Par contre, pour d’autres Etats, il sied de capitaliser les différents acquis, en les enrichissant par des défis persistants ou ceux qui se sont déclarés au cours de ces dernières décennies.

Au sein de ce dernier groupe de pays, des responsables souhaitent ardemment, comme souligné au sommet de 2012 organisé à la station balnéaire de Charm El Cheikh (Egypte), « l’activation du mouvement et la revivification de son rôle afin qu’il puisse contribuer à remédier à la grave congestion dans le monde et à résoudre les problèmes régionaux et internationaux ». Pour les partisans de cette position, il faut «empêcher la domination des superpuissances sur les autres et leurs ingérences dans les affaires intérieures des Etats sous prétexte qu’ils luttent contre le terrorisme et œuvrent en faveur de la démocratie, de l’intervention humanitaire, de la réforme du système économique afin de réduire les écarts entre les pays du Nord et ceux du Sud, du traitement de la question de pauvreté et de la faim, du renforcement de la coexistence et le dialogue entre les cultures et les civilisations ».

Consensus platonique pour un véritable « front » ? 

En fait, la conférence ministérielle d’Alger a été plutôt une rencontre nostalgique et de révision des anciennes images du mouvement. Placée sous la thématique « Solidarité renforcée pour la paix et la prospérité », les travaux de cette rencontre se sont également appesantis sur les situations qui prévalent dans des pays déchirés par des conflits comme le Mali, la Syrie, la République centrafricaine, la Libye. Il n’y a pas eu d’envolées oratoires contre l’impérialisme ou le néo-colonialisme, mais plutôt des interventions soutenues pour l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU à de nouveaux membres issus des « continents oubliés », la refondation des relations internationales financières avec une remise en cause de l’efficacité des institutions de Bretton Woods, la réforme de la gouvernance mondiale et du système des Nations unies. Il faut penser que tout cela va se traduire, sur le terrain, en des activités compétitives et « agressives ». Sinon, le « mouvement » va retomber dans une réelle léthargie.

La « déclaration d’Alger » se veut «un message d’espoir et de renouveau dans la fidélité au sursaut originel des idéaux afro-asiatiques et tiers-mondistes » du Mouvement des non-alignés ». Il y est davantage question de stabilité économique et sanitaire, de développement économique et humain, d’effets du changement climatique, de la mise en place d’un système international plus équitable, de modes de sortie du cycle de la pauvreté et de l’instabilité pour les pays du tiers-monde. Deux défis se dégagent dès lors de ces réflexions : le développement et la sécurité.

Pour la petite histoire, il faut noter que ce mouvement a été initié en 1954 et 1955 par six pays : Egypte, Inde, Indonésie, Ceylan, Pakistan et Birmanie. Au cours de ces deux années, les leaders des pays nouvellement indépendants se sont réunis respectivement à Colombo (Sri Lanka), à Bogor (Indonésie) et à Bandoeng (Indonésie). Dans cette dernière ville, la conférence internationale qui y a été organisée a produit la « Déclaration de Bandoeng ». Ce document a en fait sanctionné les différentes réflexions conduites pour montrer « le neutralisme et les principes de la coexistence pacifique » prônés par les signataires. C’est seulement le 1er septembre 1961 qu’a eu lieu le premier sommet du mouvement organisé à Belgrade (alors capitale de l’ex-Yougoslavie). La prochaine rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement aura lieu du 26 au 29 août 2014 à Alger (Algérie).