Perenco en RDC : quand le pétrole rend les pauvres encore plus pauvres

Fondée en 1975, Perenco est spécialiste de la reprise de champs dits « matures », c’est-à-dire dont les réserves restantes sont estimées à moins de 10% des réserves initiales. Mais la firme a progressivement étendu son champ d’activité. Le groupe a connu une croissance soutenue ces dernières années, pour atteindre en 2012 des revenus de 5,9 milliards de dollars et une production de l’ordre de 375 000 barils par jour. Selon les chiffres rendus publics par Perenco, la RDC ne représente qu’environ 7% de sa production mondiale, avec en moyenne 28 000 barils par jour en 2012, derrière les voisins gabonais et camerounais (mais aussi le Vietnam et le Royaume-Uni).

Société non cotée, propriété de la famille Perrodo (16e fortune française en 2013), Perenco est exemptée de toute obligation d’information et de transparence sur son organisation interne et ses finances. Ses holdings sont d’ailleurs des sociétés enregistrées aux Bahamas (bien qu’elles aient leur siège en France et au Royaume-Uni). En vue de la publication de ce rapport, le CCFD Terre Solidaire a demandé au cabinet néerlandais Profundo d’analyser la structuration interne du groupe Perenco et des différentes sociétés qui le composent, à partir des sources directes et indirectes disponibles.

Il ressort de cette analyse que Perenco Rep, la filiale de Perenco titulaire de la concession de Muanda, n’apparaît nulle part ni dans les documents publiés par l’entreprise, ni dans l’organigramme du groupe reconstitué par Profundo à partir de diverses sources. Ni d’ailleurs les autres filiales de Perenco (dont l’État congolais détient des parts minoritaires) en charge de l’exploitation des puits onshore et offshore. En revanche, apparaît dans cet organigramme une société nommée Perenco RDC SPRL, inconnue localement, mais localisée à la même adresse que Perenco Rep. Cette opacité structurelle empêche toute traçabilité des informations financières et fiscales et permet également à Perenco d’empêcher a priori toute mise en cause juridique de la responsabilité de la société mère.

C’est que l’expansion des activités de Perenco aux quatre coins du monde s’est accompagnée de nombreuses controverses. En Amazonie péruvienne, où elle est présente depuis 2008, Perenco veut exploiter du pétrole en pleine forêt vierge, à proximité de la frontière avec l’Équateur, et construire un oléoduc de 200 kilomètres pour le transporter vers le Pacifique. Accusée par la société civile péruvienne de dénier les risques environnementaux et de nuire aux populations indigènes, l’entreprise franco-britannique met là aussi en avant ses bonnes œuvres et dément l’existence de tribus autochtones en isolement volontaire… tout en préparant un guide à destination de ses agents qui en rencontreraient (lire Perenco, Maurel et Prom : des firmes pétrolières françaises à l’assaut de l’Amazonie) ! Au Guatemala, Perenco exploite depuis plusieurs années le pétrole de la Lagune du Tigre, la plus importante zone humide d’Amérique centrale (relevant elle aussi de la convention Ramsar), avec le soutien de l’armée et de l’État, au grand dam des populations indigènes locales qui se trouvent progressivement dépossédées de leurs territoires, de leurs moyens de subsistance et de leur culture (lire Perenco au Guatemala : exploiter le pétrole coûte que coûte ?). Dans les deux cas, on retrouve les mêmes ingrédients qu’à Muanda.

En Tunisie, le groupe exploite des champs de gaz et y a utilisé en 2010 des techniques de fracturation hydraulique, dans des conditions particulièrement obscures. L’usage de cette technologie n’était pas alors officiellement autorisé dans le pays, et des informations contradictoires ont circulé sur les résultats de ces essais. Après avoir annoncé dans un premier temps que la fracturation hydraulique avait permis de multiplier par deux le rendement du gisement, Perenco affirme désormais que les tests n’ont pas été concluants et qu’elle a renoncé à la fracturation hydraulique.

Irresponsabilité institutionnalisée

Les problèmes générés par l’exploitation pétrolière à Muanda ne seraient-ils que le prix inévitable du « développement » ? Selon les auteurs du rapport, ils sont bien plutôt l’une des illustrations les plus éclatantes du « mal développement » que ne peut manquer d’engendrer le modèle économique dominant en matière d’investissements internationaux. « La concession détenue par Perenco au Bas-Congo réunit tous les ingrédients d’un cas d’école : voile du secret, impunité des entreprises concernées, problèmes environnementaux, retombées négligeables pour le développement, corruption et lourde répression des tentatives légitimes de contestation de la part des communautés locales », observait il y a quelques années un expert.

Le rapport sur l’exploitation du pétrole de Muanda s’inscrit dans la campagne du CCFD-Terre solidaire intitulée « Investissements hors jeu ». Cette campagne vise à dénoncer les effets néfastes en termes de protection de l’environnement, de droits humains et de justice sociale des investissements internationaux dans les pays du Sud. Trop souvent, ces « investissements directs à l’étranger », présentés comme la panacée en termes de développement par les institutions financières internationales et les agences d’aide occidentales, ne sont qu’un moyen pour les firmes multinationales, comme Perenco, d’étendre leurs marchés, sans aucun souci des populations locales. Le CCFD-Terre solidaire estime que seule la mise en place de nouvelles règles du jeu permettra de s’assurer que les investissements privés contribuent effectivement au développement des pays les plus pauvres.