Plan Hulot : arrêtons de massacrer le vivant

Largement insuffisant, le plan du gouvernement pour «sauver la biodiversité» se contente d’aligner des mesures peu efficaces, sans repenser le lien entre l’homme et la nature.

 

Ce mercredi 4 juillet, le Premier ministre Edouard Philippe, entouré de plusieurs ministres dont Nicolas Hulot, dévoilait le plan du gouvernement censé «sauver» la biodiversité, dans la Grande galerie de l’évolution du Muséum national d’histoire naturelle. Le choix du lieu et la composition du panel devaient incarner l’importance de l’engagement du gouvernement en la matière. Cette mise en scène prêterait à rire si l’heure n’était pas aussi grave. Oui, Nicolas Hulot a raison lorsqu’il déclare : «La nature nous lance un SOS, un appel à l’aide. La biodiversité se meurt en silence.» Et à première vue, c’est une bonne chose que le gouvernement s’empare du sujet.

Mais lorsque l’on regarde concrètement la liste des 90 mesures envisagées, face à l’ampleur du massacre généralisé que l’on perpètre à l’heure actuelle sur le vivant, on se dit que toute cette communication politique autour d’un sujet aussi grave est parfaitement irresponsable, voire criminelle. Oui, la biodiversité est en train de mourir, mais pas en silence pour qui sait écouter. Beaucoup de chercheurs, de scientifiques, d’écologistes, d’acteurs de terrain comme récemment les apiculteurs, ne cessent de nous alerter depuis des années sur l’effondrement du vivant qui est en cours. Les dernières évaluations de l’IPBES (1), le GIEC de la biodiversité, publiées en mars, étaient on ne peut plus claires : la biodiversité s’effondre partout et à une vitesse alarmante. En Europe, 71% des populations de poissons et 42% des espèces animales et végétales terrestres ont diminué en dix ans, tandis que 25% des terres agricoles sont touchées par l’érosion. Ce n’est guère mieux, voire pire partout ailleurs sur la planète. Or l’effondrement de la biodiversité n’est pas un simple problème écologique de plus auquel se confronte l’humanité.

En finir avec l’anthropocentrisme

Derrière le mot «biodiversité», c’est l’ensemble du vivant qui est en train de mourir, donc les êtres humains, ce qu’il semble nécessaire de rappeler encore une fois, parce que nous sommes partie intégrante de la nature. Croire que nous pourrions nous en sortir quand celle-ci disparaît est une totale supercherie, n’en déplaise aux transhumanistes et autres scientistes persuadés que le génie de l’humanité la sauvera de tous les périls qu’elle crée elle-même. 

Donc pour tenter de «sauver la biodiversité», il faut commencer par changer de paradigme afin d’en finir avec l’anthropocentrisme. L’espèce humaine n’est pas à part dans le règne animal, si ce n’est son haut degré de conscience vis-à-vis d’elle-même et des autres espèces. Elle est un chaînon du vivant, et quand ce chaînon est en train de se briser, comme actuellement, c’est de son devoir de tout faire pour tenter de le réparer, surtout quand elle en porte la responsabilité.

Ainsi, sauver la biodiversité n’est pas un sujet politique parmi d’autres, c’est le sujet absolu qui conditionne tous les autres. L’avenir de la SNCF, les retraites, le chômage, les conditions de travail, la réforme du Parlement, toutes ces questions n’ont plus aucune raison d’être quand c’est la possibilité même de vie sur Terre qui est en péril.

Cesser le massacre d’animaux

Ensuite, pour tenter de «sauver la biodiversité», il faut cesser de massacrer les animaux non humains : 60 milliards d’animaux terrestres et 1 000 milliards d’animaux marins tués chaque année pour assouvir notre besoin morbide de chair animale, alors que nous pouvons parfaitement nous en passer. Et tous ces êtres vivants ne meurent pas en silence. 

Ils hurlent par millions du tréfonds des abattoirs vers nos oreilles qui refusent encore de les entendre, les yeux rivés égoïstement sur nos assiettes. De plus en plus de gens, prenant conscience de cette situation totalement injustifiable, arrêtent de manger de la viande. C’est sans doute un des sujets politiques majeurs de cette première moitié du XXIe siècle, la fin de la viande. Or de ceci, rien, bien entendu, dans le plan biodiversité du gouvernement.

Des droits pour la nature

Pour sauver la biodiversité enfin, il faut tout de suite donner de nouveaux droits à la nature. Compenser l’artificialisation des sols en désartificialisant des surfaces équivalentes par exemple, comme le propose le gouvernement, est totalement insuffisant. C’est de l’écologie molle, totalement superficielle, basée sur une vision uniquement utilitaire de la nature, vision qui nous a menés à la catastrophe actuelle. Le vivant n’est pas interchangeable, il a une valeur en soi. Viendrait-il à quelqu’un l’idée de proposer, par exemple, à des parents en deuil venant de perdre leur enfant de le remplacer par un autre ? Donner de nouveaux droits à la nature, c’est par exemple voter des lois protégeant les sols face aux grands projets inutiles et imposés, comme la folle EuropaCity aux portes de Paris, qui viendrait massacrer les dernières terres agricoles d’Ile-de-France au nom du business (projet soutenu par le gouvernement). C’est faire reconnaître le crime d’écocide, pour que toutes celles et ceux, personnes physiques ou morales, qui détruisent la nature de par leurs activités, puissent être poursuivis comme des criminels.

L’heure est bien trop grave pour ne prendre que des demi-mesures et se contenter de faire de la communication autour d’un énième plan biodiversité. Ce n’est pas de plan dont nous avons besoin, mais d’une vision, d’une révolution copernicienne dans notre rapport au vivant, pour non seulement arrêter de le massacrer, mais commencer enfin à le respecter en lui donnant une valeur intrinsèque. 

Benjamin Joyeux, co-fondateur du REV (Rassemblement des Ecologistes pour le Vivant)

Valérie Cabanes, auteure de Un nouveau Droit pour la Terre, pour en finir avec l’écocide (Seuil, 2016)

(1) Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques