Politiques et pratiques de la RDC en ligne de mire

Dans le cadre du forum sur la réforme du système fiscal, Faustin Luanga a exposé sur les conclusions de l’OMC de sa 2è revue à Genève en octobre 2016. Il y a été relevé des incohérences au sujet du régime commercial et fiscal dans le pays. Décryptage.

 

Faustin Luanga Mukela est expert de l’Organisation mondiale pour le commerce (OMC). Il explique que les examens des politiques commerciales sont un exercice, prescrit dans les accords de l’OMC, au cours duquel les politiques et les pratiques commerciales ainsi que les politiques connexes des pays membres sont examinées et évaluées périodiquement. Les faits nouveaux importants qui peuvent avoir une incidence sur le système commercial mondial font également l’objet d’un suivi. D’après lui, tous les membres de l’OMC font l’objet de cet examen, dont la fréquence dépend de la taille du pays.

Dans le cas de la République démocratique du Congo, rappelle-t-il, le pays a déjà fait l’objet de deux examens, le premier en 2010 et le second en 2016. Depuis son premier examen de politique commerciale en 2010, fait-il remarquer, la RDC a mis en œuvre plusieurs réformes structurelles et de stabilisation économique, avec ou sans l’aide des partenaires techniques et financiers. Ces réformes lui ont permis d’enregistrer une croissance soutenue à un taux moyen annuel de 7 % durant la période sous examen, largement au-dessus de sa croissance démographique de 3 %, et de  gagner 12 rangs à l’indice de développement humain.

La politique monétaire, globalement restrictive, a permis de réduire l’inflation de 7,1 % en 2010 à 1,03 % en 2014, son niveau le plus bas depuis 50 ans. En matière budgétaire, l’amélioration des recettes publiques a permis de réduire le déficit public, avec même des surplus (sur la base des paiements) ces dernières années. En dépit des chocs exogènes, notamment les baisses de prix des matières premières exportées par la RDC, la bonne tenue de son compte de capital et d’opérations financières lui a permis de dégager des soldes positifs de sa balance de paiement et d’accumuler des réserves.

Cependant, depuis 2016, l’économie congolaise fait face à des chocs externes (chute des cours des matières premières) et internes (incertitudes politiques) qui ont plombé l’environnement économique du pays. La situation économique s’est dégradée depuis le second examen des politiques commerciales de la RDC caractérisée par le ralentissement de la croissance économique, la dépréciation de la monnaie nationale (environ 1 500 FC pour un dollar), des pertes de réserves internationales (2 semaines), et des fortes pressions inflationnistes.

En dépit de ses nombreux atouts, tels que l’étendue de son territoire, des conditions climatiques et agro-pédologiques favorables, des ressources forestières, lacustres, pétrolières et minières abondantes, et de sa croissance économique moyenne de 7 % par an depuis 2010, la RDC demeure un pays moins avancé, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 480 dollars en 2014. Son économie est fortement dépendante du secteur minier qui contribue en moyenne au quart (environ 24 %) du PIB et à environ 85 % des recettes d’exportation. L’agriculture y est peu développée par rapport aux potentialités du pays (18 % en moyenne du PIB et seulement 3 % des recettes d’exportation).

Le secteur manufacturier est embryonnaire (environ 10 % du PIB) en raison des contraintes liées à l’offre telles que le mauvais état des infrastructures de transport, la non-disponibilité d’intrants comme l’électricité, et un système financier tourné principalement vers les activités d’import-export. Les services, environ 40 % du PIB, connaissent un grand épanouissement depuis les années 2000, surtout dans le domaine de la téléphonie mobile; les services de télécommunication sont devenus le deuxième pourvoyeur de recettes de l’État. Le système bancaire, de dimension relativement limitée au regard de la taille du pays et de sa population, contribue peu au financement du développement du pays. La majeure partie des opérations bancaires consiste en la collecte de dépôts et en des opérations de financement à court terme, ce qui ne promeut pas le développement surtout des petites et moyennes entreprises.

Les constats avérés

Faustin Luanga fait remarquer que l’économie congolaise est peu diversifiée. Le pays importe et exporte une petite gamme de produits. Ses principales importations comprennent les denrées alimentaires, les produits chimiques, les matériels de transport et les machines électriques et non électriques. L’Union européenne (UE), l’Afrique du Sud, la Zambie et la Chine sont ses principales sources. Ses exportations restent cantonnées aux produits primaires (miniers), essentiellement le cobalt, le cuivre, le diamant, l’or et le pétrole. Ses principaux marchés sont la Chine, la Zambie, l’UE, et le Moyen-Orient.

En dehors de la Zambie et de l’Afrique du Sud, les échanges officiels avec les autres pays africains restent marginaux en dépit des accords préférentiels régionaux et bilatéraux dont la RDC est signataire mais qu’elle n’a pas encore complètement mis en œuvre. La RDC demeure un importateur net de services. Les exportations de services ont été dominées par les voyages (tourisme), ce qui illustre les atouts importants du pays comme destination touristique, tandis que les transports ont constitué le principal poste à l’importation en raison de l’éloignement du pays de ses marchés essentiels. Son ratio du commerce des biens et services au PIB d’environ 70 % (sans tenir compte d’un large commerce transfrontalier informel) témoigne de l’importance des échanges pour son économie.

La RDC demeure confrontée à d’énormes défis dans son développement, y compris sa forte dépendance du secteur minier, l’amélioration de ses infrastructures, ses problèmes de  gouvernance (y compris en matière de gestion des finances publiques), et la faiblesse de ses indicateurs de développement humain. Les défis majeurs demeurent la consolidation de la croissance économique aux alentours de 8 % par an et la nécessité de la rendre inclusive à travers sa meilleure redistribution.

La politique commerciale de la RDC repose sur une réglementation supra nationale résultant de ses accords commerciaux multilatéraux, régionaux et bilatéraux. Le contenu autonome (national) de cette politique demeure large du fait du retard accusé par la RDC dans la mise en œuvre desdits accords. L’ultime objectif de la politique commerciale de la RDC est de faire participer le commerce à la lutte contre la pauvreté, à travers la poursuite de la libéralisation du régime commercial; la diversification des exportations; l’accélération du programme de privatisation et des réformes sectorielles (agriculture, mines, industries et services); et la facilitation des échanges commerciaux.

La RDC est membre originel de l’OMC depuis le 1er janvier 1997. Elle est aussi membre de l’Union africaine (UA), la Communauté économique africaine (CEA), la Communauté économique des pays des grands lacs (CEPGL), et de trois des huit Communautés économiques régionales (CER) reconnues par l’UA, à savoir la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), le Marché commun pour l’Afrique orientale et australe (COMESA), et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). La RDC est engagée dans les négociations dites « de la tripartite » visant   à harmoniser des règles de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), du COMESA et de la SADC. La RDC a aussi conclu des accords-cadres de facilitation des échanges bilatéraux avec plusieurs pays. Selon Luanga, « la participation à de multiples accords pourrait entraîner pour la RDC, outre les coûts y afférents, un manque de cohérence dans la conduite de sa politique commerciale ».

Le cadre réglementaire des investissements n’a pas connu de modifications significatives depuis le dernier examen de politique commerciale de la RDC. Le code des investissements de 2002 demeure la base juridique en matière d’investissement dans le pays. Il vise à faciliter et encourager les investissements nationaux et étrangers dans les domaines d’activités prioritaires pour le développement du pays, à savoir l’amélioration des infrastructures, la valorisation des ressources naturelles et la création d’une base industrielle solide. Il prévoit un régime unique (le régime général), accompagné de dispositions particulières pour les PME. Le code s’applique à toutes les entreprises désireuses de développer une activité économique au Congo, à l’exception des activités minières, des hydrocarbures, des banques, des assurances et réassurances, de la défense et de l’armement, ainsi que de certaines activités commerciales. Les investissements dans ces activités sont régis par des cadres réglementaires spécifiques et des lois particulières. L’égalité de traitement entre investisseurs nationaux et étrangers est garantie sous réserve de réciprocité.

Le système de taxation a connu des modifications significatives depuis le dernier examen des politiques commerciales par l’introduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en remplacement de l’impôt sur le chiffre d’affaires (ICA). Des nouveaux codes de douanes et des accises ont aussi été promulgués…

…et sont en application depuis 2012. Des réformes fiscales, avec l’élimination de certains prélèvements, ont été menées. Toutefois, le système de taxation demeure complexe, avec une multitude de prélèvements, y compris les droits de douane; la taxe sur la valeur ajoutée; le droit d’accises; l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP); l’impôt sur les sociétés; les droits d’enregistrement et de timbre sur les transactions immobilières; les taxes locales; et d’autres prélèvements touchant certains produits, les transports, et les télécommunications, entre autres. « En pratique, estime l’expert de l’OMC, les multiples exonérations allègent quelque peu le fardeau fiscal global, ce qui explique qu’en dépit d’un taux d’imposition des sociétés qui seul déjà atteint 45 %, la pression fiscale pour l’année 2015 ne soit que de 15,4 % (du PIB) ».

Et d’ajouter que « la RDC a simplifié les procédures et la documentation commerciales ». Cependant, « elle n’a toujours pas notifié à l’OMC ces mesures dans les catégories prévues par l’Accord sur la facilitation des échanges qu’elle n’a pas encore ratifié ». La RDC a adopté la version 2012 du Système harmonisé (SH) de désignation et de codification des marchandises. Son tarif est ad valorem sur toutes ses 5 842 lignes, et comprend quatre taux: zéro, 5 %, 10 % et 20 %. Le taux modal du tarif est de 10 % et la moyenne simple des taux est de 11,2 %. Par contre, 29,4 % des lignes tarifaires représentent des crêtes tarifaires internationales (avec plus précisément le taux de 20 %).

La structure tarifaire de la RDC 

Elle est demeurée relativement la même depuis son premier examen des politiques et pratiques commerciales. Les produits agricoles et les produits non-agricoles (définition de l’OMC) bénéficient en moyenne des mêmes niveaux de protection tarifaire nominale, respectivement 11,1 % et 11,2 %. En utilisant la CITI, les industries manufacturières sont les plus protégées avec une moyenne tarifaire de 11,4 %, suivies du secteur de l’agriculture, de la chasse et de l’exploitation forestière (10 %), et enfin des industries extractives (7,1 %). Une ventilation des taux par chapitre du SH fait ressortir une hausse générale des niveaux de protection à près de 20 % pour les café et thé; les boissons et tabacs; les bois et papiers; ainsi que les textiles et vêtements.

Dans l’ensemble, explique Faustin Luanga, le tarif présente une progressivité légèrement positive des matières premières (9 %) aux produits semi-finis (9,6 %) et nettement positive vers les produits finis (12,7 %). Une désagrégation plus poussée (à deux chiffres de la CITI) fait ressortir que cette structure tarifaire globale résulte notamment de la progressivité tarifaire positive dans les industries de produits alimentaires, boissons et tabacs; des textiles et vêtements; de papiers, articles en papier, imprimerie et édition; et de produits chimiques. « Dans ces industries, la progressivité positive suggère un niveau de protection effective assez élevée, ce qui n’est pas de nature à encourager la recherche de compétitivité pour les produits concernés et, par conséquent, leurs exportations », souligne-t-il.

Par ailleurs, les matières premières utilisées par certaines industries (telles que celles des produits minéraux non métalliques) bénéficient d’une importante protection, bien au-dessus du taux moyen de 12,3 % pour l’ensemble du secteur manufacturier, ce qui maintient les coûts des intrants et des produits semi-transformés à des niveaux élevés. D’après lui, « une telle structure tarifaire ne favorise pas la diversification de l’activité économique par la transformation des matières premières locales avant leur exportation, ce qui rend nécessaires les nombreux allègements tarifaires et fiscaux consentis dans le cadre des différents dispositifs ». Et de poursuivre : « de tels allègements rendent positive la progressivité des droits et, par conséquent, aggravent la protection effective des activités concernées. En outre, la gestion d’un tel régime a un coût et sa transparence reste limitée ».

Faustin Luanga est formel : « la RDC a consolidé l’ensemble de ses lignes tarifaires, à des taux plafond dont la moyenne simple est de 96 %, soit 97,5 % pour les produits agricoles et 95,7 % pour les produits non-agricoles ». Selon cet expert de l’OMC, « la consolidation à des taux plafond laisse certes à la RDC de larges marges pour augmenter ses taux appliqués mais n’assure pas la prévisibilité de son régime tarifaire, ce qui pourrait faire hésiter tout partenaire aussi bien commercial que celui à la recherche d’un cadre stable et propice à l’investissement ». Pour lui, les autres droits et taxes sont consolidés à zéro, mais les importations en supportent un grand nombre qui sont prélevés sans contrepartie ou dans des proportions qui excèdent largement le coût des services correspondants (rendus). Les principales taxes intérieures sont perçues sur les importations et les produits locaux, en conformité avec le principe du traitement national. Par ailleurs, malgré l’institution de guichets uniques à l’importation et à l’exportation, plusieurs autres institutions continuent d’opérer en dehors de ceux-ci, allongeant ainsi le temps des formalités administratives et en aggravant les coûts. L’inspection avant expédition est requise pour la plupart des importations d’au moins 2 500 dollars, et les honoraires (0,75 % de la valeur caf, avec un forfait de 100 dollars) sont à la charge de l’importateur. Luanga note que « la RDC n’a jamais eu recours à des mesures commerciales de circonstance, pour lesquelles elle ne possède pas de législation ».

La RDC continue d’éprouver des difficultés dans l’application de sa législation de 2003 basée sur l’Accord de l’OMC sur la valeur en douane, et elle a recours à des valeurs de référence fournies par BIVAC. Le système national de normalisation, de réglementations techniques et d’accréditation peine à se concrétiser, ce qui remet en cause le bien-fondé et la pertinence des divers contrôles effectués, y compris à la frontière, par de multiples institutions dont les activités se chevauchent; un contrôle systématique est effectué sur tous les produits à l’importation, à l’exportation et ceux mis sur le marché local. À l’importation, les végétaux et produits végétaux, les animaux et produits animaux doivent être accompagnés d’un certificat phytosanitaire pour les premiers et sanitaire pour les seconds, délivrés par le pays d’origine.

À l’exportation, des droits de sortie sont prélevés sur le café vert; les produits minéraux et leurs concentrés; les huiles minérales; l’énergie électrique; le bois en grume; le bois scié avivé; l’eau douce; et les mitrailles. En principe, sur certains produits, ces droits sont perçus en vue d’encourager la transformation locale de ressources naturelles. Toutefois, une grande partie des minerais et des grumes est toujours exportée sans aucune transformation préalable. Par ailleurs,  la RDC ne dispose pas d’un mécanisme de promotion ou d’assistance à l’exportation.

Le nouveau code des marchés publics vise à encourager la transparence et le recours à l’appel d’offres, avec des préférences nationales et régionales. La RDC poursuit son programme de réforme des entreprises publiques: environ 20 entreprises demeurent encore dans le portefeuille de l’État, le reste ayant été soit assaini, restructuré, ou privatisé. Luanga note aussi que le pays ne dispose pas d’un régime de la concurrence; les prix de quelques biens et services, considérés comme « stratégiques », sont réglementés. Par ailleurs, les difficultés d’application effective de la législation en matière de propriété intellectuelle ne permettent pas de contenir suffisamment les infractions en la matière.

Lenteur et incohérence dans l’application

La RDC a initié d’autres réformes pour faciliter la conduite des affaires, notamment en réduisant le coût d’obtention du permis de construire, ainsi que le coût d’enregistrement d’un nouveau bâtiment; en éliminant ou en réduisant les différents coûts associés à l’enregistrement d’une nouvelle entreprise; et en procédant à la suppression d’une longue liste d’impositions dites de « nuisance fiscale ». Cependant, certaines de ces mesures, délibérées et décidées en conseil des ministres, attendent encore d’être mises en application par des lois, ce qui n’a pas amélioré le rang de la RDC dans le classement Doing Business. Pour Faustin Luanga, « le rang actuel du pays reflète, entre autres, la lenteur dans l’application de certaines mesures, une certaine incohérence dans l’application d’autres et la nécessite de renforcer le suivi, l’évaluation et la coordination interministérielle ».

Dans le cadre de l’accord général sur le commerce des services (AGCS), la RDC a pris des engagements dans un certain nombre de branches de services, à savoir les services de construction et d’ingénierie connexes, les services de communication, les services fournis aux entreprises, les services d’éducation, les services relatifs au tourisme et aux voyages, les services récréatifs, culturels, et sportifs. Certaines de ces branches font l’objet d’une ouverture quasi-totale, tandis que d’autres ne le sont que partiellement. Luanga pense que « l’extension des engagements multilatéraux de la RDC à toutes les catégories de services déjà libéralisées devrait renforcer la crédibilité des réformes réalisées, améliorer la prévisibilité et la transparence des régimes concernés, et contribuer à attirer les capitaux dont le pays a tant besoin pour la mise en œuvre de son immense potentialité ».

Et de conclure que « la poursuite et la mise en œuvre effective des réformes, notamment la simplification et rationalisation du système de taxation, ainsi que des différents contrôles, procédures et institutions intervenant à tous les niveaux, devraient permettre à l’économie congolaise de renforcer sa compétitivité et faciliter la création de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois ». Il est souhaitable, dit-il, que la RDC puisse ratifier l’Accord sur la facilitation des échanges pour entériner la plupart des réformes en cours.