Politiques foncières et planification urbaine et territoriale

Avec la mondialisation, le foncier, l’urbain et l’habitat se compénètrent au point que la ligne de démarcation est difficile à tracer. 

Il est admis aujourd’hui que des politiques et des marchés fonciers adéquats sont la clé de voute d’une transition urbaine performante. Les institutions de gestion de la terre incluent un registre cadastral complet, des mécanismes crédibles pour l’application des contrats et la résolution des litiges, des lois de zonage flexibles, et une réglementation souple des subdivisions, qui facilite plus qu’elle n’entrave la conversion des terrains à différentes utilisations. Les droits de propriété liés aux titres fonciers sont essentiels pour transformer les actifs en richesses utilisables.

Vu sous cet angle, dans le secteur agricole, il est important de passer des droits sur des terres communales aux droits de propriété individuelle pour permettre la conversion des terres rurales en terrains urbains, pensent certains experts. Mais ils sont conscients que c’est un processus qui peut prendre beaucoup de temps. Les règlementations sur l’utilisation de la terre et la constructibilité prennent plus d’importance à mesure que l’urbanisation avance, font-ils remarquer. Les gouvernements réglementent les marchés fonciers pour assurer la séparation des terres entre les différentes utilisations ainsi que l’intégration des usages publics et privés des terrains, comme la fourniture d’espaces pour les infrastructures de transport dans les zones densément peuplées.

Les règlementations foncières peuvent cependant être exagérées, altérant la motivation des entreprises et des ménages à s’établir dans les villes et faisant grimper les prix, poussant ainsi les habitants et les activités vers des places non réglementées, préviennent-ils par ailleurs. Autour de nous, par exemple, les délais d’acquisition des terrains sont très longs en Éthiopie et en Zambie. Au Mozambique, les entreprises paient en moyenne 18 000 dollars de frais de procédure, et au Nigéria elles doivent enregistrer leurs terrains pour pouvoir les mettre en garantie. Une procédure qui peut prendre jusqu’à deux ans et coûter 15 % de la valeur des terrains.

Les institutions foncières peuvent améliorer l’information, renforcer les droits de propriété, enregistrer les transactions du marché, et avancer progressivement vers des marchés fonciers plus ouverts. Par exemple, avec une dotation de 100 km² de terres, la Tema Development Corporation a planifié et aménagé au Ghana la Zone Tema, en y construisant des routes et un système d’égouts, en préparant et réalisant des projets de logement, et en gérant des locations. Les permis de construire pour les logements sont soumis aux autorités, qui font payer des droits calculés sur la valeur de la propriété à construire.

Les approches en présence

L’expansion urbaine et les besoins d’infrastructure qu’elle implique devraient être guidés par une planification urbaine, conseillent les mêmes experts. À cause de son approche descendant du haut vers le bas et de sa médiocre mise en œuvre, la planification urbaine et les plans d’urbanisme ont perdu leur sens dans beaucoup de villes africaines. Selon eux, la dynamique urbaine est rarement prévue de façon adéquate et, dans la plupart des cas, c’est l’économie politique qui a le dernier mot dans la détermination de l’emplacement des infrastructures ou des projets de développement importants. Pour être efficace et utile, la planification urbaine doit être souple, participative et indicative (10 à 15 ans). Les cartes urbaines de référence doivent montrer les grands axes et les services, les espaces pour l’expansion et les réserves pour les commodités.

D’après eux, toujours, la planification doit contrôler l’expansion en tache d’huile, favoriser la densification, éviter le développement dans des zones environnementales précaires, et privilégier la fourniture de terrains dotés d’infrastructures et de services, à un prix abordable. Idéalement, la planification doit prendre appui sur des stratégies participatives et s’aligner sur les budgets locaux et nationaux. Sans une projection réaliste des ressources qui seront disponibles, les plans urbains perdent souvent toute crédibilité. Par exemple, Dakar (Sénégal), Lagos (Nigéria) et Maputo (Mozambique) ont récemment mis au point des stratégies de développement urbain encourageant la participation de la communauté à la discussion sur les défis et les opportunités.

Pour ces experts, dans les zones rurales, la planification territoriale est essentielle pour promouvoir une approche plus intégrée du développement et pour renforcer les opportunités de croissance. Le développement rural exige une fourniture coordonnée des services d’infrastructure pour soutenir la production agricole et les activités non agricoles, telles que l’infrastructure pour l’irrigation, les routes rurales et les services de transport associés, ainsi que l’infrastructure d’entreposage et de distribution des produits agricoles. Dans les zones rurales, la capacité d’administration limitée fait obstacle à une vision intégrée. La coordination peut être encore compliquée par le fait que certains services, comme l’irrigation, peuvent être du ressort de l’État central, tandis que d’autres (comme les routes) relèvent des autorités locales.

Chongqing, l’expérience chinoise de mise en œuvre d’un plan de développement territorial a l’échelle régionale, est un exemple qui peut intéresser l’Afrique. Le regroupement des services d’infrastructure peut sensiblement augmenter le rendement des investissements qui y sont faits. Il garantit non seulement plus de bien-être pour les ménages (aussi bien urbains que ruraux), mais maximise l’effet économique et social de la prestation des services d’infrastructure dans les zones rurales en facilitant l’accès aux opportunités économiques et en réduisant le fossé entre pauvres et non-pauvres. Les politiques d’investissement devraient donc, surtout quand l’infrastructure rurale est concernée, rechercher une meilleure complémentarité entre les secteurs. Celle-ci exige un déploiement adéquat de la coordination et planification institutionnelles, ainsi que de la capacité financière.

Même s’il constitue une opportunité de réaliser un meilleur retour sur investissement, le regroupement des infrastructures ne suffit cependant pas à lui seul à dynamiser le développement économique et social rural. Il faut une vision plus large du développement rural qui optimise la coordination et la complémentarité entre les secteurs au-delà du strict domaine des infrastructures pour lesquelles le regroupement reste un outil essentiel. Tel est le champ d’action du développement territorial.

Bidonvilles, un casse-tête

Éviter la formation des bidonvilles et améliorer ceux qui existent sont des préoccupations majeures pour les responsables des politiques. Normalement, une seule de ces deux approches est adoptée. La première est centrée sur l’amélioration des conditions de vie des habitants des bidonvilles, là où ils sont installés. Un statut d’occupation leur est accordé, les zones de bidonvilles sont dotées des infrastructures de base, et les abris sont améliorés pour en faire des constructions de meilleure qualité et plus durables. Des investissements dans des programmes sociaux et de transports sont également réalisés pour resserrer les liens entre les zones de bidonvilles et le reste de la ville, et pour faciliter l’intégration sociale. Le Projet de réhabilitation du district d’Accra, au Ghana, est un exemple d’amélioration réussie, de même que plusieurs programmes nationaux d’amélioration en Éthiopie, au Kenya et en Ouganda. La seconde approche, plus controversée, consiste à reloger les habitants des bidonvilles, soit dans des quartiers existants, soit dans de nouveaux lieux moins surpeuplés et plus sûrs. Dans l’un ou l’autre cas, les habitants sont indemnisés pour leur déplacement et la perturbation de leurs moyens d’existence.

Beaucoup de choses peuvent être faites, à commencer par la fourniture des services et des infrastructures de base, combinée avec une politique foncière efficace. La législation qui gonfle le prix des terrains et exclut les pauvres devra être revue. Des lots de base de services (éclairage des rues, revêtement, drainage, routes) doivent être fournis au plus grand nombre de personnes, au meilleur coût possible.