Pourquoi Mercy Corps menace de retirer la gestion à YGL ?

Au vu des résultats probants du réseau EGN, les trois partenaires ont décidé de prolonger l’expérience. D’où, l’avenant à la convention spéciale signé en date du 14 novembre 2014.

 

La phase d’amorçage a duré plus de trois mois prévus dans la convention spéciale. Pour pouvoir bien poursuivre leur partenariat, la REGIDESO, Mercy Corps et Yme Grands lacs signent un avenant, qui apporte des modifications à cette convention. La gestion du réseau EGN ne porte plus sur 27 bornes fontaines construites ou réhabilitées par Mercy Corps mais sur 39 bornes construites ou réhabilitées dans le cadre du projet iWASH, mise en œuvre par Mercy Corps en partenariat avec la REGIDESO. L’avenant précise aussi que le Système de gestion pilote (SGP) comporte deux phases : une phase d’amorçage qui entrera en vigueur au début du projet, sera de 12 mois et renouvelable par reconduction tacite, et une phase d’accompagnement. Mais la convention ne concerne que la phase d’amorçage.

Par ailleurs, ce n’est plus trois quartiers qui sont concernés par le projet mais cinq : Katoyi, Majengo, Munigi, Kasika et Mabanga-Nord. Les trois parties conviennent d’entretenir une relation de partenariat pour la bonne gestion des bornes fontaines dans le cadre de l’exécution du projet iWASH financé par DFID et le Commission européenne), ainsi que du projet IMAGINE financé par DFID). La REGIDESO et le gestionnaire YGL peuvent y mettre fin avec un délai de préavis de huit jours sans indemnités. Une évaluation conjointe du SGP sera menée à la fin de chaque exercice et pourra entraîner la modification de la convention de gérance, si les parties signataires en conviennent.

Les 64 millions qui font baver

Tout va bien jusqu’au moment où Mark James Dwyer, alors directeur national de Mercy Corps, perd son emploi après avoir mobilisé 64 millions de dollars pour étendre le réseau EGN, construire des infrastructures d’eau à Bukavu (Sud-Kivu). Il sollicite alors d’intégrer Yme Grands lacs pour l’aider à monter en échelle. Le conseil d’administration d’YGL accepte sa demande et lui confie le poste de directeur exécutif en septembre 2015. Mais trois mois plus tard, le conseil d’administration d’YGL constate que Mark James Dwyer avait en tête de s’approprier l’organisation, en posant des conditions : par exemple devenir membre  fondateur d’YGL, mettre en place une organisation de 7 membres dont 3 nationaux seulement. Sinon il va créer sa propre structure pour gérer les fonds. D’où, le « Hard Decision of the Board », mail qui lui sera adressé le 20 novembre 2015.

Tenez : quand il arrive à YGL, Mark James Dwyer amène un staff de 4 personnes de Mercy Corps sans l’aval du conseil d’administration d’YGL. Il crée en son sein une « structure qui n’obéit qu’à lui et qui gère le réseau EGN ». Après le départ de MJD, « son équipe » est restée en place et continue à produire les rapports à partager avec DFID dans le cadre du projet IMAGINE. Avec le staff de MJD, Mercy Corps n’aurait pas procédé à une évaluation de la situation financière, alors qu’YGL dit avoir constitué des réserves de 150 millions de francs sans que la REGIDESO, l’autre partenaire, n’en soit au courant. Donc, Mercy Corps a failli à sa mission.

Et quand l’avenant à la convention est arrivé à son terme, le secrétaire général de la REGIDESO, Engau Is’Eseleza, fait savoir que sa société va lancer un appel d’offre pour choisir officiellement le gestionnaire des bornes fontaines EGN, YGL ayant été copté. C’est ainsi que pour se préparer à cet appel, YGL remercie en juillet 2016 « l’équipe de secondement » venue dans les bagages de MJD, à travers la lettre dite de Fin secondement. 

Menace de retrait

Colère de Mercy Corps, qui va saisir (correspondance) le ministre provincial des Ressources hydrauliques et lui fait savoir que sans elle, la REGIDESO et YGL ne sauront pas donner de l’eau à la population de la partie Nord de Goma. En fait, cela ressemble à une menace à peine voilée de se retirer du projet, et donc de lui couper les vivres. Il faut dire que la tension montait entre YGL et Mercy Corps depuis que MJD a été mis à la porte par YGL.

Naturellement, YGL et la REGIDESO saisissent à leur tour l’autorité provinciale en clarifiant la « situation de gestion » qui ne peut pas souffrir par le fait du départ de Mercy Corps. Le ministre provincial va alors recommander aux trois partenaires dans le projet de trouver une « solution à l’amiable ». Mercy Corps en fait à sa tête, elle adresse en juillet 2016 une lettre à YGL lui intimant des ordres. D’où la lettre « Réponse Lettre Fin Secondement MC-YGL ». La correspondance de Mercy Corps est jugée « discourtoise » par YGL, qui va réagir à travers sa « Lettre de clarification au DN », accusant Mercy Corps d’entretenir la « confusion » pour s’attirer la « sympathie » des autorités provinciales et des bailleurs de fonds et « s’éterniser » au projet alors qu’elle l’a remis officiellement à la REGIDESO. 

Le 2 août 2016, le directeur général de la REGIDESO, Mukalayi Mwema, met un terme au protocole tripartite, à travers sa lettre de résiliation du protocole par la REGIDESO. Toutefois, pour des raisons d’efficacité et de transparence dans l’exploitation de l’EGN, sa gestion va se poursuivre dans le respect du système mis en place ensemble. Il va écrire aussi à YGL lui notifiant la décision de la REGIDESO de lui confier la poursuite de la gestion momentanée des bornes fontaines de l’EGN en attendant la convention de gestion proprement dite. Le partenariat désormais bipartite entre REGIDESO et YGL est lié par la même convention tripartite mais la REGIDESO prend les responsabilités de Mercy Corps. 

Une commission d’enquête

Mercy Corps ne l’entend pas de cette oreille. Elle sollicite cette fois-ci une audience auprès du gouverneur de province, Julien Paluku Kahonya. Elle lui montre que la partie Nord de Goma n’aura plus d’eau sans elle. Mais comme le Gouv’ était déjà au courant des « agitations » des uns et des autres, il décide de mettre sur pied une commission d’enquête. 

Le 22 août 2016, YGL transmet une lettre au président de cette commission dans laquelle elle souligne que « la gestion du projet IMAGINE est la face cachée » du différend qui oppose les partenaires. « En effet, Mercy Corps qui gère le projet ‘IMAGINE’ financé par DFID avec un budget de 64 millions de dollars pour donner de l’eau potable aux populations de Goma et Bukavu, n’a aucune visibilité des travaux sur terrain au-delà du réseau ‘Extension Goma Nord/Système de Gestion Pilote’, réalisé par le projet ‘iWASH’, il y a près de trois ans maintenant », peut-on y lire. 

Ou encore : « Pourtant, selon le chronogramme de ce projet, la construction de nouvelles infrastructures dans la ville de Goma devrait commencer le 23 février 2015 et se terminer d’ici le 5 décembre 2016. La ville de Goma devrait avoir de super Bornes Fontaines en octobre 2015 et de nouvelles Bornes Fontaines en mars 2016. Comme vous le constatez, le délai des travaux touche à son terme d’ici décembre 2016 alors qu’aucune trace n’est perceptible sur terrain jusqu’à ces jours. Entretemps, depuis 2014, Mercy Corps a recruté une trentaine d’expatriés avec des salaires colossaux et des avantages sociaux comme le logement, le transport, la scolarisation des enfants, etc. À cela s’ajoute le staff local et le fonctionnement de cette organisation. Toutes ces charges engagées pendant près de trois ans sont budgétivores ».

Pour YGL, en mettant un terme au secondement, Mercy Corps qui n’a rien réalisé jusque-là dans le cadre du projet IMAGINE, se cache derrière le système EGN/SGP. La fin du secondement est comme un coup de massue à sa tête. C’est pourquoi sa démarche aujourd’hui serait de « détourner l’attention des autorités provinciales » en surfant sur les « faiblesses » de ses partenaires et faire oublier ce qu’elle devrait exécuter. Par ailleurs, Mercy Corps dispose des données et des outils de gestion du réseau EGN/SGP que son équipe de secondement ne veut pas remettre à YGL en dépit de multiples correspondances. 

Devant l’incompréhension et la méfiance entre les partenaires, le Gouv’ a écrit le 21 septembre 2016 pour demander à Mercy Corps de lui transmettre son rapport d’activités, le chronogramme et le niveau d’exécution du budget ; à YGL de transmettre son rapport de gestion de l’EGN depuis le 22 juillet ; et à la REGIDESO d’éclairer sur ses modalités pratiques de contrôle et de canalisation des recettes en l’absence de Mercy Corps avant la résiliation unilatérale du protocole tripartite.