Quand art rime avec guérison

L’Institut français de Kinshasa abrite, depuis le 10 juillet, une présentation de soixante œuvres et des planches sur la manière artistique de guérir. L’accent est mis sur la médecine et les pouvoirs de protection traditionnels.

Cette exposition, montée avec  l’Institut des musées nationaux du Congo, montre comment « les objets d’art peuvent servir d’intermédiaires entre le monde des esprits et celui des humains pour apporter la bonne santé, obtenir la protection, assurer le succès à la chasse ou la victoire sur un ennemi, mais aussi la fécondité, la maternité et guérison » expliquent, dans la présentation, les organisateurs. Ces sculptures, toutes issues de la réserve de  l’Institut des musées nationaux du Congo, proviennent de l’art luba, songye, tshokwe, luluwa, yaka, pende… des ethnies situées  dans les provinces  du Katanga, du Maniema, du Bandundu et dans les deux Kasaï.  Pour le commissaire  de « L’art de guérir »,  Henry Bundjoko Banyata, coordonnateur des inventaires de l’Institut des musées nationaux du Congo, l’exposition tente de révéler  « la complexité de la médecine  africaine : à la fois matérielle et spirituelle, profane et sacrée, magique et religieuse ».  En outre, souligne-t-il, il s’agit de faire comprendre qu’en « Afrique, nous avons connu effectivement une médecine, et que cette médecine a réellement servi à sauver des vies. En cas d’épidémie par exemple, elle a su trouver des solutions pour protéger la vie ». L’exposition « L’art de guérir » vient démontrer que la médecine traditionnelle ne soigne pas seulement à l’aide des plantes, mais également sur la base de trois éléments : la divination, la guérison et la protection.

La divination, un élément clé  

Ces éléments ont toute une signification dans le processus de guérison, explique Henry Bundjoko Banyata. « On  ne peut pas soigner quelqu’un sans connaître l’origine de sa maladie. D’où l’importance de la divination. Elle servait à poser un diagnostique  pour  en trouver la cause. Le traitement thérapeutique était prescrit au patient après le rituel. Une  fois en bonne santé, il fallait chercher à le protéger contre d’éventuelles attaques pour prévenir les  rechutes. » Même si elle était simple et peu coûteuse, la médecine traditionnelle reste énigmatique et complexe  admet le commissaire, avant d’ajouter qu’ « il n’est pas facile de prouver, ni d’expliquer comment elle agit, comment le patient arrive à la guérison. Elle n’a rien de scientifique. » Toutefois, il est d’avis que dans l’art de guérir africain, la spiritualité est toujours prise en compte. Il y a également le sacré et le profane qui interviennent. « Comment expliquer qu’après avoir frotté du kaolin (argile blanche) sur un malade, qu’il puisse guérir ? De façon scientifique, cette réalité est difficile à comprendre, mais elle est acceptable de façon métaphysique. »

Des pratiques pleines de mystères

L’exposition est constituée de statuettes, d’amulettes, de cornes et poteaux protecteurs, tous des objets  sculptés en bois. Ils sont les réceptacles, lors d’un rituel, de divers ingrédients d’origine végétale, animale, voire humaine explique le commissaire de l’exposition. Manipulés par le nganga (maître des forges), ils possèdent le pouvoir d’éloigner le danger, de soigner les blessures et de renvoyer les mauvais sorts. Pendant la découverte de l’art, le conservateur affirme que les sculptures exposées conservent encore tout leur pouvoir mystérieux. Elles sont capables de protéger, de guérir tout comme de nuire.

Une grande variété d’objets 

Les vitrines sont pleines d’objets consacrées à la divination, à la guérison et à la protection. Seule le commentaire concernant chacun d’eux permet de les distinguer les uns des autres. Devant la vitrine contenant des objets de divination, on peut lire ce commentaire : « la divination est du ressort du nganga ngombo (devin, médium). Elle exige des oracles divinatoires, une clairvoyance, un langage ésotérique et des rites.  La divination se fait à travers l’usage de divers types d’instruments  tels que l’oracle à frottement, le tambour à fente, l’anse à claquement, la corne magique. »  Leur manipulation s’accompagne d’un rituel, d’un système de codes, de formules magiques et de gestes inhabituels.  Dans cette forêt d’objets, on aperçoit le galukoshi, un instrument de divination pende en forme d’accordéon avec à son bout un petit masque.  Il s’allonge quand le devin le tire pour identifier le coupable. Un peu plus loin, le tambour à fente,  cet outil de musique est indispensable dans la divination médiumnique, dit Henry Bundjoko. Il est enduit à l’intérieur d’une poudre blanche de kaolin. Le devin l’utilise pour le diagnostic des maladies graves ou de durée inhabituelle. Il danse avec un vif déhanchement au rythme du tambour, entre en transe et marmonne des paroles ésotériques et mélodieuses en une interrogation chantée. Pendant la cérémonie, le devin se pare  de bracelets, de colliers, de peaux de bêtes, de plumes d’oiseaux et s’enduit le corps de peintures.  Cet attirail joue un rôle important. Il facilite la voyance et la guérison, canalise les énergies cosmiques  et établit le contact avec les ancêtres, les esprits de la nature et les forces magnétiques protectrices de l’univers. Le kashekesheke (anse divinatoire luba) fait partie de l’oracle divinatoire à claquement lubuko (divination). On le trouve au Katanga. Le devin et son patient le tiennent en le balançant. Quand l’oracle émet un bruit sec, c’est que l’on a  obtenu la réponse à la question posée.

La protection suit la guérison 

Dans la société traditionnelle, les soins se prodiguent par voie orale ou anale, par l’application ou par l’incision. Certaines pratiques thérapeutiques et préparations de remèdes  exigent l’usage d’objets d’art (couteau, coupe, mortier et marmite). L’art de soigner est l’apanage du guérisseur «  nganga buko ». Les guérisseurs sont des herboristes. Ils tiennent compte du fait que les problèmes sociaux et religieux, les forces maléfiques et les conflits entre les personnes sont aussi à l’origine des maladies. Le guérisseur sélectionne les essences aux vertus thérapeutiques d’origine végétale (feuille, racine, fruit, graine…), animale (peau, griffe, os, corne…)  et minérale (kaolin, terre, argile…). Les essences médicamenteuses que l’on utilise pour le soin du malade ne peuvent assurer la guérison que si leur cueillette et leur transformation en remède sont précédées d’un rituel.

Un code de conduite à respecter

L’efficacité et la réussite de la médecine traditionnelle dépendent du guérisseur. Il doit respecter scrupuleusement sa déontologie. Elle exige le respect strict des diagnostics, des prescriptions, des interdits et des rites inhérents. L’étal destiné aux objets consacrés à la guérison est riche en instruments de musique et quelques statuettes à fin thérapeutique. Le nkoko ngombo, par exemple, souligne Henry Bundjoko qui a longtemps vécu au Bandundu chez les Yaka pour s’imprégner de certains usages,  est un instrument thérapeutique. Certains médicaments sont préparés dans son creux cylindrique. Il  est utilisé durant des séances  de musicothérapie pour la guérison de la dépression nerveuse (épilepsie, troubles mentaux et autres). La statuette mbwoolo est utilisée pour la guérison des maux de ventre, des douleurs osseuses et musculaires. Pour guérir mambuku mong (la poliomyélite), le praticien se sert du kinkomolo, un poteau gardien yaka. Après les soins, le guérisseur doit savoir protéger les patients  contre les récidives éventuelles. La protection peut être individuelle ou collective. Les rites qui l’accompagnent sont très complexes et se fondent toujours sur un ordre religieux et un système de croyance.  Le devin les exécute par des  formules, des libations, des offrandes  et des paroles. Le but est de renforcer le pouvoir des objets de guérison tels que les statuettes, les amulettes et autres charmes. Afin de mettre un accent particulier des pratiques de la médecine traditionnelle africaine à travers les œuvres d’art, l’exposition continuera jusqu’au 10 octobre. C’est la troisième collaboration entre l’Institut français et l’Institut des musées nationaux du Congo. Elle vient après «  Femme et pouvoirs », en 2009, et « Instruments de musique et de communication en RDC », en 2013.