Quand les fabriques et le commerce des montres se démocratisent !

La RDC, le Nigeria et l’Afrique du Sud sont citées parmi les grands consommateurs de montres de contrefaçon sur le continent africain. Le phénomène rapporte gros et échappe à tout contrôle, même en Occident.

JAMES THORPE, un Anglais de 33 ans, a vendu via eBay pour environ 750 000 euros de montres. Sauf qu’il s’agissait de contrefaçons et que, malgré son arrestation, l’argent s’est littéralement évaporé. Après des perquisitions menées à quatre adresses différentes, rapporte le Mirror, de fausses montres, des cadrans, des bracelets, des certificats de garantie au nom de Rolex, Omega et Swatch étaient saisis. 

La pratique apparemment complexe s’est pourtant banalisée à travers le monde, singulièrement en Chine et en Afrique, rapportent des médias. Ariel Adams et Tom Adelstein, journalistes d’investigation, ont entrepris de longues et onéreuses enquêtes, rencontré des chefs d’entreprise, leurs distributeurs, les revendeurs dans de nombreux pays. Ils ont acheté des montres ici et là, les ont comparées, ont noté les particularités. Ils ont conclu à des imbroglios juridico-commerciaux et de puissantes ramifications et protections installées dans l’industrie des contrefaçons des montres. 

Rolex controversé

« Un épais mystère que personne n’arrive à percer. Rolex a beau être la marque la plus importante de l’industrie horlogère, nul ne connaît ses résultats », écrit cet autre journaliste d’investigation, Valère Gogniat. Et de poursuivre : « Inutile de s’étendre sur la légendaire discrétion de l’industrie de la montre – du moins quand il s’agit de parler chiffres. C’est simple : soit les marques sont intégrées à des groupes, soit elles sont (comme Rolex) en mains privées. Dans les deux cas, elles n’ont pas à détailler l’évolution de leurs ventes, ce qui laisse le champ libre à toutes les estimations ».

Fin avril 2018, la banque américaine Morgan Stanley a tenté d’éventrer le boa. Elle estime qu’en 2017, la marque à la couronne a réalisé un chiffre d’affaires de 3,9 milliards de francs suisses, et la marque Swatch aurait écoulé 5,9 millions de montres. 

Pour la banque, le classement des plus grands fabricants en termes de chiffre d’affaires se présente comme suit : Rolex arrive en tête, suivi d’Omega, Cartier, Longines et Patek Philippe. Vontobel estime à 4,7 milliards de francs suisses, le chiffre d’affaires de Rolex en 2017, soit une différence de plus de 20 %. Ce qui représente quelque 1.1 milliard de francs suisses. Par ailleurs, la vente des montres Swatch à 11 millions. Au-delà de ces détails comptables, Morgan Stanley, qui s’est associée avec le consultant suisse Olivier Müller pour ce rapport, met un accent particulier sur la vente en ligne et « l’accès direct au client ». 

L’enquête de la banque souligne qu’aujourd’hui quelque 90 % des montres suisses (en valeur) sont encore vendues par des détaillants externes plutôt qu’en direct, par exemple via un site d’e-commerce. « C’est une proportion beaucoup plus importante que dans d’autres segments du luxe », constatent les auteurs de l’enquête, qui jugent que cette proportion pourrait baisser à 73 % d’ici à 2023. 

Il sied de noter que l’industrie horlogère produit environ 1,2 milliard de montres, en moyenne par an. Difficile, notent des experts, de faire un distinguo, entre les vraies et les fausses vraies montres. À Kinshasa, un vendeur ambulant a vendu à un jeune taximan, le 26 septembre 2018, sur le boulevard du 30 juin, une montre estampillée Rolex à 12 000 FC, moins de 10 dollars. 

Non loin de cette grande avenue de Kinshasa comparée à l’avenue Foch de Paris, la même montre, identique à tous points de vue, se vend 400 000 FC dans un magasin situé dans une gallérie qui jouxte l’Hôtel Memling. « Ce prix ne se justifie que par l’emplacement du magasin, au centre-ville. Nous, tous, nous achetons chez les Chinois… », confie l’heureux revendeur. 

Apparence du luxe

Ce n’est pas une révélation, les Chinois ont inondé le marché intérieur des produits ayant l’apparence du luxe sans en avoir le coût… À quelques pas de la bifurcation des avenues du commerce et Kasa-Vubu, des montres sont, en effet, vendues comme des produits de pacotille, de la friandise, étalées à même le sol. 

Le côté humoristique de ce marché à la sauvette qui s’est développé dans les grands carrefours de la capitale, est qu’un simple singlet, une batterie d’un téléphone portable coûtent plus cher qu’une montre luxueusement labellisée. Avec 3 000 FC, vous avez une Seïko mais à y voir de près le label porte 2 k, Seïkko. « C’est comme ça, et ça se vend », fait comprendre Djino, Serge en parler kinois, vendeur des « Lolonzo » (lire montre). « Comme le téléphone Nokla, on sait que l’original c’est Nokia… le plus important est que ça fonctionne et que la montre vous aille bien », poursuit-il.  

Toutes ces montres de contrefaçon ne sont pas forcément importées. On en fabriquerait aussi à Kinshasa, non pas seulement par des Chinois, des Libanais, des Nigérians, des Camerounais mais aussi par des bricoleurs congolais, confie Djino. « Faites le tour de la ville, renchérit-il, tout souriant, d’un air ironique, au marché Koweït, à Lingwala le long du chemin de fer, sur 12ème Rue à Limete…, on monte des horloges, des montres avec des plaques de grandes marques Rolex, Omega, Swatch… Il y a même des maisons qui ne font que ça et les montres sont mises dans des rayons des magasins. Vous n’aurez aucune idée que c’est des produits ».