Retour sur la fusion controversée en arrière-plan de l’affaire Samsung 

Soupçonné de corruption, le patron du groupe sud-coréen a été arrêté. D’après les enquêteurs, la société aurait versé des pots de vin afin que le gouvernement soutienne le rapprochement entre Cheil Industries et Samsung C&T. 

Coup de tonnerre dans le monde des affaires sud-coréen. Le patron de Samsung, Jay Y. Lee, a été incarcéré dans la nuit de jeudi à vendredi par les juges enquêtant sur une affaire de trafic d’influence . Il est accusé d’avoir versé des pots de vin à une proche de Park Geun-hye, la présidente sud-coréenne, en vue d’obtenir des arbitrages favorables à son entreprise.

D’après les enquêteurs, les « donations » de Samsung avaient notamment pour but d’inciter le gouvernement à donner son feu vert à la fusion controversée entre Samsung C&T et Cheil Industries. Une opération capitale pour la famille Lee, qui lui avait permis de renforcer son contrôle sur l’ensemble du conglomérat. Retour sur un rapprochement mouvementé. Dans la complexe structure capitalistique de Samsung – enchevêtrement de participations croisées -, la filiale Samsung Everland détient une place de choix puisqu’elle trône en haut de l’organigramme du groupe sud-coréen et de toutes ses filiales.

Lee Kun-hee opéré en urgence

En 2007, la famille Lee, fondatrice du groupe électronique, possédait 28,8% dans cette holding qui exploite notamment le plus grand parc d’attractions de Corée du Sud, ainsi que des terrains de golf. Trois ans plus tard, celui qui est alors président du conseil d’administration, Lee Kun-Hee, nomme sa fille de quarante ans, Lee Boojin, à la tête de Samsung Everland.

A compter de 2014, la passation de pouvoir entre Lee Kun-hee – incapable de continuer à diriger le groupe car opéré en urgence, au mois de mai, après une crise cardiaque et qui prépare là son retrait – , et son fils unique Jay Y. Lee, se met en branle.

Projet de fusion

Début juin, Samsung annonce l’introduction en Bourse à venir du holding familial et d’autres sociétés du groupe. L’objectif ? La réorganisation, entre héritiers , de leurs parts respectives dans chaque pôle du conglomérat et lever des capitaux pour racheter des titres dans d’autres sociétés de la galaxie Samsung qui en compte alors plus de 70.

A ce moment-là, Samsung Everland est contrôlé à 25,1% par Jay Y. Lee, par Lee Kun-hee (3,72%), et par ses deux soeurs (16,7 %). Cette structure possède alors 19,34 % de la compagnie d’assurance Samsung Life (dont Lee Kun-hee détient par ailleurs, en propre 20,7%), qui contrôle elle-même 7,5% de Samsung Electronics, le joyau du groupe.  Les membres de la famille détiennent aussi, en propre, près de 5% de Samsung Electronics. Quelques mois plus tard, la famille Lee présente le projet de fusion entre Everland, (renommé depuis Cheil Industries), et Samsung C & T (spécialisé dans la construction et le commerce) qui, entre-temps, ont été introduits tous les deux en Bourse fin 2014.

Bataille avec le fonds activiste Elliot Associates LP

Mais ce rapprochement n’est pas du goût de tout le monde. Tout particulièrement du fonds activiste américain Elliot Associates LP de Paul Singer qui détient 7,1% de Samsung C&T, ce qui en fait alors son troisième actionnaire, derrière le fonds de pension national sud-coréen (NPS) et Samsung Life Insurance.

Le Hedge Fund n’est pas satisfait de l’offre de Cheil Industries qui propose 0,35 nouvelle action pour chaque titre Samsung C&T. Jugeant que ce ratio sous-évalue ses parts dans Samsung C & T, Elliot Associates LP parvient à rallier plusieurs des actionnaires minoritaires puis porte l’affaire en justice . Mais le fonds américain sera systématiquement débouté par les tribunaux.

Il ne lui reste alors plus qu’un seul recours : réunir plus d’un tiers des voix au cours de l’assemblée d’actionnaires, qui se tient le 17 juillet 2015, pour rejeter le projet de fusion. Durant les jours qui précèdent cette assemblée cruciale, les deux camps multiplient les appels du pied aux petits porteurs qu’ils tentent de convaincre via des publicités dans les journaux, entre autres opérations de communication.

L’ex-directeur du NPS reconnaît avoir subi des pressions

Le vote est serré mais Samsung parvient à faire approuver son projet de rapprochement ; la fusion recueille 69,53% des suffrages exprimés. Un dénouement qui fait grincer des dents, et pas seulement celles de Elliot Associates LP qui est tout de même parvenu, au terme de cette bataille, à imposer à Samsung la promesse d’une amélioration de sa gouvernance, ainsi que la création d’un comité des droits des actionnaires.

En effet, beaucoup d’élus sud-coréens sont vent debout contre cette opération qui renforce la main-mise de la famille Lee sur Samsung, dans un contexte général où les chaebols, ces tentaculaires conglomérats coréens, et leur organisation capitalistique opaque ne sont plus guère en odeur de sainteté et sont de plus en plus éclaboussés par des scandales mixant corruption, impunité et relation incestueuse avec le pouvoir politique .

Surtout que la fusion entre Samsung C & T et Cheil Industries n’a pu être approuvée que grâce au soutien du NPS, actionnaire clé des deux filiales. Fin 2016, l’ancien directeur de ce grands fonds de pension contrôlé par le gouvernement avait été mis en examen dans le cadre de ce dossier et avait reconnu avoir subi des pressions de l’exécutif pour qu’il donne son feu vert au rapprochement entre les deux entités. Sûr que les enquêteurs ne manqueront pas de questionner Jay Y. Lee à ce sujet.