Sakombi Molendo veut mettre fin à la spoliation des entreprises publiques

Finie - vraiment finie ? - l’époque où les biens de l’État étaient considérés comme des biens sans maître ! Le ministre des Affaires foncières veut y croire, et pour cela, il a bien besoin de l’implication de tous. Décryptage.

LE CONSEIL des ministres  a donné son aval pour la titrisation des concessions et immeubles de l’État faisant partie de son domaine privé mais affectés aux entreprises publiques. Pour cela, le ministre des Affaires foncières préconise des mesures. Reste que ces mesures puissent être appliquées parce qu’une maffia s’est installée dans le pays dont l’objectif est de dépouiller l’État de tout son patrimoine foncier et immobilier. Aimé Sakombi Molendo, le ministre des Affaires foncières, a bien conscience que la tâche ne sera facile pour déjouer les stratagèmes que cette maffia a mis en place, mais il y croire fermement. Tout son engagement est parti d’un constat des lieux. Et en connaisseur du secteur, il a fait des recommandations au gouvernement. 

Le constat est que les fonds (concessions) et immeubles du domaine privé de l’État mis à la disposition des entreprises publiques, au moment de leur constitution ou au cours de leur exploitation, sont exposés à des actes de spoliation à grande échelle au profit des intérêts privés, souvent avec la complicité de certains services publics. En effet, a expliqué le ministre des Affaires foncières lors du Conseil des ministres du 19 juin dernier, des inventaires d’affectation de ces biens n’ont pas été formellement organisés quant à leur localisation et leurs spécifications. Pire, aucun décret n’a été signé à ce propos.

Suite donc au précédent, Aimé Sakombi a proposé au Conseil des ministres que cette situation soit corrigée le plus vite que possible. Il a demandé à cet effet que des instructions soient données illico presto aux entreprises publiques par leurs tutelles respectives, afin « d’obtenir, endéans trois mois, des certificats d’enregistrement des concessions ordinaires qui établissent leurs droits de jouissance sur le fonds et leurs droits de propriété sur les biens immobiliers y érigés ». 

Que soit également confié aux ministères des Affaires foncières et du Portefeuille le pilotage des mesures ainsi adoptées « aux fins de réaliser les missions prescrites dans la présente note en interface avec les ministres sectoriels concernés ». D’ailleurs, Aimé Sakombi a été appuyé dans cette démarche par Pius Mwabilu Mbayu Mukala, le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat. Mais comme chat échaudé craint même de l’eau froide, les syndicats dans les entreprises publiques demandent à voir, même s’ils soutiennent à 100 % cette initiative. Il y a longtemps, disent-ils, que cela aurait dû être fait.

Véritable tragédie

Il y a quelques années, un atelier avait été organisé à Kinshasa sur le thème de la protection des biens de l’État et des entreprises publiques dans le cadre du droit OHADA (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique). L’état des lieux qui avait été fait du patrimoine foncier et immobilier de l’État était sans appel : « une véritable tragédie ! ». L’article 208 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1873 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, telle que modifiée et complétée par la loi n°80-008 du 18 juillet 1980 stipule que le patrimoine immobilier de l’État comprend un domaine public et un domaine privé. 

Le domaine immobilier public de l’État est constitué de tous les immeubles qui sont affectés à un usage ou à un service public. Ces immeubles ne sont ni cessibles, ni susceptibles de location, tant qu’ils ne sont pas désaffectés. Tous les autres immeubles font partie du domaine privé de l’État. Concernant le patrimoine immobilier du domaine privé de l’État, après la création du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat, par ordonnance 88-023 du 7 mars 1988, le président de la République avait transféré par ordonnance 88-034 du 30 janvier 1988 certaines attributions relevant du ministère du Portefeuille au ministère des Finances et au ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat.

3Ainsi, conformément à l’ordonnance 88-034, il a été procédé, entre le ministère du Portefeuille et celui de l’Urbanisme et de l’Habitat, à une remise et reprise reprenant le patrimoine immobilier du domaine privé de l’État pour la ville de Kinshasa, le reste devant intervenir ultérieurement. Il s’agit de la liste des immeubles à usage d’habitation et la liste des immeubles affectés à différents quotas: présidence de la République, Forces armées de la RDC (FARDC), Coopération technique belge (CTB), Coopération technique française, Coopération technique chinoise, certaines ambassades, Fonds médical du Congo (FOMECO) et Fonds médical tropical (FOMETRO).

Au fil des années, la plupart de ces immeubles ont été soustraits du domaine privé de l’État pour diverses raisons, dont notamment les ventes régulières et irrégulières, les spoliations, les arrêts et jugements des cours et tribunaux condamnant l’État. Quant au patrimoine immobilier du domaine public, il est resté quasiment constant. Cependant, plusieurs espaces publics ont été occupés anarchiquement. En plus de la vétusté, les bâtiments n’ont pas connu des entretiens réguliers les mettant ainsi dans un état de délabrement avancé. S’agissant du patrimoine immobilier du domaine privé de l’État, les données actualisées en 2004 du secrétariat général à l’Urbanisme et à l’Habitat recensaient : 788 immeubles (Kinshasa), 348 immeubles (Bandundu), 543 immeubles (Bas-Congo), 1 582 (Équateur), 650 immeubles (Kasaï-Occidental), 766 immeubles (Kasaï-Oriental), 82 immeubles (Maniema), 488 (Nord-Kivu), 405 immeubles (Sud-Kivu), 2 007 immeubles (province-Orientale). Soit un total de 8 416 unités de logement à travers le pays. 

Faux et usage de faux 

En 2012, ce patrimoine s’est effrité : par exemple, à Kinshasa, 46 immeubles ont été soit vendus, soit cédés, soit encore spoliés. On ne sait pas dire aujourd’hui combien il en reste encore. En effet, depuis plusieurs années, c’est connu, l’État est victime d’une spoliation à grande échelle de son patrimoine immobilier du domaine privé par des tiers et bien plus par des autorités du pays, elles-mêmes, en complicité avec des agents de l’administration publique et des magistrats tout aussi du parquet que du siège. 

Beaucoup de documents relatifs à la cession à titre onéreux ou gratuit des immeubles du domaine privé de l’État sont des faux. Il s’agit notamment des actes de vente antidatés, des autorisations d’achat frauduleuses et des faux actes notariés. Les signatures des responsables étant soit imitées, soit scannées. Dans certains cas, les titulaires de ces documents frauduleux obtiennent même des jugements condamnant l’État par défaut devant les tribunaux. Ils induisent le plus souvent la justice en erreur, après s’être fait passer pour des victimes, généralement en se limitant à assigner les occupants ou des tiers. 

Très souvent aussi, certains jugements sont rendus avec complaisance, alors qu’il s’agit du patrimoine immobilier et foncier de l’État ! Pour atteindre leur objectif, les spoliateurs utilisent plusieurs stratagèmes : les dates d’audience ne sont jamais signifiées à l’État propriétaire ou le sont tardivement avec comme conséquence le déroulement des audiences sans que les avocats de la République ne comparaissent ou, dans certains cas, le retrait du mandat de l’avocat de la RDC ou pire encore les avocats de la République acquiescent avec complaisance ou complicité les prétentions des spoliateurs.