Se reconvertir pour survivre

En juin 1960, le Parlement belge vota une loi qui offrait aux sociétés de droit congolais la possibilité de se transformer en sociétés de droit belge. Va-t-on vivre un tel scénario mais dans le sens inverse ?

L’économie de la colonie belge était contrôlée par des groupes belges, dont la Société générale de Belgique, Empain, Lambert, Cominière. Mais il y avait d’autres sociétés étrangères, peu nombreuses certes, mais qui étaient influentes comme Unilever. Les grandes entreprises coloniales étaient dirigées en fait à partir de la métropole. Les richesses minières et agricoles avaient provoqué l’éclosion en Belgique de nouvelles branches d’industrie et la création de nombreux emplois. C’est le cas de la société métallurgique d’Hoboken, qui traitait les métaux non ferreux et fournissait à elle seule du travail à près de 4 000 ouvriers belges tandis que le traitement du diamant employait 15 000 ouvriers environ. L’apport de la colonie à l’économie belge fut également considérable dans d’autres secteurs comme les transports maritimes, l’ingénierie…

À quelque deux semaines seulement avant la proclamation de l’indépendance en juin 1960, le Parlement belge vota une loi qui offrait aux sociétés coloniales, et de droit congolais, la possibilité de se transformer en sociétés de droit belge. La manœuvre consista à placer ces entreprises sous la protection de l’État belge dont elles contribuaient à l’économie mais aussi à créer des filiales congolaises auxquelles elles feraient apport de leurs actifs, à l’exception de la trésorerie. La plupart des grandes entreprises coloniales saisirent la perche tendue et se muèrent en holdings de droit belge. Ils ne détenaient dans la plupart des cas comme seules participations que la totalité des titres de leurs filiales congolaises.

Le contentieux belgo-congolais

Elles mettaient ainsi à l’abri leurs avoirs hors du Congo en cas de nationalisation pure et simple de l’ensemble de l’appareil productif congolais. Il avait été aussi décidé la dissolution des sociétés à charte d’autant plus que la table ronde économique d’avril 1960 avait conclu au transfert du portefeuille de la colonie au nouvel État.  L’accord de février 1965 relatif au contentieux belgo-congolais aura été une étape importante dans l’évolution des actifs belges au Congo. Il consacra le partage de la dette publique de l’ancienne colonie et de son portefeuille. L’État devenait donc actionnaire dans de nombreuses entreprises et même actionnaire majoritaire dans d’autres comme l’UNATRA, principale société de transport fluvial. Il fit aussi son entrée dans le capital de l’Union minière à concurrence de 20 %, de la Compagnie maritime congolaise à hauteur de 30 %, de la Forminière à hauteur de 55 %, d’Air Congo à hauteur de 65 %. Enfin, il devenait également actionnaire dans les filiales des sociétés ayant adopté la nationalité belge en 1960 et 1961. Toutes ces entreprises ex-coloniales avaient des réserves importantes d’argent qu’elles n’injectèrent pas dans leurs filiales congolaises, à la rentabilité limitée, sinon nulle.

Par ailleurs, les sociétés ex-coloniales qui formaient le groupe de la Société générale de Belgique refusèrent de devenir des sociétés à portefeuille. L’accession de Mobutu au pouvoir en novembre 1965 redonna confiance aux milieux politiques et d’affaires belges. Le Congo était encore perçu comme un élément important de l’économie belge en termes d’emploi, de valeur ajoutée aux matières premières, de contribution au revenu national, sans compter les bénéfices des sociétés actives ou en lien avec lui. Mais ils déchantèrent en mai 1966, lorsque le président Mobutu remit en question le règlement du contentieux belgo-congolais de février 1965. Il imposa également une taxe générale de 7,5 % sur les affaires, sans compter les ponctions fiscales multiples et les impôts indirects élevés.

La conséquence est que les marges de profit des sociétés se réduisaient. Le nouveau régime s’en prit aussi aux sociétés ex-coloniales ayant adopté le droit belge. Une loi du 7 juin 1966 imposa le transfert obligatoire du siège social de ces sociétés étrangères ayant leur principal siège d’exploitation au Congo. Les sociétés qui ne s’y étaient pas conformées furent retirées du registre de commerce et interdites d’exercer au Congo. Comme si cela ne suffisait pas, la loi Bakajika (le sol et sous-sol appartiennent à l’État) visa principalement les concessions minières et territoriales accordées sous la période coloniale.

Les nationalisations

Dans sa quête d’asseoir son autorité, le président Mobutu avait dans son viseur les milieux d’affaires étrangers dont il recherchait l’engagement à son pouvoir. La gestion des entreprises en pâtit. C’est le cas de l’Union minière dont le refus des dirigeants de transférer le siège de la société au Congo entraîna la nationalisation de ses actifs congolais en décembre 1966. Mobutu créa une société d’État, la Gécomines, pour les exploiter. Mais une filiale de l’Union minière, la Société générale des minerais, gardait la main quant à l’assistance technique et la commercialisation des minerais. Le processus de dégagement de l’économie zaïroise des influences extérieures se poursuivit en novembre 1973. Mobutu zaïrianisa la plupart des entreprises détenues par des étrangers dans divers secteurs comme la construction, les hydrocarbures, les mines, l’agriculture et l’élevage…

Beaucoup d’inquiétudes

L’État reprit leurs actifs avant de les confier à des Zaïrois, dont des proches du Président, ses collaborateurs et les membres de leurs familles ou des fidèles soutiens politiques. L’ignorance et l’incurie des nouveaux propriétaires entraînèrent la faillite rapide de la plupart de ces affaires. Mobutu dut faire marche arrière et l’État reprit tout à son compte. Mais cette mesure ne résolut rien.  La notion de préférence nationale dans la loi de sous-traitance dans les contrats du secteur privé suscite déjà beaucoup d’inquiétudes au sein des entreprises, détenues majoritairement par des actionnaires internationaux et actives dans la fourniture de services en République démocratique du Congo, surtout dans le secteur minier. Elles ont encore quelques mois pour se conformer à la loi du 8 février 2017. La loi limite le volume des activités pouvant être sous-traitées à 40 % de la valeur d’un marché, et oblige à recourir à des appels d’offre pour des marchés supérieurs à 100 millions de francs congolais. C’est dire que beaucoup de sous-traitants, dans les mines, mais aussi dans les transports et les infrastructures, vont devoir  se restructurer en RDC, via une filiale, là où jusqu’à présent ils ne disposaient que d’une représentation ou d’une succursale.

Les milieux économiques dans le pays redoutent les sanctions au cas où la préférence congolaise prévue par la loi ne serait pas respectée. Les contrevenant pourraient être sanctionnés de la nullité des contrats conclus et d’une amende de 50 millions à 150 millions de francs congolais (jusqu’à 105 000 dollars). L’idée d’une participation plus active des Congolais à l’activité économique du pays est louable, mais la mise en œuvre sera très difficile. Que faut-il entendre par « sociétés congolaises » ? Celles qui sont dotées d’une majorité de salariés et de cadres de nationalité congolaise ou celles à capitaux majoritairement congolais ? Les grandes entreprises minières actives en RDC recourent à centaines de sous-traitants, en partie locaux et en partie étrangers, dotés ou non de filiales dans le pays. Elles sont incitées fortement par l’administration à donner la priorité à des entreprises congolaises. Même si a priori elles ne peuvent pas trouver parmi les sous-traitants congolais toutes les compétences nécessaires à leur activité.

Les entreprises étrangères engagent souvent des expatriés qui sont alors soumis à un impôt extraordinaire de 25 %. Pire, les sous-traitants étrangers sont considérées comme ayant un établissement stable en RDC et sont donc taxés en RDC comme s’ils étaient des entreprises résidentes congolaises, à condition d’avoir une activité sur six mois consécutifs. Or, c’est justement sur cette période de six mois que la loi introduit une exception permettant de recourir  à une société étrangère en cas d’indisponibilité ou inaccessibilité des services de sous-traitance recherchés.

La Fédération des entreprises du Congo (FEC) constitue à la fois la chambre de commerce et d’industrie et la principale organisation patronale de la République démocratique du Congo. Elle a été créée en 1972 sous l’appellation de l’Association nationale des entreprises du Zaïre (ANEZA), après la fusion de la Fédération des Associations provinciales des entreprises du Zaïre (FERZA), la Fédération nationale des Chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture (FNCCIA) et l’Association pour la promotion et la défense des intérêts des commerçants congolais (APRODECO). En 1997, l’ANEZA devient FEC (Fédération des entreprises du Congo). Elle représente actuellement plus de 2 500 sociétés actives dans tous les secteurs de l’économie nationale.