Sylvestre-Didier Mavouenzela

Président de la Chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture et des métiers de Pointe-Noire

« Si nous ne nous mobilisons pas, alors que nous sommes en danger, les autres ne le feront pas à notre place »   

BUSINESS ET FINANCES : Le forum sur l’économie verte en est à sa sixième édition à Pointe-Noire. Le fait qu’il continue à se tenir est-ce la preuve que la démarche est bien comprise par tous, c’est-à-dire vos partenaires, les institutions financières, le gouvernement, la population ? 

SYLVESTRE-DIDIER MAVOUENZELA : Je peux dire que la notion d’économie verte est de plus en plus comprise. Mais il faut accentuer la sensibilisation. Nous sommes conscients que cette économie ne peut se développer qu’à travers la sensibilisation  et la réglementation. À travers le forum, nous mettons l’accent sur la sensibilisation. C’est pourquoi, au cours de cette sixième édition, nous avons insisté sur la mise en place d’une fiscalité incitative pour le développement de cette économie, tout en misant sur le lobbying pour que l’économie verte soit une réalité.  Je constate que, d’année en année, nous avons plus d’intervenants. On a eu d’abord la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Cette année l’Union africaine (UA) est venue. Sur le plan local, de plus en plus de cadres de différentes administrations sont intervenus. Des ministres également.  Mais tout cela ne suffit pas.

Pourquoi ?

Il y a quelques années, on parlait de fracture numérique en ce qui concerne les nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’Afrique ne s’était pas mobilisée. Nous craignons que, demain, ce soit le cas pour l’économie verte et que l’on parle de fracture écologique. D’autant que c’est l’Afrique qui est parmi les plus vulnérables, les plus impuissants face aux dégâts environnementaux. Si nous ne nous mobilisons pas, alors que nous sommes en danger, les autres ne le feront pas à notre place. C’est le sens de notre engagement. Le forum devient, de plus en plus, un événement qui compte. Quoi qu’il en soit, un pays, pour se développer, a toujours besoin, de temps en temps, de se poser pour réfléchir.

Y a-t-il, au niveau du Congo, de Pointe-Noire, des entreprises qui se soient réellement lancées dans l’économie verte ?

Oui, il y en a. Nous avons, à la Chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture et des métiers de Pointe-Noire, aidé à la création de deux clusters. Un cluster sur la valorisation des déchets et un autre sur la cosmétique à partir de nos savoirs faire ancestraux. Pour ce forum, nous avons été contactés pour monter un cluster économie solaire. Cela montre que les entrepreneurs commencent à comprendre qu’il y a des opportunités. C’est pourquoi nous voulons pousser le gouvernement à mettre en place une bonne réglementation afin de générer de nouvelles opportunités d’affaires.

Cela veut dire qu’il n’y a pas encore de loi régissant la filière de l’économie verte ?

C’est le cas. C’est pourquoi nous y travaillons. Il est vrai que le gouvernement a fait de l’économie verte l’un des secteurs pour la diversification de l’économie. Mais les entreprises veulent voir la  volonté du gouvernement se manifester à travers la fiscalité. On ne voit encore rien venir. Cela explique pourquoi, au nombre des résolutions prises à l’issue de ce forum, il y en a une sur la mise en place d’une loi d’orientation sur l’économie verte au Congo. Nous avons bon espoir parce que le gouvernement compte organiser un forum sur le développement durable. Il en sortira, je pense, au moins cette nécessité de réglementation. C’est pourquoi nous avons anticipé en invitant également des élus à notre forum, à l’instar du vice-président de l’Assemblée nationale, pour qu’ils soient au courant des préoccupations des entrepreneurs.

Quel sera l’élément déterminant pour le décollage de l’économie verte ?

Je pense que ce sera la loi.  Mais aussi le lobbying. Je prends le cas du secteur des hydrocarbures ici. Il y a quelques années, tout le gaz était torchère. Depuis un certain temps, on a monté des centrales à gaz. Aujourd’hui, Pointe-Noire est entièrement alimentée par cette énergie issue du gaz, mais transformée. Cela signifie qu’il y a des avancées réelles, mas il faut continuer. Avec certaines associations partenaires, nous avons estimé qu’après le forum nous devons sensibiliser davantage la population de Pointe-Noire par le biais d’actions de terrain afin d’améliorer ses conditions de vie.

Vous avez évoqué le cas d’initiatives dans le domaine de la cosmétique, par exemple, qui mettent en valeur les connaissances traditionnelles. Peut-on, à ce stade, parler d’entreprises ou, plutôt, de démarche artisanale ?

C’est encore artisanal. Ce que nous essayons de faire c’est les aider à se structurer. Nous avons ainsi conclu un accord avec Cosmetic Valley, un cluster basé en France et qui regroupe toutes les grandes entreprises françaises de cette filière. Avec eux, nous sommes en train de voir comment des entreprises congolaises peuvent leur fournir un certain nombre d’ingrédients. Le problème c’est le marché. Et dans ce secteur, c’est l’export. Nous devons constituer une filière, de production d’abord, ensuite au niveau de l’exportation. Il faut vraiment tout mettre en œuvre pour accompagner ces initiatives. Avant, il s’agissait de gens qui travaillaient derrière leurs maisons et fabriquaient des produits mis dans des emballages de fortune. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Nous les avons regroupés et leurs produits sont de mieux en mieux emballés. Un business plan est en cours d’élaboration afin de les amener de l’informel vers le monde du formel.

La Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) est présente à Pointe-Noire. Est-ce que cela signifie qu’au niveau de l’Afrique centrale l’économie verte est déjà en marche ?

La CEEAC est en train de jeter les bases de l’économie verte dans notre sous-région. Elle a mis en place, lors de la conférence des ministres de la CEEAC sur le Fonds pour l’économie verte en Afrique centrale et la transformation structurelle de l’économie des ressources naturelles, organisée à Kinshasa en octobre 2014, le Système de l’économie verte en Afrique centrale (SEVAC). Il y a plusieurs composantes et chaque pays doit choisir un programme dans cet ensemble. Si nous avons parlé cette année de l’économie de reboisement c’est parce que le président de la République a choisi de planter un million d’arbres d’ici à dix ans, mais aussi parce que le Congo avait choisi, au niveau de la CEEAC, l’économie verte comme programme d’action. En plus, la CEEAC a bâti son programme sur l’économie verte et sur certains piliers : le programme d’appui au développement de l’économie verte en Afrique centrale ; le Fonds pour l’économie verte en Afrique centrale, ainsi que notre forum qui, depuis 2012, a été reconnu par la CEEAC comme un outil de promotion de l’économie verte. Donc, cette économie est devenue une priorité. Il faut avancer, d’autant que la CEEAC est située dans le Bassin du Congo. Nous avons un avantage par rapport aux autres et nous devons le transformer en avantage compétitif.

Quels sont, selon vous, les produits sur lesquels l’économie verte devrait reposer ?

Je pense que nous devons choisir des produits par rapport à notre culture. Si un produit est culturellement chargé, il est difficile pour quelqu’un qui n’appartient pas à cette culture de vous concurrencer sur le marché. Si je prends le marché des produits tropicaux en Europe, il représente des millions d’euros. Nous avons une forte diaspora en Europe et elle continue à se nourrir comme ici. C’est donc nous qui devons approvisionner ce marché. Si nous ne nous mobilisons pas, les Chinois vont en prendre le monopole. Nous devons nous réveiller parce qu’il y a là d’énormes opportunités à saisir.

Que faut-il pour attirer de plus en plus d’investisseurs vers l’économie verte ?

À mon avis, il faut d’abord améliorer le climat des affaires de façon générale. Si on ne peut attirer d’investisseur vers l’économie « traditionnelle », il n’y en aura pas non plus dans l’économie verte. Cette économie est celle sur laquelle nous avons un avantage sur les autres. Mais, pour attirer les investisseurs, nous devrons améliorer le climat des affaires et la question des financements. Moi je suis convaincu que si on ne développe pas les entreprises en interne, on n’arrivera pas à attirer les autres. Sinon, s’ils venaient, ce serait simplement pour s’intéresser à des produits sans aucune incidence sur la vie de la majorité de la population. Nous devons absolument commencer par améliorer notre tissu économique. S’il s’agit toujours de pétrole, de mines, on affichera sans doute des taux de croissance intéressants, sans pour autant  améliorer les conditions de vie de la population.

Y a-t-il une recette pour améliorer le quotidien des Africains à partir de l’économie verte ? 

Je pense qu’il faut investir dans des secteurs qui emploient beaucoup de monde. C’est le cas, par exemple, de l’assainissement qui peut concerner le plus grand nombre. Toutes les villes africaines sont confrontées à la question de l’amoncellement des immondices. Tout le monde a l’impression que c’est nous qui produisons le plus de déchets, alors que ce n’est pas le cas. Et nous n’arrivons pas à nous en débarrasser. Si nous pouvions trouver une solution, ce serait intéressant pour beaucoup de personnes.  Je prends l’exemple des déchets ferreux. On en avait partout dans la ville à une certaine époque. Les gens se sont mis à les ramasser pour les revendre. Non seulement ils ont disparu mais ils ont permis à ceux qui les ramassaient de gagner de l’argent. Pour ce qui concerne les déchets domestiques, on peut les transformer en compost ou en cogénération. Ils auront, ainsi, une valeur marchande. Économiquement, ceux qui s’en chargent auront des revenus, d’un côté, et de l’autre un problème de santé publique sera résolu.

Les banques sont-elles prêtes à accorder des crédits à ceux qui se lancent dans l’économie verte ?

Les banques continuent de fonctionner sur la base de leurs critères internes. Pour impulser cette économie, il faut absolument des fonds. C’est pourquoi j’en appelle à la mise sur pied du Fonds pour l’économie verte. Ce fonds sera comme un catalyseur qui convaincra les banques de prendre le relais. Il n’est pas facile pour un jeune entrepreneur qui commence d’accéder au crédit. Je pense que les États de la CEEAC, qui ont décidé de créer ce fonds, doivent le rendre opérationnel.

La vice-présidente des Chambres de commerce d’Afrique du Sud et d’Afrique australe a effectué le déplacement de Pointe-Noire. Y a-t-il une expérience dans cette partie du continent qui puisse vous inspirer ?

Si vous voyez le niveau de développement économique de l’Afrique du Sud et le reste de nos pays, le décalage est énorme. On a à gagner de l’Afrique du Sud. Elle n’est pas très loin de nos pays. Pourtant, nous allons parfois chercher très loin des produits que nous pouvons trouver en Afrique du Sud. Elle a elle-même compris qu’elle ne s’est pas suffisamment ouverte aux pays francophones. Elle a donc besoin de trouver de nouveaux marchés. En même temps, cela peut nous permettre de connaître les pratiques qu’elle a expérimentées. Et comme ses investisseurs cherchent à investir dans d’autres pays, c’est vraiment une opportunité.

En matière d’environnement, l’Afrique du Sud fait payer un certain nombre de taxes à la population. C’est le cas pour ceux qui achètent des véhicules, vecteurs de pollution. Est-ce un exemple à suivre ?

Je pense que cela est fait par rapport au niveau de développement et de pollution atteint par ce pays. Il y a énormément de véhicules et ils ont résolu le problème des transports en commun. Ceux qui n’ont pas de voiture savent qu’ils peuvent se déplacer dans des conditions correctes. Ce qui n’est pas du tout le cas en Afrique centrale. Nous devons d’abord restructurer le secteur des transports en commun. Si nous avons suffisamment de bus, nous réduirons le nombre de véhicules en circulation et les minibus vont disparaître. Aujourd’hui, comme vous le savez, ce sont les taxis qui font le transport en commun, alors que ce n’est pas leur vocation.

À la clôture du forum, vous avez parlé d’un essai marqué qu’il reste à transformer. Qu’avez-vous voulu dire ? 

Tout simplement que nous avons réussi à réunir tout le monde, nous avons pris des résolutions. Pour moi, la transformation c’est la mise en œuvre des résolutions et recommandations. C’est poucela que nous avons choisi de mettre en place un comité de suivi de ces recommandations. Sinon ce forum risque de ressembler à un lieu où les gens viennent se rencontrer pour parler, parler sans que rien ne se  passe. Nous devons absolument nous auto-évaluer. Nous voulons changer de modèle pour ne venir au forum qu’avec une liste de réalisations concrètes. Le forum ne sera plus qu’un aboutissement des actions que nous menons dans l’année. Voilà pourquoi j’ai parlé d’essai à transformer.

Pointe-Noire est une ville pétrolière. Quels sont vos rapports avec les entreprises de ce secteur ?

Nous menons un certain nombre d’actions communes. Si je prends l’exemple de Total, nous avons depuis dix ans une action destinée à l’émergence des Petites et moyennes entreprises de Pointe-Noire. Total la soutient. Parmi les entreprises que nous soutenons, il y en a qui appartiennent à la filière économie verte. Nous sommes en pourparlers avec Chevron pour monter un programme destiné à accompagner des entrepreneurs. Les pétroliers commencent à comprendre qu’ils sont sur un territoire où ils s’enrichissent. Ils ont aussi la responsabilité de réaliser que ceux qui sont autour d’eux s’enrichissent aussi. Avant, ils étaient dans la logique du don : médicaments, fournitures scolaires, etc. Aujourd’hui, plutôt que de donner du poisson aux gens, il faut leur apprendre à pêcher. Il y a, donc, de plus en plus d’entreprises pétrolières engagées dans le soutien à l’entreprenariat.

L’économie verte est-elle passée du slogan à la réalité concrète ?

Pour certains, ce n’est plus un slogan. Mais pour un grand nombre de nos compatriotes, c’est encore un slogan parce que nous n’avons pas encore réussi à les toucher. Il faut maintenant faire en sorte que cela devienne une réalité palpable. Le jour où nous parlerons d’assainissement, beaucoup de gens seront concernés. Le Congo a interdit l’importation de sachets en plastique, mais nous voyons encore des bouteilles en plastique dans la circulation. Je ne milite pas pour qu’on puisse les interdire. Je voudrais qu’on lance des actions pour pouvoir les récupérer et les recycler pour fabriquer une matière utilisée dans le revêtement des routes.  Si, par exemple, l’État peut demander aux douaniers de taxer, sans exagérer, chaque bouteille en plastique qui entre sur le territoire congolais, cela permettrait de mettre en place une action destinée à la récupération.