Tabac : l’État table sur plus de 71 millions de dollars de frais de douane

Dispensés de l’obligation d’obtenir la patente mais aussi de l’impôt sur les bénéfices et profits, des petites et micro-entreprises, les petits commerçants ambulants des cigarettes sont pourtant utilisés pour les écouler celles dont le taux de toxicité pose problème.

DES CIGARETTES estampillées Camel, Philip ou encore BAT se vendent toujours le long des grandes artères et même des bistrots de quartiers chauds de Kinshasa, tels que Matonge, Quartier 1 (boulevard Kimbuta), Bon-marché, 7è Rue Place commerciale, Delvaux, etc., particulièrement aux heures vespérales. Plusieurs semaines après les révélations de l’ONG suisse Public Eye sur des cigarettes très toxiques suisses coulées en Afrique, aucune précaution n’a été prise par les autorités congolaises pour prémunir les consommateurs de potentiels risques ou morbidités. 

Par contre, la Direction générale des douanes et accises (DGDA) escompte plus de 124, 3 milliards de nos francs, soit plus de 71 millions de dollars de recettes sur les tabacs importés en 2019. Certes, l’enquête publiée par l’ONG suisse, intitulée « Les cigarettes suisses font un tabac en Afrique », a particulièrement porté sur le Maroc, au regard de la place importante qu’occupe le pays pour les majors de l’industrie comme Japan Tobacco International (JTI), Phillip Morris International (PMI) ou Bristish American Tobacco (BAT). 

Goudron, carbone, nicotine

Le pays est en effet, la seconde destination de la cigarette fabriquée en Suisse avec 3,62 milliards d’unités absorbées en 2017 derrière le Japon et devant l’Afrique du Sud. « Les cigarettes fabriquées sur le sol helvétique et vendues au Maroc sont bien plus fortes, plus addictives et plus toxiques que celles que l’on trouve en Suisse ou en France », explique Public Eye.  

« Pour chacun des trois paramètres testés, goudron, monoxyde de carbone et nicotine, la quasi-totalité des cigarettes produites en Suisse et consommées au Maroc enregistre une teneur supérieure à celle observée dans les cigarettes suisses et françaises », renchérit-elle. Pour l’organisation, cette situation est notamment entretenue par le manque de contrôle de l’industrie et le laxisme des autorités africaines. 

« Si la Suisse ne contrôle pas les cigarettes fumées par ses habitants, elle ne s’intéresse pas plus à celles produites sur son sol et exportées, confirme l’Administration fédérale des douanes (AFD). Car ce ne sont pas les normes suisses qui s’appliquent, mais bien celles du pays qui importe ces cigarettes. La Confédération promeut ainsi et profite de l’existence d’un double standard, quitte à aggraver les problèmes de santé publique dans les pays importateurs », souligne Public Eye. Rares sont les pays équipés d’un laboratoire qui analysent systématiquement les cigarettes importées. 

Selon l’OMS, le Burkina Faso est le seul pays d’Afrique à le faire. En République démocratique du Congo, les experts de la DGDA ont plutôt fait part de la nécessité d’actualiser le tarif des droits et taxes à l’importation. La DGDA s’intéresse particulièrement à la cigarette électronique dont le volume d’importations en RDC dépasserait certains produits de base. 

Taxation ad valorem

Cependant, la douane espère tirer profit des importations des marchandises non prises en compte dans sa grille, singulièrement la cigarette électronique en 2019. Pour rappel, la Suisse a produit 34,6 milliards de cigarettes en 2016 pour des recettes d’exportation de 561 millions de francs suisses, d’après une étude de KPMG. En RDC, en vue de faciliter l’écoulement de la production locale, le gouvernement a opté d’exempter le tabac au marquage par vignettes des produits d’accises. 

Aussi, les cigarettes vendues en duty free, c’est-à-dire hors taxe, sont-elles exemptées du paiement des droits d’accises spécial sur les cigarettes perçues de services de la DGDA. Il s’agit, en effet, des revendeurs à la sauvette ou ambulants qui sont exemptés de l’impôt sur le bénéfice et le profit forfaitaire de 30 000 FC, soit environ 20 dollars. Quelque 1 433 333 micros-entreprises ont, en effet, été recensés en RDC, selon la loi de finances publiques de 2017. Les contribuables dispensés de l’obligation d’obtenir la patente conformément à la législation sur le petit commerce, sont les petits cultivateurs et les petits éleveurs, les petits commerçants ambulants des produits de consommation courante tels que cacahuètes, cigarettes portées en mains, les cireurs des chaussures, les vendeurs des journaux à la criée, etc. 

Par ailleurs, selon l’Alliance congolaise pour le contrôle de tabac (ACCT), la RDC applique une taxation ad valorem, c’est-à-dire une taxation basée sur la valeur déclarée des produits de tabac. « L’industrie du tabac peut déclarer n’importe quelle valeur de ce produit et, par conséquent, minorer le montant qu’il doit payer au gouvernement », a fait comprendre, dans une intervention à la presse, Dr Shamba, président de l’ACCT. 

Pourtant, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, une augmentation des taxes sur le tabac de 10 % entraîne généralement une baisse de 8 % de la consommation. 

En RDC, par contre, le prix du tabac n’augmente pas à un rythme susceptible de décourager les consommateurs. En 2018, l’Alliance congolaise pour le contrôle de tabac a sollicité du Parlement le renforcement des mesures fiscales sur les produits du tabac par le vote d’une loi portant sur une taxation spécifique, c’est-à-dire « basée sur le paquet ou le volume du tabac produit ». Rien n’est venu. 

Sinon que lors des conférences budgétaires, préludes à l’élaboration de la loi de finances 2019, un expert a fait que comprendre que « le droit d’accises sur l’industrie du tabac repose à la fois sur la taxation spécifique et la taxation ad valorem. »