Une cocotte-minute entre les mains des gouvernants

L’insécurité engendrée par certains comportements délictueux peut devenir, avec la montée de la criminalité, « le plus grave problème » de Kinshasa dans les prochaines années préviennent des experts en questions urbaines.

Un délinquant entre les mains de la police.
Un délinquant entre les mains de la police.

Kinshasa est en proie à une crise multiforme, qui n’épargne quasiment personne, particulièrement ceux qui vivent dans les quartiers défavorisés. L’insécurité consécutive à la délinquance urbaine règne au point que des autorités policières redoutent qu’elle prenne des proportions « alarmantes », tant les écarts sociaux deviennent vertigineux. Du coup, l’aptitude des responsables de la ville à prévenir et gérer les risques est depuis longtemps remise en question. Pour les spécialistes des problèmes de la ville, il y a insécurité « lorsque les populations ne sont pas protégées dans leurs activités publiques et privées ».

Répondre aux préoccupations de la jeunesse

« Il est encore plus difficile de répondre aux besoins des jeunes quand la pauvreté s’en mêle. Bien des ménages n’ont même pas les moyens de se procurer le minimum vital journalier et donc d’assurer l’avenir des enfants », souligne Pierre Amundala, sociologue et spécialiste des villes. Les actes de vandalisme, les extorsions de biens et les meurtres perpétrés par les jeunes délinquants, souvent en colère, sont de plus en plus enregistrés, même si les statistiques officielles sur la délinquance manquent. Et pour le chef de la police de la ville de Kinshasa, le général Célestin Kanyama, cela n’est pas à prendre à la légère. C’est pourquoi, chaque lundi, il multiplie les séances de réarmement moral des unités sous son commandement d’autant plus que des policiers et des militaires sont souvent mis en cause dans les actes de criminalité et de délinquance urbaine.

De plus en plus, des jeunes des communes kinoises en difficulté sont tentés par la délinquance. La précarité de la vie est telle que, chaque jour qui passe, la violence devient un exutoire. Des bandes organisées dénommées « écuries », surnommées Armée Rouge, Soweto, Bagdad, Californiens, Zoulous, Guerre de cent ans, etc., écument la ville, encouragées en cela par une police laxiste, sinon complice.

Violence gratuite

Les membres de ces gangs souvent rivaux et dont la moyenne d’âge oscille entre 16 et 18 ans, s’illustrent par une violence gratuite dans les quartiers et communes de Kinshasa. Environ 40% des jeunes kinois, d’après certaines enquêtes sociales, consomment des drogues fortes et de l’alcool frelaté. Au moins 70% d’entre eux sont exposés, précise un agent de la brigade anti-drogue. Le mode opératoire de ces « écuries » est le recours systématique à des armes blanches pour semer la terreur dans les quartiers et communes de la capitale. Ainsi, Matete, Kisenso, Ngaba, Bandalungwa, Kintambo, Barumbu, Kinshasa, Ngiri-Ngiri, Masina ; Mombele, Yolo et Kauka sont considérés comme des endroits à haut risque. « À l’évidence, il ne suffit pas de dire que ces voyous sont des marginaux d’autant qu’il est indéniable que la fracture sociale est patente. Il faudra nécessairement s’interroger à propos de leurs actes », fait remarquer Robert Tsasa, psychologue.

 Un prétexte vite trouvé : le manque d’emplois

« Lorsqu’on évalue leur capacité à se faire entendre, on se rend vite compte que le manque d’emploi (donc d’avenir social) et le leadership entre groupes rivaux, entre quartiers sont les principales revendications des délinquants », poursuit Robert Tsasa, qui mène une étude in situ sur le phénomène.

Par ailleurs, l’urbanisation anarchique est propice à l’insalubrité et à l’insécurité, qui s’accompagnent d’une criminalité aiguë. Jean-Marie Kidinda, sociologue et politologue, conseille de se pencher sur la situation avec une plus grande lucidité. « La commune incarne la proximité. C’est donc elle qui doit intervenir en première ligne pour garantir la sécurité des citoyens. Les enjeux locaux, dont la sécurité, doivent compter plus que les appartenances politiques et tribales lors des communales », déclare-t-il.

Le mot insécurité est sur toutes les lèvres, dans toutes les conversations. Tout le monde en parle, mais l’insécurité revêt pour chacun une réalité différente et cache des préoccupations variées. Les parents y verront avant tout le banditisme, auquel se livrent des jeunes gens et ils penseront avant tout à la sécurisation des lieux publics. Les écologistes pointeront du doigt la saleté, la pollution, la détérioration de certains quartiers, de certaines infrastructures et les craintes que cela inspire. Les personnes âgées relèveront davantage l’agressivité verbale et physique, les incivilités des jeunes. Ceux qui ont été confrontés à des délinquants mentionneront l’impunité ou réagiront par rapport à la sanction infligée. Les victimes, elles, souhaiteront être accueillies dignement, entendues et rassurées sur le destin de leur plainte.

La société civile s’en mêle

La société civile congolaise insiste, pour sa part, sur la prévention qui pourrait davantage constituer un rempart contre l’insécurité. Lorsqu’il était ministre d’État en charge de l’Intérieur, le général Denis Kalume Numbi avait, au début de son action, indiqué qu’il renforcerait la présence de policiers dans la rue, ainsi que la nécessité d’avoir des commissariats de police ouverts jour et nuit dans les quartiers. La problématique est complexe et variée. À cela s’ajoute une part subjective faite d’appréhensions, de peurs et d’angoisses.

Des sentiments également à prendre en considération pour ce qu’ils représentent. « Dire cela ne doit pas être pris comme une manière de noyer le poisson et de minimiser un sentiment et une réalité. Mais cette réalité est complexe et elle doit être traitée dans sa diversité, en profondeur. Aucun discours simpliste ou réducteur ne pourra prétendre apporter une réponse crédible à l’insécurité », martèle Jean-Marie Kidinda, pour qui l’enjeu est communal. L’échelon local est important, il a prise sur les problèmes quotidiens des habitants. Les communes devront gérer la police de proximité, organiser la cohabitation dans les quartiers », note Jean-Marie Kidinda.

Entente cordiale avec la police

C’est au niveau local, explique Kidinda, que des actions concrètes peuvent et doivent être menées. Police locale, propreté, incivilités, convivialité, loisirs, aménagement… Tout cela devra être géré par la collectivité. Mais les sanctions, le suivi des délinquants ou la récidive dépendent du gouvernement et des collectivités. Pour Pierre Amundala, chaque commune devrait contribuer à améliorer la sécurité, mais aussi mettre fin au sentiment d’insécurité qui traumatise plus d’un citoyen. Les doléances des populations montrent que les préoccupations premières des citoyens sont parfois très simples et identifiées : le banditisme (kuluna), le racket et le meurtre sur la voie publique, l’insalubrité dans les quartiers, la consommation de drogue fortes et d’alcool… Ces nuisances, précise le sociologue, sont considérées comme des cas « très problématiques » pour la sécurité.

Mais au-delà des causes de l’insécurité, l’accent devra être mis sur une autre donnée inquiétante : 70% des cas ne sont pas signalés à la police. « Il faudra prévoir des lieux d’écoute des victimes, éventuellement hors du cadre policier », préconise Roger Tsasa. Plus de 80% des victimes interrogées disent n’avoir pas été satisfaites par rapport aux services de la police.

Comme lui, des spécialistes des villes lancent des idées pour la sécurité dans les communes. Kidinda propose « la création dans chaque quartier fiché d’une médiation impliquant au moins la présence d’un notable respecté par tous, la valorisation de la police de proximité, la lutte contre les incivilités par la prévention à travers le sport ». Amundala conseille, lui, de « définir clairement les champs d’activité de la police de proximité, de prendre rapidement en charge les plaintes et de gérer efficacement la suite à y réserver, de renforcer la présence policière dans la rue ». Tsasa propose « la création d’un corps local composé de sportifs, de médiateurs chargés d’épauler les services de police ».

Crée un réseau d’information

Pour lutter contre les actes de vandalisme récurrents, Kidinda trouve la solution dans la création d’un réseau d’information de quartier. « Ce réseau doit œuvrer dans un espace géographique défini en dialogue et en concertation avec les services de police », précise-t-il. La solution se trouve aussi dans le renforcement des effectifs de la police de proximité. Denis Kalume l’avait si bien cerné. Conscient de l’insuffisance de policiers dans les sous-commissariats, il avait promis d’augmenter les effectifs du simple au double. Mais Amundala pense que cela ne suffit pas, qu’il faut aussi octroyer une prime communale compensant des conditions de travail ardues.

Kinshasa connaît des pics de délinquance. Un inspecteur de police pense que le remède réside dans le « Coban ». C’est une technique policière du Japon. Là où les agents de proximité sont affectés à un quartier, les Japonais les concentrent sur une seule rue, parfois même une partie de rue, classées dangereuses ou présentant des risques. L’avantage est de faire disparaître les délinquants de la circulation.