Une décentralisation au pas de charge

 Elle a été envisagée comme une vision de transformation, avec comme finalité le développement intégral au niveau local. Trois ans, c’est peu mais assez pour jeter les jalons. La bonne gouvernance demeure un défi majeur et la volonté politique, le levier du progrès. Le tour de provinces.

 

La République démocratique du Congo s’est engagée dans un processus de réforme administrative, ou de découpage territorial, voulue par la constitution du 18 février 2006, avec comme échéance l’année 2009. À ce deadline, le pays devait compter 26 provinces contre 11précédemment. Mais cela n’a pas pu se faire dans le timing fixé compte tenu de certains aléas ou par manque de volonté politique. 

Ce n’est qu’en juillet 2015 que le découpage territorial est devenu effectif, prenant une tournure politique que d’aucuns ont jugé « précipitée ». Faute d’une étude de faisabilité pour évaluer le coût financier de la réforme et déterminer s’il fallait y procéder par étapes progressives ou par le tout intégral. Le débat n’en finit pas. D’autant plus que le pouvoir a mis les pros et les antis décentralisation devant un fait accompli. Cela fera bientôt 3 ans que le processus a été lancé. Quelle lecture en faire ?  

Les pros décentralisation continuent de soutenir que la réforme administrative engagée est une opportunité pour la RDC au regard de l’immensité de son territoire (2 345 000 km²). Ils croient dans l’unité du pays pour son développement durable et ils sont convaincus qu’à la faveur de la décentralisation, ce développement s’accéléra. Avec la réforme de la décentralisation, l’exploitation de nombreuses ressources naturelles des 26 provinces est devenue l’enjeu majeur, lorsque l’on se projette dans le processus de globalisation et parce que la paix, la cohésion nationale, l’amélioration des infrastructures et des conditions de vie sociales sont au cœur des processus de développement. 

Le rôle d’impulsion

Voilà pourquoi, le gouvernement se doit de s’engager, comme exécutif central, à respecter fermement les règles qui régissent la décentralisation, et soutenir le fonctionnement des nouvelles provinces, tout en s’efforçant de répondre aux demandes légitimes de rétrocession d’une partie des recettes nationales (40 %) aux provinces. La plupart des nouvelles provinces manquent de tout : infrastructures de base, structures économiques viables,  voies de communications (routes, chemins de fer, aéroports, ports…)… Ce sont là autant de défis qui sont pour le gouvernement une opportunité de pouvoir agir efficacement afin de développer le pays. 

La décentralisation a l’avantage de rapprocher l’administration de l’administré, d’associer les communautés de base à la gestion de la cité, à travers des organes élus, dotés des pouvoirs spécifiques propres dans des matières telles que définies dans la constitution. Il faut donc au gouvernement trouver des mécanismes pour relever tous ces défis et trouver des réponses adéquates aux problèmes qui se posent, étant donné que le découpage ainsi décidé est une exigence de bonne gouvernance. Le rôle du gouvernement est de faire en sorte que la réforme administrative se déroule de manière rationnelle avec la mise en place de l’ensemble de l’arsenal juridique et économique qui va avec, ainsi que de tous les mécanismes de transfert de compétences du pouvoir central au pouvoir provincial, du pouvoir provincial aux entités territoriales décentralisées (ETD).

Il s’agit des 8 lois prioritaires ci-après : loi organique sur les limites de provinces et celles de la ville de Kinshasa ; loi de programmation de la décentralisation déterminant les modalités d’installation de nouvelles provinces ; loi organique fixant l’organisation et le fonctionnement de la Caisse nationale de péréquation ; loi fixant la nomenclature des droits, taxes et redevances du pouvoir central, des provinces et des entités territoriales décentralisées ; loi relative au statut des chefs coutumiers ; loi-cadre de l’enseignement primaire et secondaire ; loi-cadre sur l’aménagement du territoire ; loi fixant l’organisation et le fonctionnement des services publics du pouvoir central, des provinces et des entités territoriales décentralisées. 

Il s’agit aussi de mettre sur pied un programme de renforcement du système de reddition de comptes par les exécutifs provinciaux de manière à s’assurer de la meilleure affectation des ressources perçues ; prendre des mesures règlementaires requises en vue d’accompagner le processus de regroupement volontaire des villages là où les conditions le permettent ; assurer progressivement le transfert des compétences et des charges ; et finaliser le processus de constitution et d’entretien du fichier de l’état-civil. 

Pour les pros décentralisation, elle offre la possibilité de donner à la population l’occasion de sentir l’impact de la gouvernance de proximité et de pouvoir espérer à l’amélioration de ses conditions de vie. 

Engagement politique

Les auteurs conçoivent la décentralisation comme étant la répartition des pouvoirs publics et l’organisation des rapports entre l’État et les collectivités locales. Dans le contexte congolais, le concept collectivités locales peut être pris pour les provinces et les ETD. De l’avis de beaucoup d’auteurs, un grand pays comme le nôtre, aux dimensions continentales et doté d’un potentiel économique immense, est par vocation voué à la décentralisation pour son développement.

Cependant, le développement local sera toujours proportionnel au niveau de l’engagement politique et de réussite de la décentralisation. Le paradoxe auquel nous assistons présente un niveau de développement en-dessous du potentiel économique ou de la capacité de gouvernance des pouvoirs publics. Cet état des choses ou d’esprit constitue une interpellation de toute la nation : gouvernants et gouvernés.

S’il est établi que la décentralisation a ceci de positif qu’elle rend la gouvernance moins lourde, attractive et productive, il est donc temps d’apporter des correctifs à tous les problèmes que les provinces ont rencontrés depuis juillet 2015 et d’inventer ou réinventer des solutions tant au niveau central qu’au niveau provincial. 

Et comme le soulignent les antis décentralisation, censée multiplier des centres d’impulsion, des compétences et des procédures, la décentralisation n’a fait que multiplier les problèmes. 

Le risque est de déboucher sur un système désarticulé et sans harmonie entre les compétences du pouvoir central et celles des provinces et des ETD, si ces correctifs ne sont pas rapidement apportés.