Upio Kakura Wapol, président de la commission nationale juridique

« Les quelques écueils identifiés par la FEC montrent à suffisance combien les investisseurs se retrouvent dans un engrenage d’insécurité juridique sans précédent du fait de la décentralisation fiscale insuffisamment encadrée et mal appliquée. »

La Fédération des entreprises du Congo a le réel plaisir de pouvoir présenter ce jour, dans le cadre du présent forum, le regard critique de ses membres sur l’expérience de la décentralisation fiscale dans notre pays. En effet, la FEC, organisation fortement décentralisée et active dans toutes les provinces, a salué – et salue toujours – la politique de décentralisation fiscale et financière, dès lors qu’elle peut contribuer à la promotion de l’efficacité dans la gestion des ressources locales, à une croissance dynamique de l’économie provinciale ou locale et à la réduction de la pauvreté, ce qui devrait permettre de stimuler l’épargne et la consommation des biens et services.

Il va sans dire que pour être efficace la décentralisation fiscale doit être accompagnée de réformes institutionnelles et législatives régulièrement mises à jour, bien appliquées, et portées par des ressources humaines compétentes et motivées, dans une approche participative impliquant les couches socio-économiques locales dans le processus de prise décision relative à la fiscalité locale. La FEC observe, non sans regret, qu’à quelques exceptions près, et l’insuffisance des capacités institutionnelles des administrations fiscales locales aidant, les impôts locaux se révèlent être nocifs pour les entreprises.

En effet, aujourd’hui, la perception du monde des affaires sur les différents leviers juridiques ainsi que sur les mécanismes d’établissement et de collecte des impôts, droits, taxes et redevances locaux indique que rien ne semble être fait pour impulser le développement à partir des provinces et entités décentralisées, moins encore pour promouvoir un climat sain des affaires et des investissements. Comme on peut le constater, de nombreuses faiblesses plombent les avantages de la décentralisation fiscale, notamment l’installation des structures et des services spécifiques dans chaque province pour la collecte des impôts et droits. Ces structures sont venues grossir le nombre des régies financières, aggravant ainsi l’ampleur des tourments imposés aux opérateurs économiques.

Les défis à relever

En effet, ces régies provinciales et leur appendice dans les villes, communes, secteurs et chefferies, faute de moyens conséquents, et surtout par manque de maîtrise de champs respectifs de ressources locales ou partagées avec l’État, développent à leur tour des dispositifs tracassiers. Pour information, une récente étude a dénombré l’existence de 5 538 prélèvements à l’initiative des provinces, 5 194 à l’initiative des villes, 27 738 à l’initiative des communes, 6 123 à l’initiative des secteurs et 3 419 à l’initiative des chefferies. C’est le défi de l’interlocuteur fiscal unique, quelle que soit la nature de l’imposition et celle de paiement.

La création de droits et taxes en violation de la nomenclature légalement fixée en faveur des provinces et ETD. À ce propos, le ministère en charge des Relations avec le Parlement a publié un recueil des édits provinciaux non conformes aux lois et règlements nationaux d’exécution. Malheureusement, aucune action n’a été menée par le gouvernement pour que les édits incriminés, du reste nuls et abrogés de plein droit, soient retirés de la circulation par leurs auteurs. C’est le deuxième défi : celui de la sanction.

La fixation des taux des taxes sans consultation préalable entre entités ni analyse sur la compétitivité économique et commerciale des entreprises ou le niveau des prix surtout lorsque l’on considère le pouvoir d’achat de la population à l’intérieur du pays. Ainsi, par exemple, les marchandises produites localement ou importées, considérées comme en libre circulation sur l’ensemble du territoire national, sont soumises aux droits qui se superposent d’une province à une autre. Le cas de la perception de la taxe d’embarquement au départ et de débarquement à l’arrivée est très éloquent. Le taux de cette taxe est de 6 dollars la tonne au Kongo-Central et de 10 dollars la tonne à l’Équateur.

L’institution des procédures contraignantes en matière de recouvrement, en l’occurrence les pratiques intempestives de saisies des comptes dans le cadre des avis à tiers détenteurs pénalisant les activités des entreprises. Alors que l’entreprise et ses activités ont une portée nationale, une province peut s’évertuer à bloquer ses comptes, voire à sceller l’entreprise, sans se soucier des conséquences sur la poursuite de l’exploitation dans d’autres territoires de la province ou du pays. Le récent démembrement des provinces a occasionné des réclamations, en cours d’exercice, par les nouvelles provinces, des droits et taxes déjà payés par les entreprises dans le cadre de l’ancienne configuration.

La réglementation et l’imposition par les provinces des matières déjà réglementées ou imposées au niveau central à la base des contentieux, notamment, en matière de paiement de l’impôt sur le revenu locatif réclamé aujourd’hui par les provinces aux promoteurs immobiliers alors que ceux-ci en sont exemptés. Il en est de même de la réclamation de paiement de la taxe de pollution par les provinces pour les installations classées de la catégorie 1.a dans le secteur de l’environnement, alors que la loi de finances l’a cédée au pouvoir central. C’est le problème de cohérence entre régime fiscal local et le régime fiscal national ou du pouvoir central.

Les quelques écueils ci-haut identifiés par la FEC montrent à suffisance combien les investisseurs se retrouvent dans un engrenage d’insécurité juridique sans précédent du fait de la décentralisation fiscale insuffisamment encadrée et mal appliquée.

Pour remédier à cette situation qui affecte négativement l’initiative privée, la FEC formule les propositions suivantes qui seront sans doute discutées et enrichies au cours de nos travaux en atelier, à savoir l’interdiction aux institutions provinciales d’initier et de créer des droits, taxes et redevances non prévus dans la nomenclature établie par la loi ; l’encadrement de la liberté des provinces et ETD en matière d’établissement des règles et procédures fiscales et des recettes non fiscales; le renforcement de l’efficacité des services des provinces et ETD en matière de collecte d’informations sur les activités économiques, particulièrement, de petite taille; l’instauration d’un mécanisme efficace de concertation entre provinces d’une part et, entre provinces et pouvoir central d’autre part, sur la hauteur des droits et les modalités de leur perception; l’adoption d’une nouvelle nomenclature assainie des droits et taxes et redevances avec la suppression des redondances, de double emploi, des formulations ambiguës… ; la fusion de certains prélèvements de même nature collectés sur une même base mais perçus à la fois par le pouvoir central et par les provinces.

Tel est le cas par exemple du droit de consommation sur certains produits perçus par les provinces et les accises sur les mêmes produits perçus par la DGDA au niveau central, l’impôt foncier et la redevance sur la concession ordinaire ; l’harmonisation entre le pouvoir central et les provinces sur les matières relevant des compétences concurrentes en vue de rationaliser les perceptions ; le renforcement des capacités institutionnelles et humaines des administrations fiscales locales ; la fusion de toutes les régies fiscales et des recettes non fiscales, au niveau central et provincial.

Recommandations

La mobilisation des moyens pour financer le développement à partir des provinces impose des réformes structurelles à impact rapide, afin d’éviter le saupoudrage des recettes observé à ce jour, lequel annihile tous les efforts consentis jusque là. À cet effet, la mise en place d’un système de prélèvement plus simple et souple est appropriée pour les provinces et ETD.

Ce système devra être capable de réduire l’expansion de l’économie informelle, de contenir des collusions dans le recouvrement de l’impôt et de juguler l’évasion et la fraude fiscales. Un dispositif efficient et transparent qui assure la participation effective du secteur privé au processus de décision en matière d’imposition locale est également requis. C’est le vibrant appel que lance le monde des affaires en direction du gouvernement, étant assuré de sa volonté et sa détermination pour l’amélioration décisive du climat des affaires.