USA/Huawei : adaptons nos grilles de lecture à l’époque numérique

Beaucoup d’observateurs parlent de Huawei comme un acteur de facto exclu de la scène technologique mondiale. Pourtant, les réalités techniques et commerciales engendrant plutôt des lignes de fragmentation et non pas la disparition occidentale d’un acteur aujourd’hui incontournable.

Alors que l’actualité entourant Huawei a défrayé la chronique ces derniers jours, beaucoup ont vu à travers ce conflit les traits d’une guerre économique pure et dure avec des conséquences pour Huawei comparables à celles qu’a pu rencontrer l’Iran.

À première vue, cela semble parfaitement adéquat : la redoutée Entity List américaine fait ressortir 38 occurrences pour Huawei contre 54 pour l’Iran. Peu rassurant. Néanmoins, une étude approfondie des différents éléments fait ressortir des conclusions plus mesurées.

Situation unique

Certains diraient «Aux mêmes maux les mêmes remèdes», mais ce cas présente pourtant plusieurs particularités uniques et il s’avérerait périlleux de le traiter avec les grilles de lecture traditionnelles.

Tout d’abord, Huawei ne vend pas des commodités énergétiques facilement substituables, mais des produits de haute technologie qui peuvent constituer un handicap pour ceux qui ne s’en dotent pas . Le marché chinois et les représailles envisageables par Pékin sont aussi sans commune mesure avec celles à la disposition du pouvoir iranien.

Huawei représente 105 milliards de dollars de chiffre d’affaires, correspond à un quart du marché des smartphones en Europe ce semestre et dispose d’un réseau commercial colossal qu’il convient de ne pas sous-estimer.

L’écosystème

Contrairement à ce qu’il pourrait laisser paraître, l’écosystème des smartphones est bien plus ouvert et perméable qu’il ne peut y sembler.

Android fonctionne grâce à un langage de programmation librement accessible, Java. 

En outre, Huawei n’ayant pas perdu les accès aux bases ouvertes du système Android (AOSP), les développeurs pourront facilement adapter leurs applications à un éventuel dérivé d’Android conçu par Huawei.

L’accès au Google Play Store, souvent décrit comme indispensable, est pourtant un élément dont les développeurs peuvent se passer. L’un des jeux sur mobile parmi les plus téléchargés de la planète (Fortnite) n’y est même pas présent, le studio (en partie chinois) ayant décidé de passer outre ! Dernier point majeur : les applications mobiles natives (adaptées à un système) sont en ralentissement, au profit des Progressive Web Apps, applications universelles utilisant les moteurs des navigateurs Internet tout en profitant de toutes les ressources natives . Comble de l’histoire, cette technologie utilisable par tous a été poussée par… Google.

Google n’est pas un facteur différenciant

Contrairement à l’image courante, tous les signaux font ressortir les limites de l’attractivité de Google. On estime ainsi que le taux d’adoption d’un moteur de recherché proposé par défaut est de plus de 80 % – Google ou pas –, justifiant dès lors les 12 milliards de dollars versés annuellement à Apple par Google pour rester le moteur de recherche par défaut sur iOS !

Qui plus est, les derniers smartphones de Huawei disposent d’innovations technologiques reconnues et propres à leurs produits (selon les spécialistes, leur modèle phare est doté du meilleur appareil photo du marché), qui tendent un peu plus à réduire l’influence de Google sur la décision d’achat. Malgré cela, Gmail, Google Search, Google Maps ou YouTube resteront toujours parfaitement accessibles via les navigateurs ou grâce à de futures Progressive Web Apps téléchargeables directement.

Une fragmentation irrémédiable

Dans ce contexte, l’influence américaine pourra être contenue (les composants étant pour la plupart substituables) et les pays tiers voudront à tout prix éviter une prise de position en conservant des équipements Huawei dans leurs infrastructures non critiques.

Malgré un intérêt public porté sur l’activité Smartphones de Huawei, les équipements en Télécommunications restent la principale activité du groupe.Toutes ces spécificités invitent à la mesure lors de la définition des perspectives de la scène technologique mondiale comme celles de Huawei. Les inconnues restent encore trop nombreuses pour pouvoir déterminer avec précision quel sera l’impact sur les décisions d’achats des Occidentaux.

Deux éléments se dégagent toutefois. L’Amérique, via Google, perdra automatiquement en influence technologique à la suite de ce conflit : cette décision soudaine découragera l’installation des services de Google par défaut sur les futurs smartphones et réduira le volume d’Android.

Une autre conséquence est certaine : ce conflit fragmentera la scène technologique comme il va fragmenter le monde, avec des lignes de faille béantes et difficilement franchissables malgré l’universalité de certaines technologies.