Bralima, la mousse de la méfiance identitaire déborde

Combien de cadres congolais resteront-ils encore dans cette brasserie, d’ici octobre, quand elle totalisera 95 ans d’existence ? La majorité du personnel de commandement vit la peur au ventre. À qui demain le tour de partir… pour être remplacé par un Nigérian ou un Indien ?

 

Tout commence en 2017. La direction générale de la Brasserie, Limonaderie et Malterie (BRALIMA) annonce, à travers un mémorandum, à son personnel la suppression des postes. Motif évoqué : la nécessité de restructuration des activités dictée par un contexte économique difficile dans lequel l’entreprise évolue depuis quelques années. La direction générale de l’entreprise évoque notamment l’augmentation par la Direction générale des douanes et accises (DGDA) des droits d’accises de plus de 50 %, l’instauration par la Direction générale des impôts (DGI) d’un impôt indirect dû sur la consommation. Le document fait également mention de l’augmentation des tarifs de consommation d’eau  (REGIDESO) et d’électricité (SNEL) de plus de 20 %. 

Pour la direction générale de la Bralima, les fermetures en 2016 des usines de Boma (Kongo-Central) et de Mbandaka (Équateur) avaient pour principale cause les pressions fiscales, lesquelles ont entrainé une dépréciation de 286 millions d’euros de ses actifs. Afin de focaliser ses efforts sur son métier de brasseur pour une optimisation de sa capacité de production et de distribution, la « suppression des postes » s’est avérée « inévitable ». 

Toutefois, la Bralima n’a jamais avancé le moindre chiffre des postes à supprimer ni la période d’exécution de cette décision. Entretemps, en février, la maison-mère, le brasseur néerlandais Heineken, a annoncé, pour l’exercice 2017, un bénéfice net en hausse de 25,6 %, à 1,93 milliard d’euros. Et le chiffre d’affaires s’est établi à 21,89 milliards d’euros, en hausse de 5,3 %. Voilà qui a permis au brasseur d’acquérir Basil Kirin, Punch et Lagunitas. 

Incongruité 

En République démocratique du Congo, par contre, la filiale de Heineken est loin d’être dans l’euphorie, du moins des travailleurs et cadres nationaux. Qui vivent dans l’incertitude et la peur du lendemain. Un climat malsain qui est monté d’un cran depuis que les agents et cadres de la Bralima ont réclamé et obtenu le départ d’un certain Caldini. Un haut cadre français de la compagnie qui aurait déclaré que les Congolais ont des insuffisances congénitales, un problème dans leur ADN. Heineken aurait envisagé des représailles, redoute ce syndicaliste sous couvert de l’anonymat. 

 En quelques mois seulement, tous les postes-clés de la Bralima ou presque sont occupés par des expatriés après le « remerciement » des Congolais sous prétexte que la société croule sous la pression fiscale de l’État. Curieusement, déplore ce syndicaliste, des Nigérians et des Indiens ont repris l’un après l’autre les postes laissés par des Congolais. Ils bénéficient de gros salaires, ils sont logés, véhiculés et la scolarité de leurs enfants prise en charge par la société. « Faites un tour à la Tasok, vous verrez combien il y a des enfants des agents nigérians de la Bralima. Alors que les Congolais n’ont que 90 000 FC pour la scolarité, les Nigérians bénéficieraient de quelque 1 700 euros », poursuit le syndicaliste qui se fonde, dit-il, sur les frais de scolarité exigés à l’école américaine. 

Le nouveau directeur technique de la brasserie est un Nigérian. Depuis, l’on assiste à un véritable exode des jeunes, visiblement venus droit non pas de Lagos ou d’Abuja mais des villages du diable vauvert nigérian, note le syndicaliste. Il a suffi d’une altercation entre eux pour qu’on comprenne que certains ont une parenté avec les nouveaux chefs de l’entreprise. « Dans les jours qui viennent, la langue du travail à la Bralima sera l’anglais… On aura des camionneurs et distributeurs de boissons étrangers à la Bralima », redoute ce chauffeur par nous contacté. 

En finir avec les Congolais

Pour lui, c’est une  « décongolisation » de la Bralima qui a pris d’ailleurs sa vitesse de croisière. À la Bouteillerie de Kinshasa (BOUKIN), une filiale de la Bralima, ce sont désormais des Indiens qui régneraient en maîtres. « Ils sont hautains, méprisants vis-à-vis des Congolais comme leurs frères magasiniers de l’avenue du Commerce », renchérit cet agent dont l’emploi est menacé. Son seul crime : être Congolais, sinon qu’un Indien doit le remplacer dans les prochains jours. L’astuce est tout simple : l’on vous gratifie d’un congé à brûle-pourpoint et à votre retour, vous n’avez plus de poste… puis le licenciement, a-t-on appris.  Pis, le centre médical  de la Bralima pourrait aussi fermer après des suppressions des postes à la queue leu leu. Selon un médecin du centre Le Diamant contacté par le hasard des réseaux sociaux, la Bralima négocierait par l’entremise d’une ancienne haut-cadre un contrat de sous-traitance avec Diamant. Une information que la mouvance syndicale ne confirme pas encore pour l’instant. « Ce serait une catastrophe… du suicide collectif », réagit ce syndicaliste sous couvert de l’anonymat. 

Comme pour effrayer les travailleurs congolais, les nouveaux maîtres nigérians et indiens, sous la bénédiction sans doute de la maison-mère, ont commencé par décapiter la mouvance syndicale. « Même du temps de la colonisation, dans les années 1920, les travailleurs indigènes ne subissaient pas des actes d’humiliation que nous essuyons tous les jours des chefs nigérians », confie ce cadre congolais, rencontré en catimini, aux alentours de la brasserie. Les agents de la Bralima montent en épingle le discours sur l’état de la nation le 5 avril 2016 devant le Congrès du président Joseph Kabila Kabange. Il avait déclaré : « Notre pays ne saurait plus indéfiniment être ce grand marché offrant l’opportunité d’affaires et d’emplois aux peuples des pays tiers, au détriment de  sa propre population et de son économie ».