Chanimétal et COFED en justice, la Régie des voies fluviales en pâtit

Dans le cadre du FED, l’Union européenne s’est engagée à doter la RVF des bateaux multifonctions. Mais le projet est resté à quai à la suite de l’action intentée en justice par le constructeur naval contre la COFED.

 Le constructeur naval Chanimétal a initié une procédure judiciaire en référé devant le tribunal de Grande instance, TGI de la Gombe, sous le RRE 91/2017 en annulation de l’attribution du marché « Europe AID/135950/IH/SUP/CD/Bateaux multifonctions/Lot 1 et lot 2, relatif à la conception, fabrication, fourniture et livraison des bateaux multifonctions à la Régie des voies fluviales (RVF) » par la Cellule d’appui à l’ordonnateur national du fonds européen de développement (COFED) à la société JGH Marine. L’action est pendante depuis septembre 2017 devant le TGI de la Gombe. Chanimétal a, par ailleurs, saisi l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) pour la même cause. Mais le régulateur de marchés publics a estimé que « la saisine du tribunal de Grande instance de Kinshasa/Gombe lui interdit de connaître la même cause.

Accord de Cotonou. 

En conséquence, elle ne saurait trancher le litige. »  La COFED, pour sa part, soutient qu’en vertu de l’Accord de Cotonou ratifié par la République démocratique du Congo, pour tous les marchés lancés dans le cadre de la mise en œuvre des programmes et des projets financés par le Fonds européen pour le développement (FED), les dispositions des procédures des passations des marchés des actions extérieures de l’UE constituent le seul cadre juridique applicable. En clair, l’on est parti pour une lancinante  guéguerre  juridique qui ne pourrait que davantage porter préjudices aux activités de la RVF.

Offres moins disantes  

Sur le fond, Chanimétal atteste que, le 16 novembre 2016, lors de l’ouverture des plis des soumissionnaires au public, ses offres ont été jugées les moins disantes, soit 3 419 426,87 euros pour le premier lot et 1 608 113,85 euros pour le second lot. Curieusement, contre son attente, la COFED attribue le marché (lot I) à un autre soumissionnaire JGH Marine, qui avait non seulement présenté des prix plus élevés, mais aussi une conception des bateaux contraire à l’appel d’offres. Lequel stipulait que « le bateau devra être équipé par le constructeur de deux moteurs diesel sur ligne d’arbres de 170 Cv et les arbres porte- hélices en acier inoxydable A316 ».

JGH Marine a plutôt proposé un propulseur simplement fixé sur le pont et qui ne dispose pas d’arbre à hélices, soutient Chanimétal. Par ailleurs, lit-on dans l’argumentaire de l’entreprise belge installée en RDC, JGH Marine ne dispose d’aucune infrastructure en RDC et ne peut faire état d’aucune expérience de construction des unités comparable à Chanimétal. Qui, lui, construit des unités navales pour le bassin hydrographique du fleuve Congo depuis près d’un siècle et dont c’est le corps de métier historique. JGH Marine n’a de surcroît aucun moyen d’assurer le service après-vente quelconque à l’utilisateur qui est la RVF.

Guide UE des marchés publics

Chanimétal rappelle que « le Guide pratique en matière des marchés publics dans le cadre des actions extérieures de l’Union européenne, PRAG, ne prévoit  la possibilité ni dans la procédure en cours ni avant ni en particulier après la signature du contrat de négociation avec un soumissionnaire, a fortiori, s’il s’est déjà vu notifier l’attribution d’un marché sur base de son offre ». Et Chanimétal de poursuivre : « Le PRAG exclut toute négociation pour modifier l’attribution d’un marché, que ce soit pour la rendre soudainement non conforme, ou encore, plus grave, pour la rendre moins chère, ce qui confirmerait d’ailleurs les indices de graves irrégularités présentes dans cette procédure. » Chanimétal renchérit : « Le Guide pratique en matière des marchés dans le cadre des actions extérieures de l’UE stipule que lorsque deux offres de fourniture sont reconnues équivalentes, la préférence est donnée au soumissionnaire d’un État ACP (Afrique Caraïbes Pacifique), ou qui permet la meilleure utilisation possible des ressources physiques et humaines des États ACP ou encore qui offre les possibilités les plus étendues de sous-traitance pour les personnes physiques, entreprises, sociétés des États ACP ». Chanimétal prétend être le seul soumissionnaire à remplir les conditions de l’Union européenne. Et, en outre, lui priver du lot I du marché dont question revient à priver ses travailleurs de Kinshasa de plus de 70 000 heures du travail.

Réaction de la  COFED

Pour la Cellule d’appui à l’ordonnateur national du fonds européen de développement, Chanimétal n’a pas tout simplement été en mesure de fournir, tel qu’exigé dans l’appel d’offres, les preuves de réalisation d’au moins deux marchés d’un budget d’au moins 500 000 euros entre 2011 et 2016. Chanimétal a, au contraire, apporté 4 photocopies libres de 4 contrats. Faute d’avoir apporté les preuves de sa capacité technique, concernant le lot I, tel que demandé dans le dossier d’appel d’offres, Chanimétal a été éliminé par le comité d’évaluation. « Il est inapproprié d’invoquer le bénéfice du PRAG, le Guide pratique en matière des marchés publics dans le cadre des actions extérieures de l’Union européenne sur la préférence reconnue aux États ACP sur les procédures FED. Cela n’est d’application que lorsque deux offres sont équivalentes techniquement et financièrement.

Dans le cas d’espèce, il y a absence d’une équivalence quelconque entre l’offre adjugée (lot I du marché des bateaux multifonctions) et celle de Chanimétal. Selon la COFED, en vertu de l’Accord de Cotonou ratifié par la RDC, les dispositions de procédure de passation des marchés des actions extérieures de l’Union européenne constitue le seul cadre juridique applicable. Les soumissionnaires aux marchés présentent leurs offres selon cette procédure et devraient, de ce fait, formuler leurs réclamations, le cas échéant, en vertu de ces mêmes dispositions.

Primauté de la loi internationale

En attendant la décision du TGI de la Gombe, certains experts dont ceux du Comité de règlement des différends de l’ARMP accordent une certaine primauté de l’Accord de Cotonou sur les lois nationales, notamment en matière des marchés publics. La coopération ACP-CE (UE), explique-t-on, est fondée sur un régime de droit et d’existence d’institutions conjointes. Les parties se sont, en effet, convenues que l’introduction et la mise en œuvre des politiques et des règles de concurrence saines et efficaces revêtent une importance capitale pour favoriser et assurer un climat propice aux investissements, un processus d’industrialisation durable et la transparence de l’accès aux marchés en assurant l’égalité des conditions de participation aux appels d’offres et aux marchés. L’article 215 de la constitution reconnaît aux traités et accords internationaux régulièrement ratifiés une force supérieure à celle des lois nationales. Ces textes des lois internationales et leurs directives d’application deviennent parties intégrantes de la législation ou de la réglementation nationale par voie d’insertion opérée à travers la ratification.