Chômage de masse/emploi : pourquoi les Congolais ne changent-ils pas de métier?

Un Congolais seulement sur cinq interrogés à Kinshasa souhaite changer de métier pour trouver un emploi correspondant à ses goals. Une étude du Centre de recherche Alter se penche sur le profil de ces actifs et inactifs qui envisagent la voie de la reconversion ou encore de la mobilité interne.

LA SITUATION d’actifs en emploi âgés de 23 à 62 ans est préoccupante à Kinshasa plus qu’ailleurs, selon plusieurs experts en la matière. Qu’il s’agisse des domaines professionnels comme le commerce, la mécanique, la banque… ou des métiers comme secrétaire, serveur, enseignant, médecin, journaliste, avocat…. L’enquête du centre de recherche Alter se base ainsi sur des réponses, représentatives des 1 300 personnes en emploi et au chômage ou inactifs sur un échantillon de base de 2 000 personnes.

On retiendra utilement de cette étude que certains envisagent souvent le virage professionnel après la perte d’un emploi. D’autres sont motivés de vivre pleinement de leur passion à l’intérieur. Clément Makiadi, lui, a décidé à 55 ans de changer de métier, dit-il, par manque de perspective d’évolution interne au sein de l’établissement bancaire qui l’employait. « Les banques chez nous ont une politique RH et managériale particulière et malheureusement fort répandue: aucune évolution vers des fonctions supérieurs et aucune motivation salariale, déplore-t-il. Alors après plusieurs années en tant qu’agent commercial, j’ai fait le choix de sortir de ma zone de confort pour me reconvertir dans le domaine agricole. » Sophie Gaiza, 35 ans au chômage après des études de droit, a décidé de se lancer dans le commerce. Et elle envisage de se reconvertir dans le numérique. 

Recommencer à zéro

Tout plaquer, recommencer à zéro. Comme Clément et Sophie, l’eldorado de la reconversion ou de la mobilité professionnelle n’attire pas encore un grand nombre d’actifs ou d’inactifs dans la capitale, et cela dans tous les secteurs, public comme privé. 

Plus de trois Congolais sur cinq actifs interrogés à Kinshasa âgés de 23 à 62 ans souhaiteraient terminer, en tout cas, leur carrière au sein de l’entreprise ou du service de l’État qui les emploie. Par ailleurs, ceux qui sont au chômage n’envisagent pas trouver de travail en dehors du secteur de leur formation professionnelle.

Selon l’étude du centre Alter qui sera publiée en mai prochain, moins de 15 % seulement des actifs en emploi ont ainsi changé de métier ou de profession au cours de cinq dernières années. La majorité d’entre eux, ne veulent pas entendre parler de reconversion, même s’ils venaient à perdre leur emploi. Sinon c’est reconvertir en politique comme député, sénateur, ministre ou gouverneur pour s’assurer une vie de pacha ou une retraite dorée.

Combien de Congolais seraient alors prêts à embrasser un nouveau métier, et aussi dans un autre domaine professionnel ? « C’est vraiment une question pour un champion. Je dirai que les jeunes et les femmes sont en première ligne. En tout cas, les personnes âgées de 23 à 35 ans disent être prêtes à changer de métier dans la vie », explique le sociologue Donatien Batuala, chercheur au centre Alter. Il est l’auteur d’une étude menée en 2016 à Kinshasa sur la mobilité professionnelle en RDC. « La plupart des jeunes diplômés de niveau Bac+3 ou plus y déclaraient vouloir trouver un emploi dans le public tout comme dans le privé, seulement dans le secteur de leur formation. 

Aucun, en tout cas, n’envisageait un changement significatif d’orientation professionnelle dans les deux premières années ayant suivi l’obtention de leur diplôme », fait-il comprendre.

C’est la raison pour laquelle, estime-t-il, la plupart des jeunes diplômés se trouvent donc en chômage. « Certes, c’est à cause de l’étroitesse du marché du travail, mais c’est surtout à cause d’un trop fort décalage entre le choix d’orientation universitaire et la réalité du monde du travail. C’est ainsi que l’expérience professionnelle est souvent décevante dans la plupart des cas. Or, pour les personnes en carrière ou touchées par le chômage, un changement d’emploi peut constituer une opportunité de rattrapage », nous explique ce sociologue. 

Les femmes ont, selon lui, une probabilité supérieure de changer de métier à celle des hommes. En cause, le sous-emploi et le manque de travail du conjoint les incitent généralement à travailler davantage, mais aussi à la recherche d’une meilleure conciliation vie pro/perso. Le fait d’être qualifiée et encore le fait d’être célibataire augmentent aussi la probabilité de changer de métier chez les femmes.

Contrats précaires

Sans surprise, la nature du poste occupé influe de manière non négligeable sur la mobilité. Donatien Batuala renseigne que les changements de métier sont beaucoup plus fréquents chez les personnes occupant des contrats précaires ou à durée déterminée. Tandis que les fonctionnaires et agents de l’État, par exemple, ne changent pas souvent de métier parce que soumis à des contrats indéterminés. 

Les caractéristiques individuelles ou la nature du poste ne sont pas les seules causes à entrer en considération. La situation géographique joue aussi un rôle important. De par sa plus forte densité d’emplois et son nombre plus important d’employeurs, la probabilité de changer d’emploi est plus forte au Katanga, par exemple, qu’à Kinshasa où le marché du travail est très restreint depuis plusieurs années, poursuit ce sociologue. 

D’après lui, le domaine d’activité d’origine est également déterminant. « Les travailleurs évoluant, par exemple, dans l’électricité-électronique ou dans l’artisanat ont une probabilité supérieure de changer de domaine d’activité supérieure à celle observée dans le domaine de l’administration publique, des professions juridiques, de l’armée et de la police », fait-il encore remarquer. À l’inverse, les actifs issus de domaines comme l’agriculture, la santé ou l’enseignement affichent des chances de mobilité nettement moindres.

Comment expliquer ces disparités? Le degré de « transférabilité » des compétences d’un métier à un autre facilite le changement d’employeur et donc le changement de métier, croit savoir Donatien Batuala. Ainsi dans près des deux tiers des cas de changement de métier, les personnes ont également rejoint un nouvel employeur. 

À noter une grande porosité de certains domaines comme ceux du BTP, de la maintenance ou encore de l’électricité-électronique. Si bien que « les anciens ouvriers du domaine de l’électricité-électronique travaillent souvent dans le BTP, la mécanique…, souligne-t-il. 

La formation professionnelle régulière ou encore le fort taux de turnover de certains domaines, comme le commerce ou l’hôtellerie-restauration, renforcent aussi les chances de mobilité à l’intérieur de l’entreprise ou dans le même secteur. Fait intéressant, d’autres domaines dont la banque et les télécoms, se distinguent par une grande mobilité, avant tout interne. « En effet, ils présentent le plus fort taux de promotion dans les cinq ans et figurent parmi les plus stables en matière de changement d’employeur. 

On peut en déduire que les personnes évoluant dans ces domaines qui forment bien et proposent des évolutions de carrière ont certes tendance à changer de métiers plus facilement mais tout en restant dans leur domaine d’activité.

Avantage de la mobilité

Sur la ligne d’arrivée, tout le monde est-il vraiment gagnant avec le changement d’emploi? Apparemment, oui, répond Batuala : « La mobilité est deux fois plus souvent ascendante que descendante. Par ailleurs, les personnes qui changent de métier perçoivent davantage une amélioration de leurs conditions de travail au cours des cinq ans que les autres. » 

Un bémol toutefois, ceux qui ont tenté l’aventure de la reconversion affirment plus fréquemment vouloir trouver un autre emploi que celles qui n’en ont pas changé. Plus mobiles donc, mais aussi certainement plus exigeantes. Clément Makiadi en sait quelque chose. Après avoir décroché un diplôme de l’Institut supérieur de commerce de Kinshasa et enchaîné quelques jobs dans le secteur des télécoms et de la banque, il vient de créer sa propre entreprise individuelle dans l’élevage. La meilleure manière, selon lui, de piloter comme il l’entend sa nouvelle vie professionnelle.