Faut-il encore conclure des accords de libre-échange ?

De fait, l’ampleur de la remise en cause de cette politique des accords commerciaux s’explique par plusieurs facteurs structurels, comme la montée de l’unilatéralisme et du mercantilisme, ainsi que la conjonction de plusieurs oppositions politiques : celle, traditionnelle, des producteurs nationaux qui s’inquiètent de la concurrence exacerbée induite par le libre-échange – c’est actuellement le cas des éleveurs, qui redoutent l’impact sur le marché des importations de bœuf brésilien – et celle, plus récente et plus vocale, des écologistes. Ceux-ci s’opposent aux importations de produits issus de pays supposés être moins exigeants que l’Europe en matière de protection de l’environnement, comme le poulet lavé au chlore ou le bœuf aux hormones. 

Les craintes portent sur la santé des consommateurs, mais aussi sur le climat et la biodiversité, l’agriculture industrielle étant vue comme un puissant facteur de déforestation. L’appel de Nicolas Hulot , exhortant les parlementaires français à s’opposer au Ceta, illustre parfaitement cette nouvelle doxa, qui oppose systématiquement commerce et climat.

L’examen des faits montre pourtant que ces prises de position radicales sont souvent infondées, ou très exagérées. Dans le Monde du 19 juillet, le directeur du  Centre d’études prospectives et d’informations internationales , Sébastien Jean, montre, données à l’appui, que les répercussions économiques de ces accords sont loin d’être aussi néfastes qu’annoncé, même sur les secteurs les plus sensibles, comme la viande bovine. Quant à l’impact environnemental, il doit aussi être évalué avec précision. L’auteur note par exemple que «la déforestation de l’Amazonie s’opère principalement sous la pression de la culture du soja , qui n’est pas affectée par l’accord». Mais qui est prêt à écouter des arguments rationnels ?

De même, ces accords sont aussi porteurs de bonnes nouvelles pour certains secteurs exportateurs de notre économie qui voient de nouveaux marchés s’ouvrir. Les producteurs français qui bénéficient d’indications géographiques protégées (IGP) ne peuvent que se réjouir des clauses contenues dans les traités récemment négociés, que ce soit avec le Canada ou le Mercosur. Mais, dans quels médias entend-on les représentants de ces secteurs s’exprimer ?

Sur le plan géopolitique, les grands enjeux sont évidents : il s’agit de la montée de l’unilatéralisme américain, et de l’inexorable progression de la Chine, symbolisée par les Nouvelles routes de la soie (BRI). Face à ces formidables défis, l’Europe doit afficher sa fermeté, et nouer des partenariats avec les autres pays ou zones géographiques dans un souci d’équilibre des forces. Les négociations commerciales avec le Canada, l’Amérique latine, le Japon, l’Asean prennent tout leur sens si l’on se place dans cette perspective. Mais est-on prêt à prendre ces éléments en considération ? 

Il faut donc élargir et approfondir la réflexion sur ces sujets essentiels, sans pour autant tomber dans l’apologie systématique du libre-échange et de la mondialisation heureuse. 

Peut-être faudrait-il faire preuve d’un peu de bon sens et admettre simplement qu’il peut y avoir de bons et de mauvais accords commerciaux. Il faut aussi savoir reconnaître les erreurs faites au nom de la mondialisation triomphante : l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, dans les conditions acceptées à l’époque, en fût certainement une.

Mais le principal angle mort de la politique commerciale est l’environnement, et il est désormais évident que les négociateurs des futurs traités ne pourront plus ignorer ce sujet comme ils l’ont souvent fait, voire ne le considérer que comme une nouvelle forme de protectionnisme. Le lien commerce-climat est devenu un thème incontournable, qui demande à être sérieusement analysé, et pris en compte dans toutes les négociations à venir.

Il faut également radicalement changer la manière dont ces négociations sont menées, et en finir avec les discussions secrètes qui débouchent sur des accords complètement ficelés, à prendre ou à laisser. Les opinions occidentales n’acceptent plus ces pratiques d’un autre âge. 

L’annonce de l’accord avec le Mercosur , à la dernière minute et à la surprise générale, est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Le débat démocratique doit donc retrouver sa place, même si la tâche des négociateurs en est forcément compliquée.

Dans ce contexte où ces questions de politique commerciale passent de la discussion entre initiés au débat public, il est essentiel que les politiques reprennent la main et avancent leurs idées et leurs analyses, face à l’opinion. Au sein du gouvernement français, il serait bon qu’un ministre soit clairement dédié à ces sujets et puisse mener les négociations avec nos partenaires et prendre la parole dans les médias chaque fois que nécessaire.