Judith Suminwa : un discours de politique générale qui marque l’histoire

Le vote de confiance n’était vraiment plus une obligation à l’issue du grand oral de la Première ministre devant les députés. Tant sa feuille de route hors des sentiers battus a fait la différence avec ses prédécesseurs. Tout était là, et c’est nouveau, tout était clair : dans la vision politique, dans la stratégie d’action, dans les mécanismes de financement, de suivi et évaluation du PAG ainsi que de collaboration avec les élus.

La Première ministre et son gouvernement face aux députés pour solliciter leur vote de confiance.

LES discours de politique générale devant les députés représentent, en général, est un moment clé, un marqueur politique qui permet au Premier ministre d’affirmer son style. Ou pas. L’exercice n’est pas exempt de risques, tant il est attendu par toute la nation. Pour Judith Suminwa Tuluka, la première femme Première ministre en République démocratique du Congo/RDC, il s’annonçait, avouons-le, particulièrement compliqué, même devant une Assemblée en majorité confiante, à en croire les rumeurs qui ont circulé la veille et l’avant-veille de la cérémonie de l’investiture de son gouvernement au Palais du peuple, mardi 11 juin 2024. 

A-t-elle réussi à convaincre et imposer sa marque comme certains de ces prédécesseurs ? Un discours d’1 h 44 :27, jugé « classique », certes, mais qui tranche vif dans le fond avec les discours de ses prédécesseurs, que la Première ministre a fait. Elle a présenté sa feuille de route dans laquelle elle affirme vouloir remplir sa mission avec « détermination et responsabilité », être jugée sur les résultats à fin exercice ou mandat. 

En pleine crise dans le pays où tout est finalement urgence – la guerre du M23, la baisse du pouvoir d’achat, la dépréciation de la monnaie, le ralentissement de la croissance… -, la cheffe du gouvernement appelle à une forte cohésion sociale comme une exception congolaise. Pour Judith Suminwa, juguler la crise qui met à mal la souveraineté et l’intégrité du pays, son économie et son développement, c’est un combat que les Congolais doivent mener tous ensemble, en mettant de côté les egos et les différences politiques. 

En effet, souligne-t-elle, le programme d’actions du gouvernement/PAG 2024-2028 qu’elle a présenté, répond à cette nécessité d’un combat commun. Il est l’expression d’un « engagement profond envers l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens et la transformation structurelle de notre pays ». En mettant le curseur sur la création d’emplois, la protection du pouvoir d’achat, l’aménagement du territoire, la sécurité, l’accès aux services sociaux de base, l’efficacité des services publics et la gestion durable de l’environnement, c’est bien là que l’avenir du pays est en jeu entant que nation. Et de dire comme pour solliciter l’adhésion de tous les Congolais à son programme : « Nous avons établi des bases solides pour la croissance économique, la stabilité politique et sociale, et l’inclusion de tous les citoyens dans le processus de développement. »

Après la prestation, les réactions à certains projets, réformes et actions déclinées sous forme de mesures par la nouvelle cheffe du gouvernement n’ont pas tardé. Elles sont même nombreuses, venant des oppositions, de la société civile, et allant majoritairement dans le sens du bénéfice de doute. À la tribune de l’Assemblée nationale, Christian Mwando, chef de file des députés sur le banc du parti Ensemble pour la République, a qualifié le PAG 2024-2028 de « chapelet de bonnes intentions ». Pour lui, c’est « du déjà vu et du déjà entendu ».

C’est l’impression partagée à l’opposition politique. La plupart fustigent le « caractère ambitieux » de ce programme et se demandent comment la Première ministre va s’y prendre pour mobiliser les fonds nécessaires pour sa réussite. « Sur les vraies préoccupations, par exemple, la lutte contre la corruption et l’impunité, je n’ai pas trouvé des réponses concrètes », déclare un cadre de Lamuka. Au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie/PPRD, on estime que la Première ministre n’a pas identifié les vrais problèmes de la société. « Dans son discours de politique générale, elle n’a pas tapé très fort sur les trois fléaux qui démoralisent la société congolaise : l’insécurité, l’impunité et la corruption », déclare un de ses cadres. 

Interrogé, le politologue Jean Marie Kidinda estime que Judith Suminwa a « la confiance de l’Assemblée nationale, et celle des citoyens » après son discours de politique générale. Il pointe du doigt « son volontarisme et sa méthode à vouloir apporter le changement dans le pays ». Comme lui, un autre enseignant du supérieur pense que « la réussite de la Première ministre dépendra de l’environnement politique. Elle a le profil technique pour bien faire les choses mais aura-t-elle la marge de manœuvre nécessaire et la liberté d’action ? ». Auprès des associations de la société civile, les soutiens à la Première ministre tombent à la pelle mais ils mettent l’accent sur une chose : « Elle doit faire preuve de fermeté et d’autorité envers ses ministres car elle sera jugée à la tâche. » 

Juger à la tâche, l’expression est lâchée. Judith Suminwa veut remettre la RDC en marche sur les bons rails. Pour cela, elle a invoqué le courage, la détermination et l’engagement en faveur de la justice, de l’égalité et des droits des femmes. Des valeurs qui ont ponctué l’action de « toutes ces femmes congolaises, de Kimpa Vita à Anuarite Nengapeta, de Sophie Kanza à toutes celles qui, dans l’anonymat, ont marqué l’histoire de notre pays ». 

La Première ministre les considère comme des « exemples inspirants de résilience et de lutte pour un avenir meilleur en RDC ». C’est donc dans le prolongement de leur combat qu’elle s’inscrit et s’engage, avec détermination et responsabilité, à conduire les affaires de l’État.

Pleinement consciente de la symbolique historique et de l’importance de sa nomination mais aussi du poids de la responsabilité, la Première ministre s’est présentée devant l’Assemblée nationale à un moment où les Congolais expriment, jamais comme auparavant, leurs souffrances, leurs impatiences, leurs colères. Devant les « élus légitimes du peuple » (sic), elle a fixé les repères, tracé la voie à suivre et la manière d’y arriver, pour remettre le Congo en marche sur les bons rails.

« La Première ministre s’est présentée devant l’Assemblée nationale à un moment où les Congolais expriment, jamais comme auparavant, leurs souffrances, leurs impatiences, leurs colères. Devant les « élus légitimes du peuple » (sic), elle a fixé les repères, tracé la voie à suivre et la manière d’y arriver, pour remettre le Congo en marche sur les bons rails. »

Dans son discours très attendu par la nation, elle a fait part de ses convictions que nous entrons dans une époque nouvelle, où de grands changements sont possibles. À la tribune de l’Assemblée nationale, elle a esquissé un vaste projet de modernisation sociale et économique de la RDC, pour une nouvelle société que tous les Congolais souhaitent vivement forte, prospère, solidaire et libérée.

Portée par l’euphorie de la victoire de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo aux élections de décembre 2023 pour un second mandat à la présidence de la République, la Première ministre a annoncé son « profond engagement » pour le changement. L’accent est mis sur la cohésion sociale, au cœur de la politique pour l’emploi et le pouvoir d’achat, avec de grandes réformes de structures, la décentralisation, la santé, l’éducation, la justice… La Première ministre a évoqué aussi devant l’Assemblée nationale la réforme de l’armée et de la police en veilleuse près de vingt ans déjà.

Le premier mandat de Félix Tshisekedi aura été un vaste chantier à ciel ouvert. Le second est perçu comme l’aboutissement et/ou la consolidation de ce qui a été déjà fait. La Première ministre reprend le flambeau pour entamer le virage de rigueur, l’accomplissement des engagements de Félix Antoine Tshisekedi vis-à-vis du peuple congolais. Judith Suminwa qui en sera le maître d’œuvre, a pris le pari de la diversification de l’économie. La Première ministre insiste aussi sur les attentes de la jeunesse pour faire quelque chose qui ressemble à la paix civile. 

En s’adressant directement aux députés, Judith Suminwa a voulu passer un message subliminal du genre : « Nous vivrons tous ensemble, nous mourons tous ensemble ». C’est de la coresponsabilité : « Votre gouvernement propose des mécanismes de collaboration avec le Parlement pour favoriser une communication ouverte, une collaboration constructive et un engagement mutuel. » Le PAG 2024-2028, a-t-elle dit, est assorti de certains instruments de collaboration avec l’Assemblée nationale qui sont essentiels pour assurer un fonctionnement démocratique et efficace du gouvernement, en permettant une supervision et un contrôle parlementaire appropriés.

Sur la base de cette collaboration voulue « ouverte et permanente », la Première ministre veut, au nom de son gouvernement, contribuer à la production législative. À cet effet, il soumettra à l’Assemblée nationale un agenda législatif comme cadre de référence de la collaboration interinstitutionnelle. « C’est nouveau ! », commente Jean Marie Kidinda, qui paraphrasant vraisemblablement Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, souligne que la difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre.

Dans un discours axé sur l’économie et le chômage, après cinq ans du président Tshisekedi au pouvoir et de détérioration des finances publiques, la Première ministre dresse un programme, qui passera par des mécanismes rigoureux de suivi et évaluation, de contrôle et pourquoi pas de sanctions. La Première ministre entend insuffler un « nouvel esprit » dans la gestion de l’État. Elle imprime son style de pilotage stratégique et opérationnel du PAG. 

Les Congolais rêvent d’un pays où l’on se parle à nouveau. Ils rêvent tout simplement d’un pays ambitieux où tous les habitants redécouvrent le sens de la fierté, et pourquoi pas de la fête et de la liberté ! Selon plusieurs sondages, ils sont nombreux à plébisciter la nomination de Judith Suminwa au poste de cheffe de gouvernement. Mais comme chat échaudé, ils se demandent si la suite sera aussi beaucoup plus rose. « Le chemin qui s’ouvre devant elle, est droit mais la pente est forte ». En effet, la majorité des Congolais placent l’action du gouvernement  sous le signe de l’urgence. « Voilà depuis des années qu’il y a toujours urgence. Peut-être davantage encore. Urgence économique, urgence sociale, urgence écologique, urgence politique…