Le dollar est dans un trou de souris

La guerre commerciale prônée par les États-Unis pourrait saper la confiance internationale dans le dollar. De plus en plus, des pays misent déjà sur l’or comme un actif de réserve ce qui pourrait mécaniquement conduire à l’augmentation de son prix.

 

L’escalade des tensions dans le commerce mondial pourrait se traduire par l’augmentation du cours d’or puisque les investisseurs cherchent désormais des havres de paix, a déclaré Rick Rule, patron de la société d’investissements Sprott U.S. Holdings Inc., cité par Bloomberg. D’après ses estimations, le prix de ce métal précieux pourrait dépasser 1 400 dollars l’once au cours de cette année suite à l’augmentation de la demande. Pour le moment, il est de 1 335 dollars. Ce niveau est déjà considéré comme étant critique pour le marché.

Selon lui, le fait que les États-Unis ont entamé une guerre commerciale « à somme nulle » provoque des préoccupations concernant l’intérêt d’acheter du dollar à long terme. Bloomberg indique que cela pourrait se traduire par une diminution de la demande d’actifs américains et de l’attractivité du dollar en tant que monnaie de réserve. L’intérêt de plus en plus évident pour l’achat d’or témoigne déjà de cette tendance.

La hausse des revenus et des épargnes en Asie, une région prédisposée pour l’achat d’or, pourrait également conduire à une demande plus élevée.

Aujourd’hui, plusieurs pays, dont la Russie et la Chine, renforcent leurs réserves d’or tandis que les États-Unis ne comptent que sur la confiance et leur dette qui équivaut à 123 milliards de milliards de dollars. D’autres pays misent également sur l’or. Par exemple, la Banque nationale hongroise a récemment décidé de transférer en Hongrie ses réserves d’or qu’elle conservait jusqu’ici à Londres. La Banque fédérale d’Allemagne a aussi rapatrié ses réserves d’or de New York et de Paris.

Union eurasiatique : s’en débarrasser ?

Les experts du club de discussion Valdaï et de la Banque eurasiatique de développement ont évoqué les possibilités de dédollarisation des pays de l’espace postsoviétique. Ayant reconnu qu’en comparaison avec d’autres pays le niveau de dollarisation financière était très élevé dans les pays membres de l’Union eurasiatique, ils ont souligné qu’il fallait tout de même renoncer au dollar.

Ces dernières années, les plus grandes économies veulent de plus en plus manipuler les flux financiers et exercer une pression politique sur leurs partenaires parmi les pays émergents, écrit le site d’information Gazeta.ru faisant le point sur la discussion des représentants du club Valdaï et de la Banque eurasiatique de développement. Pour la Russie et d’autres membres de l’Union économique eurasiatique (UEE), réduire la dépendance envers le dollar est une question de survie. Le pic de dépendance de ces économies envers la monnaie américaine a été enregistré en 2014-2016, quand la part de l’épargne en devises étrangères avait significativement augmenté dans tous les pays de l’UEE sous l’effet aussi bien des chocs extérieurs que du ralentissement de la croissance économique.

Par exemple, en Arménie, le niveau de dollarisation de l’épargne s’élevait à presque 70 % en 2016, et la dollarisation des prêts dépassait 60 %. Le niveau de dollarisation des prêts était similaire au Kazakhstan, mais l’épargne en dollars ne dépassait pas 35 %. La Biélorussie est en tête du classement avec une dollarisation des prêts de presque 75 % et environ 60 % de l’épargne. En Russie, la situation est plus favorable de ce point de vue: seulement 20 % de l’épargne et moins de 40 % des prêts sont en dollars.

Comme l’a expliqué Alexeï Kouznetsov, économiste de la Banque eurasiatique de développement, les principales raisons de la dollarisation de l’économie sont le niveau d’inflation élevé, la présence de différentes formes de gestion du cours du change, et la volatilité macroéconomique. « On perçoit clairement un lien entre l’inflation et le niveau de dollarisation financière », explique l’expert. Néanmoins, la dédollarisation dans le cadre de l’UEE avance lentement. Une dédollarisation efficace nécessite de fédérer le groupe des Brics + (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud avec encore une trentaine de partenaires) ou encore l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).

Le groupe des Brics + représente près de 40 % de la population de la planète, et l’OCS 50 %. Hormis la Chine et la Russie, l’OCS inclut le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, et depuis récemment l’Inde et le Pakistan. Soit plus de 3 milliards d’habitants. La Russie est prête à s’éloigner du dollar avec la Chine.

Pendant le sommet des Brics en 2017 dans la ville chinoise de Xiamen, Vladimir Poutine avait laissé entendre que la Russie partageait les préoccupations des Brics concernant l’emprise du dollar sur les opérations internationales. Iouri Kofner, expert du Haut collège d’économie, pense que les pays de l’UEE pourraient songer à la création d’un « écu eurasiatique ». Selon lui, il est inutile de remplacer le dollar et l’euro, par exemple, par le rouble ou même le yuan.

La défiance des banques centrales 

Bien qu’environ 64 % des réserves de change dans le monde soient actuellement libellées en dollars, les conditions d’achat de l’euro semblent avoir commencé à s’améliorer. Les plus grandes banques centrales du monde envisagent de réduire leurs réserves en dollar et de se tourner vers l’euro à la lumière du protectionnisme américain croissant, selon Bloomberg. « Avec la montée du protectionnisme américain, un certain nombre de stratèges de Wall Street affirment que les arguments en faveur de l’euro ont rarement été meilleurs », relate l’agence de presse. Jens Nordvig, stratège des devises de Wall Street, a affirmé que 500 000 000 000 dollars pourrait être converti en euros au cours des deux prochaines années, ce qui équivaut à une augmentation de 25 % de la réserve d’euros.

Le dollar américain représente la part du lion dans les réserves internationales, à hauteur de 11,3 millions de millions de dollars, et même une légère évolution liée à la diversification et à la protection contre la politique commerciale de Trump «pourrait avoir des conséquences significatives», souligne Bloomberg. Le cours du dollar a fortement chuté par crainte d’escalade des tensions commerciales après la décision de Donald Trump de sanctionner les importations chinoises. Pékin a de son côté tiré ses premières salves contre Washington, menaçant de droits de douane plus d’une centaine de produits américains.

Donald Trump a déclenché son offensive contre Pékin, évoquant des mesures punitives contre des importations chinoises d’un montant pouvant atteindre « 60 milliards de dollars ». Face aux menaces de guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, Wall Street a lourdement chuté et Tokyo, première grande place financière à réagir vendredi en Asie, a ouvert sur la même note, plongeant de plus de 3 %, et même de 4 % plus tard, alors que le yen, valeur refuge, se renforçait. Le dollar glissait ainsi sous la barre des 105 yens pour la première fois depuis l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche en novembre 2016.

D’éventuelles représailles de Pékin pourraient cibler aussi bien l’avionneur Boeing que les massives exportations américaines de soja, avec pour possible objectif de pénaliser des régions soutenant électoralement Donald Trump. La Chine et les États-Unis sont étroitement liés sur le plan économique et financier, bien que le déficit commercial sur les biens soit très défavorable aux Etats-Unis, ce que dénonce vivement le Président américain.  Les États-Unis ont exporté pour 130,4 milliards de dollars de marchandises vers la Chine et importé 505,6 milliards de biens chinois en 2017, selon les statistiques du département du Commerce, soit un déficit de 375,2 milliards de dollars. Les grandes multinationales américaines ont logiquement souffert après ces annonces de Trump, Boeing a perdu 5,19 %, General Motors 3,27 %, Caterpillar 5,71 % et General Electric 3,82 %. Signe des craintes très fortes de guerre commerciale, l’indice regroupant les valeurs de l’industrie américaine au sein du S&P 500 a perdu 3,28 %.

La démission de l’avocat dirigeant l’équipe qui conseille Trump dans l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur une éventuelle collusion entre son équipe de campagne et Moscou, John Dowd, a également inquiété Wall Street. « Nous avons franchi une ligne rouge », dans les démêlées judiciaires de la présidence, ont indiqué Art Hogan de Wunderlich Securities et Jack Ablin de Cresset Wealth Advisors, affirmant qu’« il s’agit d’un nouveau facteur d’instabilité problématique à la Maison-Blanche ».