Le gâchis évité

Tous les scenarii possibles du chaos étaient envisagés à propos de la date du 19 décembre, sensée marquer la fin du mandat constitutionnel du président de la République. Pour les tenants du pouvoir, la vie n’allait pas s’arrêter à cette date, tandis que pour les opposants au régime, ça devait passer ou casser. L’enjeu était la réaction des populations. Quel avenir pour la RDC ?

Avenue de la Justice dans la commune de la Gombe à Kinshasa aux environs de onze heures.

Dans tous les cas de figure, Kinshasa, la capitale, a ressemblé fort à une ville morte, lundi. Depuis septembre, les Congolais sont harcelés et victimes d’une guerre psychologique que se livrent les politiciens. Par ailleurs, cette guerre est amplifiée par les déclarations et les communiqués de quelques chancelleries occidentales prédisant, ou tout au moins redoutant, l’apocalypse en RDC autour du 19 décembre, et même après cette date butoir. Les chrétiens congolais se réjouissent que rien de tel ne soit arrivé à Kinshasa, voire dans l’arrière-pays, à en croire les témoignages rapportés par ci et par là. Cela était prévisible, à en juger par le dispositif sécuritaire qui a été mis en place le week-end.

Le tout sécuritaire

Apparemment, rien n’a été laissé de côté par les autorités pour dissuader les Congolais, surtout les militants de l’opposition, qui avaient envie de gagner la rue en masse dans l’objectif de changer l’ordre institutionnel. La présence très remarquée des militaires, dès les petites heures dans la nuit de vendredi à samedi, visiblement sur les nerfs et déployés sur les places publiques à forte affluence humaine, ainsi que les va et vient des engins anti-émeute dans les rues ont fini par provoquer la panique dans l’opinion. Les esprits avisés prédisaient même qu’un événement majeur allait se produire pendant la journée. L’attention étant focalisée sur la publication de la nouvelle équipe gouvernementale, d’autant plus que ça bruissait dans la ville. Et les Kinois se sont réveillés, dimanche, surpris de constater que le dispositif sécuritaire a été allégé. Les militaires qu’on a vus la veille ont été redéployés pour laisser la place à la police. Dans la soirée, la police a procédé à une fouille des véhicules sur les principaux axes routiers de la capitale. Mais les Kinois, bons vivants devant l’Éternel, ne se sont pas laissés impressionner par ce « régime d’exception ». L’ambiance dans les terrasses, bistrots et autres boîtes de nuit avait l’air habituel. Les solitaires de la nuit se baladaient comme si de rien n’était.Dans la guerre psychologique que se livrent les politiciens congolais sous le regard de la communauté internationale, le président de la République, Joseph Kabila, a sans doute remporté la bataille du 19 décembre.

Quel avenir pour la RDC après 2016

À son crédit, le soft landing au 19 décembre. Un atout de taille qui le crédibiliserait aux yeux du monde comme étant l’homme de la situation. C’est-à-dire celui qui est à même d’éviter au Congo un chaos et celui avec qui il faut composer désormais pour sortir le pays de la crise constitutionnelle. Autant que les populations, les milieux d’affaires s’inquiètent de l’avenir du Congo. Terre de business. Dans ce pays, tout est opportunité d’affaires.

Le Congo est la puissance économique de demain, d’où partira le développement durable du continent africain, foi du célèbre scientifique sénégalais Cheik Anta Diop. Selon cet éminent panafricaniste, « l’avenir de l’Afrique dépend de ce que l’on aura fait du Zaïre (RDC) ». Les yeux désormais fixés sur l’après-19 décembre, les opérateurs économiques sont à peu près d’accord qu’un consensus politique, même à minima, est nécessaire pour engager le pays sur les bons rails. Ce consensus passe tout d’abord par la mise en place rapide d’un gouvernement pour sortir le pays de l’incertitude dans laquelle il se trouve faute d’une administration publique forte, explique Mohamed Tiba, un homme d’affaires.

Les opérateurs économiques continuent de redouter les destructions et les pillages de leurs unités de production. En effet, quand il n’y a pas de bonne politique, il ne peut pas y avoir des bonnes affaires dans le pays. Pour les milieux d’affaires, il faudrait que le Premier ministre, Samy Badibanga, se mette déjà au travail. Les hommes d’affaires évoquent la triste époque de la transition démocratique des années 1990. Période pendant laquelle la politique avait lamentablement détérioré le climat des affaires entraînant le pays dans deux pillages sans précédent (1991 et 1993) qui ont foutu en moule le tissu économique. Au moment où ils s’emploient à remettre tout en ordre, il ne faudra pas qu’on revive les mêmes scènes comme en 1991 et 1993.

Attitude de neutralité

Aux assises du Dialogue politique de septembre où elle a pris une part active, la Fédération des entreprises du Congo (FEC) avait un seul message à faire passer : l’économie n’aime pas le désordre. Dans la crise politique qui secoue le pays, la FEC a adopté une attitude de neutralité se gardant de prendre toute mesure particulière en rapport avec les enjeux politiques de l’heure. Le président de la FEC/Haut-Katanga, Eric Monga, a déclaré que le patronat n’est pas un service public pour prendre une quelconque mesure sur la sécurisation des biens des entreprises affiliées. Marc Atibu Saleh, haut-cadre de la FEC à Kinshasa, a déploré que les entreprises subissent les conséquences des dérapages des manifestations politiques.

Même si le ciel n’est pas tombé sur les Congolais le 19 décembre, comme pour paraphraser Lambert Mende, le ministre sortant des Médias et porte-parole du gouvernement, la météo sociale annonce plutôt des jours de grisaille. Le prochain gouvernement est averti. La plupart des 26 provinces disposent déjà de leurs budgets pour 2017. Toutes ont tablé sur la rétrocession des recettes nationales réalisées en provinces par le gouvernement central. À défaut d’appliquer stricto sensu le principe de la retenue à la source des 40 % des recettes nationales réalisées par les provinces, le gouvernement s’est employé à l’arbitraire. Comme si cela ne suffisait pas, il a imposé aux provinces les affectations desdites ressources. D’où le ras-le-bol du gouverneur de Kinshasa, André Kimbuta : « On me construit de larges boulevards quand, moi, je projetais de construire un hôpital à Kinseso… ».

Feuille de route

Le Premier ministre issu de l’opposition a donc du pain sur la planche. La précarité de la vie sociale reste une question centrale, plus que la question électorale. L’économie nationale a bénéficié d’une croissance régulière pendant près de dix ans. La RDC a sans doute mieux traversé les crises financières et les investisseurs attachent de l’importance aux consommateurs congolais autant qu’aux ressources naturelles du pays. Mais les populations n’en voient pas encore les retombées dans leur vie de tous les jours. La plupart des questions clés auxquelles le nouveau gouvernement doit répondre hic et nunc trouvent leurs réponses au niveau mondial : le changement climatique, la stabilité du système financier et les modèles de développement durable.

Selon des aviseurs sur le Congo, le gouvernement devra adopter un programme de développement juste, a expliqué le professeur Jean-Marie Kidinda. Ce programme, a-t-il poursuivi, doit incarner le changement de direction et une planification à caractère social. Il doit aussi se recentrer sur l’apport de la valeur ajoutée et l’utilisation rationnelle des ressources. La société civile et la jeunesse font fort dans la revendication sociale. Si elle n’est pas utilisée de manière productive, la masse de jeunes de moins de trente ans peut aisément se transformer en bombe à retardement du fait de la persistance d’un chômage élevé qui attise le mécontentement social. Pour Jean-Marie Kidinda, le principal défi reste la création d’emplois pour les jeunes : « Si nous échouons, ce pays sera déstabilisé ». Le rôle joué par une jeunesse désabusée, privée de ses droits dans un pays miné par les problèmes de gouvernance n’est pas à minimiser.