Le gré à gré a encore des beaux jours devant lui

L’État veut assainir le secteur des marchés publics. La loi de finances publiques 2018 prévoit un arrêté interministériel Finances-Budget fixant le taux des droits sur les dossiers des contrats passés par cette procédure.

 

Le personnel de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) a plutôt été surpris par un décret du 1ER Ministre, Bruno Tshibala Nzenzhe, portant redevance en marché public. Selon les explications du président du conseil d’administration, Claudien Mulimilwa, ce décret a le mérite de pousser l’ARMP à amorcer des réformes liées à la régulation des marchés publics qui prennent  60 % du budget de l’État. « La signature de ce décret, qui marque le départ vers un nouvel élan de gouvernance, prouve à suffisance la volonté du gouvernement de mettre en application les 28 mesures économiques arrêtées pour la relance de l’économie nationale », a-t-il souligné.

Autorité de régulation

Pour  le directeur général de l’ARMP, Céleste Kuzikesa, le décret du 1ER Ministre permet désormais d’assurer la régulation des marchés publics dans tous les secteurs de la vie nationale, notamment les mines, l’agriculture, la pêche et l’élevage, l’éducation, la santé, l’environnement, les infrastructures, le transport, les télécommunications et autres. Il a indiqué que cette régulation s’étendra à tous les niveaux de gestion, partant des organes de gestion sur toute l’étendue du territoire, y compris les municipalités. L’ARMP, il sied de le rappeler, est un service public rattaché à la primature qui assure principalement la régulation du système de passation des marchés publics en République démocratique du Congo.

Violation de la loi

Cependant, le récent rapport du Bureau d’expertises comptables et de commissariat aux comptes (BEC Sarl) sur « l’audit définitif de conformité des marchés publics » réalisé à la demande de l’ARMP, prouve à suffisance que les marchés publics congolais évoluent plutôt dans le marché noir. L’étude de BEC Sarl a, en effet, porté sur 1 537 marchés publics d’une valeur de 2 164 341 215, 84 dollars.  « La plupart des marchés initiés par la procédure dérogatoire de gré à gré n’ont aucunement respecté les dispositions de l’article 42 de la loi 10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics et des articles 143, 144 et 145 du décret n°10/22 du 22 juin 2010 portant manuel des procédures de la loi relative aux marchés publics, si bien que les marchés dérogatoires (gré à gré) représentent en termes de volume 48.48 % », lit-on dans ce rapport.

Le BEC Sarl rappelle que les conditions essentielles pour obtenir un marché de gré à gré portent sur la détention d’un brevet d’invention, d’une licence ou d’un droit exclusif, les raisons techniques ou artistiques détenues par un seul prestataire, l’extrême urgence… les marchés spéciaux. Hélas, ces conditions ne sont pas toujours respectées. Et la Direction générale de contrôle des marchés publics (DGCMP) se retrouve enjambée sinon complice des forfaitures dans les marchés dérogatoires. L’autorité spéciale de la DGCMP a été accordée en violation de la loi pour le marché conclu entre l’Office des Routes (OR) et la firme SGBTP pour montant de 174 424,74 dollars portant sur les travaux de sauvegarde de la route nationale RN1, tronçon Kenge-Kikwit. Il s’y ajoute, poursuit l’audit, que ce contrat n’a même pas été soumis à l’autorité d’approbation, le ministère de tutelle, donc celui des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction (ITPR). BEC Sarl fait également état de ce marché non prévu dans le plan prévisionnel initial des passations des marchés relatif aux travaux de lutte antiérosive du site Bolikango dans la commune de Ngaliema attribués  par l’Office des voiries et drainages (OVD) à la société chinoise Zhengwei Technic Congo, pour un montant de 2 294 840, 22 dollars toutes taxes confondues. Ce marché a été attribué et son exécution entamée  bien avant la formulation de la demande d’autorisation de passer un marché en attente directe (gré à gré).

L’audit du BEC Sarl met notamment à nu les pratiques du Bureau central de coordination des projets (BCECO), qui a passé outre les refus de la Direction générale de contrôle des marchés publics de lui accorder l’avis de non-objection pour passer des  marchés de gré à gré. Le BCECO fondait ses marchés de gré à gré sur des « autorisations données par le 1ER Ministre », notent les auditeurs du Bureau d’expertises comptables et de commissariat aux comptes. Il sied de rappeler qu’à l’époque des faits, Augustin Matata Ponyo, ancien directeur général du BCECO, était à la primature.