Le prix Nobel d’économie attribué à deux Américains

Ce sont Paul Milgrom, 72 ans, et Robert Wilson, 83 ans, deux experts qui ont été récompensés cette année pour avoir « amélioré la théorie des enchères ». Leurs travaux novateurs ont notamment servi aux attributions des fréquences télécoms.

CHAQUE ANNÉE, le comité Nobel appelle les différents vainqueurs pour leur annoncer la bonne nouvelle avant de publier leur nom. Mais cette année, impossible de joindre le nouveau prix Nobel d’économie. À 8 000 km de là, en pleine nuit aux États-Unis, Paul Milgrom était tout simplement en train de… dormir, raconte CNN. C’est son voisin, et co-vainqueur du Nobel, Robert Wilson, qui a été chargé de lui annoncer la bonne nouvelle. Publiés sur Twitter par l’université de Stanford, les enregistrements de vidéosurveillance de la maison montrent la scène. Lundi 12septembre, un peu après deux heures du matin en Californie, Robert Wilson, professeur d’économie, 83 ans, a frappé à la porte de son collègue Paul Milgrom pour lui annoncer que leurs recherches avaient remporté le prix Nobel d’économie.

« Wow… OK »

« Paul », a lancé Wilson, sonnant à l’interphone et frappant plusieurs fois. Quelques secondes plus tard, Milgrom répond enfin : « Bonjour ? ». « Paul, c’est Robert Wilson. Tu as gagné le prix Nobel », annonce son voisin. « Donc ils essaient de te joindre. Mais ils n’y arrivent pas. Je n’ai pas l’impression qu’ils aient ton numéro. » Mary Wilson, l’épouse de Robert, prend le relais : « On leur a donné ton numéro de téléphone ». Réponse de Milgrom : « J’ai gagné ? Wow… OK ». Quelques minutes plus tôt, le comité Nobel a aussi eu du mal à joindre Robert Wilson, qui avait débranché son téléphone. C’est par son épouse Mary qu’ils ont réussi à le joindre.

Paul Milgrom et Robert Wilson ont remporté le prestigieux prix pour avoir « amélioré la théorie des enchères et inventé de nouveaux formats d’enchères », notamment dans des domaines sophistiqués, au « bénéfice des vendeurs, des acheteurs et des contribuables du monde entier », a indiqué le jury de l’Académie suédoise des Sciences.

Le duo, qui était un des favoris pour le prix cette année, est notamment connu pour être à l’origine du concept utilisé pour la vente de licences de bandes de fréquences de télécommunications aux États-Unis, poussant le jury à saluer le fait qu’ils avaient ainsi œuvré tant en théorie qu’en pratique. Les travaux des économistes, tous deux enseignants à Stanford et voisins, ont également servi à d’autres applications, comme l’attribution des créneaux d’atterrissage dans les aéroports.

Le prix en sciences économiques est soutenu par la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel. « Les ventes aux enchères sont partout et touchent notre vie quotidienne », a relevé le jury. Ce prix vient clore une saison Nobel marquée le vendredi 9 octobre par le prix de la paix du Programme alimentaire mondial (PAM), organe onusien de lutte contre la faim. 

Le Nobel d’économie est le dernier-né des Nobel. Officiellement appelé « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel », le prix d’économie a été décerné pour la première fois en 1969. L’an dernier, c’est un trio qui avait été récompensé : la Franco-américaine Esther Duflo et les Américains Abhijit Banerjee et Michael Kremer, pour leurs travaux sur la réduction de la pauvreté dans le monde. Seules deux femmes ont reçu le prix Nobel d’économie à ce jour. 

Faits marquants de 2020

Ce millésime 2020 des Nobel se révèle particulièrement féminin, avec quatre lauréates primées lors des Nobel scientifiques et de littérature : l’Américaine Andrea Ghez, co-lauréate en physique ; le binôme Emmanuelle Charpentier (Française) et Jennifer Doudna (Américaine) co-lauréates en chimie pour leur découverte des « ciseaux génétiques » – c’est le premier duo 100 % féminin à décrocher un Nobel scientifique – ; et la poète américaine Louise Glück, lauréate du Nobel de littérature. Cette saison a ainsi failli égaler le record du nombre de femmes lauréates (cinq en 2009). 

Cette saison des Nobel a eu lieu sur fond de Covid-19, la pire pandémie depuis un siècle. Les verdicts ont été rendus sur une semaine. La cérémonie physique de remise des prix, habituellement organisée le 10 décembre à Stockholm (Suède) est annulée cette année à cause du nouveau coronavirus. Le 10 décembre est le jour anniversaire de la mort du « papa » des Nobel, le chimiste suédois Alfred Nobel. C’est la première fois que ça arrive depuis 1944. Les lauréats, qui se partagent près d’un million d’euros pour chacune des disciplines, recevront donc leur prix au sein de leur pays de résidence.

Le Nobel de médecine a été décerné à trois chercheurs en virologie pour leur découverte du virus de l’hépatite C : le Britannique Michael Houghton et les Américains Charles Rice et Harvey Alter. Le prix Nobel de physique est revenu à trois scientifiques pour leurs travaux sur les trous noirs, et plus précisément : le physicien et mathématicien britannique Roger Penrose ; l’astrophysicien allemand Reinhard Genzel et l’astronome et universitaire américaine Andrea Ghez.

Le prix Nobel de chimie a primé la scientifique française Emmanuelle Charpentier et la chercheuse américaine Jennifer Doudna « pour le développement d’une méthode permettant de modifier le génome ». Les ciseaux moléculaires qu’elles ont mis au point, alias « ciseaux génétiques CRISPR / Cas9 », permettent en effet de moduler avec une grande précision l’ADN animal, végétal ou encore des micro-organismes. Ce qui pose toutefois des questions éthiques, de l’aveu d’Emmanuelle Charpentier elle-même. Le prix Nobel de littérature a récompensé la poète américaine Louise Glück pour l’ensemble de son oeuvre. Le prix Nobel de la paix est allé au Programme alimentaire mondial (PAM), organe onusien de lutte contre la faim, qui ne lutte justement pas seulement contre la faim, mais aussi pour la paix sur le long terme. 

Mis à part le contexte de crise sanitaire, cette édition a été par ailleurs « classique », puisqu’aucun report de prix Nobel n’a eu lieu lors de l’édition 2019, contrairement à 2018. Cette année-là, un scandale sexuel avait ébranlé l’Académie suédoise. Deux prix Nobel de littérature, le 2018 et le 2019, avaient par conséquent été décernés en 2019. Le ou les nom(s) des lauréats des prix Nobel sont connus chaque année dans la première quinzaine d’octobre, annoncés à Stockholm et Oslo ainsi que sur le site internet de la fondation, nobelprize.org. La « date du Prix Nobel » correspond à la communication des identités des lauréats pour chaque discipline et se fait en réalité sur plusieurs jours selon qu’il s’agisse de la physique, de la médecine, de l’économie, de la chimie, de la littérature ou de la paix.