Le saut dans l’inconnue

 La semaine dernière aura été éprouvante, en politique comme en économie. Aucun responsable politique, aucun chef d’entreprise ne saurait prédire l’avenir immédiat. Aucun ne songerait même à y penser. Pourtant, les signes de basse conjoncture sont là ! Bien présents. Le point de la semaine.

Le franc poursuit inexorablement sa « descente aux enfers ». Le week-end dernier, le taux de change a franchi la barre historique de USDCDF = 1 500. Dans le projet de budget 2017, le gouvernement a projeté la parité dollar-franc à 1 600 francs d’ici la fin de l’année. Mais, à l’évidence, ce taux prévisionnel ne saurait être soutenable au vu du rythme actuel de la dépréciation de la monnaie nationale. Des analystes économiques, eux, pronostiquent sur la parité d’environ 1 900 à 2 200 francs pour un dollar à fin 2017. Au Parlement, la session s’est achevée, jeudi 15 mai, sans que la loi de finances pour l’exercice 2017 ne soit votée. Si le Parlement n’est pas convoqué en session extraordinaire – ce qui ne semblait pas être le cas -, il faudra attendre alors la session parlementaire d’octobre pour voir le budget pour l’exercice 2017 adopté. Et il ne pourra être appliqué que pour un trimestre.

La commission mixte paritaire (Sénat-Assemblée nationale) était encore à harmoniser les vues des deux chambres sur le projet de budget présenté par le gouvernement. Le draft de l’exécutif se chiffrait globalement à 11 301 710 431 036 francs, soit un peu plus de 7 milliards de dollars. Les députés ont revu le montage à la hausse (11 524 534 946 950 francs), alors que les sénateurs l’ont ramené à un juste milieu (11 442 434 946 590 francs). En réalité, les parlementaires se sont montrés « condescendants » avec le gouvernement Tshibala, étant donné que dans les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat sur le vote du budget prennent en moyenne 45 jours. Ma is cette fois-ci, c’est allé si vite (deux semaines) alors qu’ils ont été nombreux à qualifier les prévisions budgétaires de « surdimensionnées » au regard de la morosité ambiante de l’économie nationale.

L’indifférence qui a accueilli, chez les Congolais, ce débat national si important quant à l’avenir (immédiat) du pays le tient, dirait-on, pour une calembredaine. S’agissant, par exemple, de l’augmentation des salaires à la Fonction publique – un thème qui passionne tant les Congolais -, le ministre d’État, ministre du Budget, Pierre Kangudia Mbayi, a clairement indiqué aux parlementaires que le gouvernement sera en difficulté pour les payer au taux de change USDCDF = 1 425, comme l’ont proposé les députés… Mais on peut aussi faire une autre lecture de cette indifférence.

Considérer qu’elle (indifférence populaire) nomme le profond désamour du grand public pour ceux qui nous dirigent actuellement. En cette fin de mandat, ce que le peuple nous dévoilerait, c’est en somme sa conviction la plus profonde. C’est serait, comme on dit, le coming out de l’inconnue de la conjoncture. Dans cette fin de mandat, avec en prime l’organisation des élections, on dirait que la machine de l’État est bloquée.

La thèse du complot ?

Devant l’avalanche d’événements qui se sont succédé la semaine dernière, le pays paraît être mis  dans une coupe réglée. Il y a plus, on dirait que l’échec du gouvernement à sortir l’économie de son affaissement est programmé. L’heure vient où les forces obscures, dixit un anticolonialiste, ont décidé enfin de passer à l’offensive pour un nouveau deal politique en RDC.

Mais jusqu’où va aller cette tutellisation de la RDC ? Étrange destin ! Tous les Congolais ne voient pas la situation sous le même prisme d’analyse. Non qu’ils méconnaissent l’ingérence extérieure, mais ils considèrent que la RDC ne pratique pas ou peu la bonne gouvernance politique, économique et sécuritaire… Dans des milieux diplomatiques de Kinshasa, on s’en préoccupe.

En effet, le représentant spécial adjoint du secrétaire général de l’ONU en RDC, Mamadou Diallo, déclarait à l’ouverture de l’atelier multi-acteurs d’évaluation de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba (1-2 juin) à Kinshasa que « de nombreux signaux qu’il nous appartient de décrypter et d’analyser avec lucidité et responsabilité indiquent qu’avec la persistance des turbulences actuelles, la stabilité économique et politique acquise après tant d’années de privation pourrait s’affaiblir. » Conséquence : les marges de manœuvre budgétaire constituées pour financer le développement s’amenuisent et les déséquilibres extérieurs se renforcent. Mamadou Diallo ne souhaite pas que la RDC pays ne devienne la proie d’un nouveau cycle de fragilité qui nécessiterait beaucoup de temps précieux pour retrouver sa trajectoire actuelle de développement. Cette fragilité, dit-il, s’accompagnerait d’une augmentation des interventions humanitaires, avec comme corollaires, la réduction sensible du pouvoir d’achat de la population et l’aggravation de la pauvreté et des inégalités.

« Pour contenir ces effets potentiellement néfastes, une intervention urgente et adaptée s’avère nécessaire, grâce au renforcement et à l’accélération des réformes institutionnelles, structurelles et de gouvernance vertueuse… » Gouvernance vertueuse ! C’est le message que l’extérieur adresse à la RDC. Une mission du Fonds monétaire international (FMI) a achevé la semaine dernière son séjour à Kinshasa où elle a notamment rencontré les ministres des Finances (Henri Yav Mulang), du Budget (Pierre Kangudia Mbayi), du Plan (Modeste Bahati Lukwebo), ainsi que les présidents de l’Assemblée nationale (Aubin Minaku Ndjalandjoku), du Sénat (Léon Kengo wa Dondo) et des commissions Ecofin parlementaires. Conduite par Mario de Zamaroczy, cette délégation du FMI n’a pas usé de la langue de bois pour dire aux dirigeants politiques que « le pays va droit dans le mur ».

La marge de manœuvre est désormais très réduite que l’État doit recourir à des appuis budgétaires extérieurs. Le FMI est prêt à assister la RDC, pourvu qu’elle respecte ses « engagements politiques en interne », a laissé entendre le chef de la délégation du FMI, Mario de Zamaroczy.

D’après l’expert du FMI, la situation actuelle est la conséquence de l’effondrement des réserves de la Banque centrale du Congo (BCC), avec comme corollaires une inflation de 23 %, entraînant une baisse du pouvoir d’achat, et l’effondrement des investissements. Par manque de trésorerie, l’État a rogné sur ses dépenses, voire utilisé tous ses dépôts.

Il a en outre recouru aux avances de la Banque centrale en violation complète de la loi relative aux finances publiques. Et les prévisions futures ne sont pas plus rassurantes. Selon les experts du FMI, le projet de budget présenté par le gouvernement de Bruno Tshibala « ne tient pas la route ». Il a été élaboré sur des « hypothèses irréalistes ou fantaisistes ». Par exemple, l’inflation prévue dans ce budget est de 19 %, qui seraient atteints en juin. Les prévisions réalistes étant des 45 % à la fin de l’année, selon la mission du FMI.