Les femmes, ces mal-aimées

On a beau les appeler chéries, consœurs, collègues ou partenaires, les femmes du continent sont, dès leur prime enfance, victimes de toutes sortes d’injustices sociales qui freinent leur épanouissement et en font des citoyennes de second plan. Pourtant, elles jouent un rôle majeur dans le développement de l’Afrique. C’est ce que la Banque africaine de développement (BAD) démontre dans son premier Indice de l’égalité du genre en Afrique 2015. 

Nkosazana Clarice Dlamini-Zuma  Présidente de la Commission de l’Union africaine
Nkosazana Clarice Dlamini-Zuma
Présidente de la Commission de l’Union africaine

D’entrée de jeu, le document de la BAD rappelle à ceux qui l’auraient oublié que « les femmes, en Afrique, sont des agents économiques très dynamiques, plus que partout dans le monde ». Elles le démontrent dans le secteur agricole où elles s’occupent de la plupart des activités. Elles détiennent aussi le tiers de toutes les entreprises du continent. Sur le plan de l’emploi, ces dames représentent  70 % des employés dans certains pays africains. La BAD ajoute que les femmes, en plus de ramener de l’argent dans leurs foyers, sont les « principaux piliers de l’économie domestique et du bien-être familial, et jouent un rôle absolument indispensable – parfois méconnu – de dirigeants au sein de leurs communautés et de leurs nations respectives ».

Cela va de soi, ce tableau idyllique pousserait plus d’un à s’exclamer : « Bravo, Mesdames ! » Sauf qu’il y a l’envers du décor. La BAD ajoute : «  Sur l’ensemble du continent africain, les femmes se heurtent à toute une série d’obstacles qui entravent la réalisation de leur potentiel, allant de pratiques culturelles restrictives et de lois discriminatoires à des marchés du travail très segmentés. L’élimination des inégalités entre les genres et l’autonomisation des femmes pourraient augmenter le potentiel de production d’un milliard d’Africains et stimuleraient considérablement les potentialités de développement du continent ».

Tel est la dure réalité de la condition féminine. Cela peut sembler paradoxal quand on sait que le continent, par rapport aux autres, a beaucoup progressé en matière de genre.

Avoir une idée précise du statut de la femme

Sur  le plan politique, deux femmes sont actuellement présidentes, respectivement du Liberia et de la République centrafricaine. L’Afrique a eu beaucoup de femmes chefs de gouvernement ou ministres et un lot important de hauts fonctionnaires. Certains pays du continent occupent la première place mondiale en ce qui concerne le genre. C’est le cas du Rwanda, qui est le seul pays au monde où les femmes occupent plus de la moitié du Parlement. En Namibie, la Constitution garantit sans équivoque non seulement l’égalité face à la loi et le droit de ne pas être discriminé en fonction du sexe, mais elle utilise en plus une terminologie neutre. Quant à l’Afrique du Sud, elle est la championne d’Afrique pour ce qui est de l’égalité de genre en matière d’emploi salarié en dehors de l’agriculture. En affaires, le continent compte des femmes millionnaires, voire milliardaires en dollars. Qu’est-ce qui ne va donc pas ?

Afin de répondre à cette question, la BAD, qui affirme avoir placé l’égalité de genre au centre de sa stratégie en matière de promotion du développement en Afrique ,  a recueilli des données concernant 52 pays du continent pour l’élaboration de son nouvel indice de l’égalité de genre. L’objectif est d’avoir une idée précise du statut de la femme. Pour ce faire, elle a retenu « trois critères d’égalité » : les opportunités économiques, le développement social, le droit et les institutions.

Comprendre les liens entre l’égalité de genre et le développement

S’agissant du premier critère, il fallait répondre  à la question suivante : « Les femmes et les hommes sont-ils à égalité de chances pour monter une affaire/entreprise ou pour trouver un emploi ? » Le deuxième critère, le développement social, avait deux questions : « Les filles et les garçons ont-ils les mêmes chances à l’école ? » et « Les femmes ont-elles accès aux services de santé reproductive ? » Le troisième critère d’égalité, droit et institutions, englobe trois questions : « Les femmes et les hommes sont-ils représentés de manière équitable au sein des institutions ? » ; « Les femmes et les hommes ont-ils les mêmes droits ? » ; « Les femmes et les hommes ont-ils les mêmes droits au sein du ménage ? »

En fonction des trois critères, des points allant de 0 à 100 ont été attribués à 52 pays par rapport à leurs forces et faiblesses. Dix parmi eux mènent le peloton en raison de leurs performances globales. En tête, l’Afrique du Sud avec un score de 75 points. Suivent le Rwanda (74 points) ;  la Namibie (73) ; Maurice (73) ; le Malawi (72) ; le Lesotho (70) ; le Botswana (69) ; le Zimbabwe (68) ; le Cap-Vert (67) et Madagascar (65). La République démocratique du Congo occupe la 36e place avec 49 points, entre l’Égypte et le Congo-Brazzaville. Fait notoire, le bon classement des pays anglophones, même si le Nigeria n’est que 23e.

Commentant ces résultats, la BAD estime que « l’égalité des genres est plus que des chiffres. Il s’agit de souligner les obstacles à la pleine participation des femmes au développement de l’Afrique, et d’offrir aux décideurs politiques – et à ceux qui prônent un changement de politiques – une source absolument fiable de données leur permettant de comprendre les liens entre l’égalité de genre et le développement ».

Disparités liées à un accès inégal à la terre et au crédit

Les hommes et les femmes ont-ils les mêmes opportunités dans les affaires et dans l’emploi ? Pour éclairer leur lanterne, les auteurs de l’Indice de l’égalité du genre en Afrique se sont intéressés à l’écart existant entre les hommes et les femmes dans la participation à la force de travail, dans les salaires et les revenus, dans la propriété des entreprises et l’accès aux services financiers. Ils en arrivent à la conclusion que les disparités constatées sont liées, dans la plupart des cas, à « un accès inégal à la terre, au crédit et aux infrastructures ».

Là encore, les résultats sont inattendus. Parmi les dix pays qui se sont distingués pour les meilleures opportunités économiques offertes aux femmes, le Malawi arrive largement en tête avec  89 points sur 100. La Gambie, la République centrafricaine, le Botswana, le Rwanda, la République démocratique du Congo (74 points), l’Ouganda, la Tanzanie, le Zimbabwe et le Lesotho complètent le tableau.

Si le Malawi est en tête c’est parce que, en vue d’améliorer la productivité des femmes rurales, il a amélioré l’accès de la gent féminine à la formation, à l’information, aux intrants et aux services agricoles. La Tanzanie, 8e, a le meilleur taux de participation du travail féminin du continent. Le Botswana, classé en quatrième position, a apporté un soutien aux femmes dans le cadre de l’agriculture, l’élevage de petit bétail et de volaille ainsi que dans l’horticulture.

C’est dans l’agriculture que l’on trouve le plus de femmes sur l’ensemble du continent : elles constituent les deux tiers de la main-d’œuvre. Une grande partie de ce que l’Afrique consomme est le fruit de leur labeur. Mais, malheureusement, elles restent défavorisées car elles n’ont pas accès, sinon difficilement, aux intrants, à la terre, au crédit, aux engrais, aux nouvelles technologies ainsi qu’aux services de vulgarisation.

Elles préfèrent se mettre à leur propre compte dans l’informel

Autre constat : les taux de participation de la main-d’œuvre féminine, en dehors du secteur agricole, atteignent les sommets dans presque tous les pays africains, Afrique du Nord non comprise. Au Burundi, en Tanzanie, au Rwanda, par exemple, ils se situent entre 85 et 90 %. Au Nigeria ou au Togo, ils sont presque égaux. Le hic c’est que le marché du travail du continent se caractérise par une discrimination basée sur le genre. Conséquence : les femmes travaillent dans des secteurs où les rémunérations sont dérisoires. C’est pourquoi elles préfèrent, dans la majorité des cas, se mettre à leur propre compte dans le secteur informel.

Dans le formel, elles ne sont pas gâtées en termes d’embauche : elles n’occupent que quatre emplois sur dix et gagnent, en général, les deux tiers des salaires de leurs collègues masculins. Ceci s’explique aussi par le fait que les discriminations ne sont pas suffisamment combattues. Sur les 52 pays étudiés, seuls 15 ont des législations qui condamnent ce genre d’abus.

Le rapport de la BAD, tout en insistant sur l’esprit d’entreprise des Africaines, qui sont propriétaires du tiers de l’ensemble des entreprises que compte l’Afrique, indique que c’est le moindre mal. Souvent, c’est parce qu’elles n’ont pas d’autre choix. C’est en Côte d’Ivoire que 61, 9 % des femmes sont propriétaires d’entreprises. Un record pour le continent. Quant à la fonction de directeur général d’une entreprise du secteur formel, seuls 15 % des Africaines l’occupent, alors que 32 % des titres de participation dans les entreprises formelles leur appartiennent.

La tradition exclut la femme de la propriété foncière

Il est également établi que les femmes chefs d’entreprises n’ont aucune possibilité, pour la plupart d’entre elles, de générer plus de revenus. Et aucune perspective n’est envisageable pour le moment. Causes principales : le manque de compétences de base, difficultés de trouver des financements, le difficile équilibre entre leurs foyers et les occupations professionnelles. C’est pourquoi, d’après la BAD, les entreprises féminines embauchent moins que celles dirigées par des hommes.

Et puis, il  y a la terre. Le rapport révèle que dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, la tradition exclut la femme de la propriété foncière. Et que seules 15% des Africaines sont réellement propriétaires de leur terre. Au Mali elles sont 5 % ; 30 % au Botswana, au Cap-Vert ou au Malawi. La précarité des droits fonciers débouche sur un sous-investissement et à la peur d’être expropriée à tout moment. Et même quand il y a réforme agraire, ce n’est pas toujours à l’avantage des femmes.

Des expériences mitigées ont eu lieu en Éthiopie et au Rwanda. Mais c’est surtout au Botswana que le gouvernement et les autorités traditionnelles travaillent ensemble pour trouver un juste équilibre. Autre frein pris en compte : il est établi que les femmes, entre leurs activités professionnelles et la vie conjugale, travaillent deux fois plus que les hommes.

Le développement humain est l’un des aspects de la problématique féminine. Il s’agit de savoir si les filles ont les mêmes avantages que les garçons à l’école ; si les femmes ont accès à des services de santé reproductive. Le problème s’étend aux taux d’alphabétisation et de scolarisation des filles, aux taux de mortalité maternelle, aux naissances assistées par un personnel de santé qualifié.

Dans le classement de la BAD, Maurice est en tête avec près de 100 % de points pour avoir étendu la gratuité de l’éducation primaire, secondaire et supérieure. Cela a eu pour résultat l’augmentation du taux de scolarité des filles à 90%. La Tunisie vient en deuxième position pour avoir institué des services gratuits de planning familial pour améliorer la santé reproductive. L’Algérie  détient pour sa part le record d’Afrique pour les naissances assistées par un personnel qualifié. Le Botswana, quatrième, fournit 90% des femmes enceintes des tests VIH et des conseils.

Les dix meilleures performances réalisées dans des petits pays

S’il est vrai que les progrès en matière de santé sont réels en prenant l’Afrique dans sa globalité, et que les femmes bénéficient d’un meilleur accès aux services de santé, d’autres problèmes subsistent cependant. Comme le droit de contrôler la fécondité, le recours à la contraception…

Pour ce qui est de l’éducation, le rapport note que l’Afrique a comblé l’écart entre filles et garçons dans l’éducation  de base. Mais, dans la vie active, les femmes ayant suivi une formation supérieure sont toujours moins payées que les hommes. La violence faite aux femmes est l’un des maux du continent.

Dans le rôle de citoyennes et de dirigeantes, les femmes constatent qu’il n’y a pas d’harmonisation entre la loi et la  coutume. Neuf pays du continent ont encore des lois qui obligent les femmes mariées à ne pas demander un passeport. Dans 15 pays, une femme mariée n’a pas le droit de choisir son lieu de résidence. Et dans 35 autres, les femmes mariées sont obligées par la loi d’obéir à leurs maris.

Les dix meilleures performances en matière de lois et d’institutions  ont été réalisées essentiellement dans des petits pays. Maurice est en tête pour avoir adopté une loi sur l’égalité des chances qui interdit la discrimination directe ou indirecte dans l’emploi, le recrutement, les services publics et l’éducation. Quant au Rwanda, deuxième, il garantit l’égalité des droits fonciers entre les époux. L’Afrique du Sud, troisième, a un Parlement parmi les plus équitables au monde, avec le même nombre d’élus chez les hommes comme chez les femmes. L’Angola, qui occupe la cinquième place, a très peu de barrières légales à l’entrepreneuriat des femmes.

Sur le plan politique, les femmes du continent sont en avance sur leurs semblables des autres continents. Par ailleurs, de plus en plus de femmes sont en train de s’affirmer comme entrepreneures. L’Indice de l’égalité du genre en Afrique 2015 reconnaît que des progrès ont été réalisés dans beaucoup de domaines, mais le chemin est encore long pour que la femme africaine joue pleinement son rôle dans la société.