Les patrons, les vrais, sont en colère contre l’Hôtel de ville

Frappée de plein fouet par la crise économique, la population congolaise gronde. Envolée des prix, dépréciation continue de la monnaie nationale, inondations, routes défoncées, tracasseries policières… : tout concourt à attiser le mécontentement social. Et comme si cela ne suffisait pas, l’exécutif urbain pratique le terrorisme fiscal sur les entrepreneurs.

Mais quelle mouche a donc piqué André Kimbuta ? Alors que la vie devient économiquement intenable pour la majorité des Congolais et que les affaires tournent au ralenti, c’est le moment qu’a choisi le gouverneur de la ville de Kinshasa pour sortir des tiroirs toute une batterie d’arrêtés (ministériels provinciaux) émis par le gouvernorat de la ville de Kinshasa en 2013. Ces arrêtés ont été publiés quasiment « en catimini » au Journal Officiel dans le numéro spécial du 17 février 2014, et toujours sans la moindre publicité autour, l’administration urbaine tente maintenant de les mettre en application en mode urgence.

Dans les milieux d’affaires de Kinshasa, certains de ces arrêtés sont totalement jugés « absurdes » et « inapplicables » en l’état. En effet, interpelle un entrepreneur local, comment comprendre qu’au moment où le chef de l’État s’est fait le « devoir », dans son dernier message à la Nation devant les deux chambres du Parlement réunies en congrès, de rappeler, une fois de plus, « la fragilité des fondamentaux de notre tissu économique », le gouverneur de la ville, lui, décide de faire gant de fer ? Tournée essentiellement vers le secteur tertiaire, et marquée, d’une part, par l’importation des biens de première nécessité consommés par les Congolais et qu’ils ne produisent pas, et, d’autre part, par l’exportation des matières premières, vers les pays industrialisés, source de ses principales recettes budgétaires, mais dont la fixation des cours échappe à notre contrôle, l’économie congolaise va mal. Vraiment mal vu sa taille très réduite.

Il va sans dire, comme l’a martelé le président Joseph Kabila Kabange, que tant que ce paradigme ne sera pas changé, l’économie congolaise restera « fragile » et fera continuellement les « frais des soubresauts » de la conjoncture économique internationale. Dans le même ordre d’idées, a renchéri Kabila, tant que le système fiscal sera « écrasant, discriminatoire et truffé d’une parafiscalité lourde, le climat des affaires ne sera pas propice à l’investissement productif ni au civisme fiscal. » C’est tout dit. « Le gouvernement provincial de Kinshasa a-t-il capté ce message du chef ou non », râle un opérateur économique spécialisé dans le bâtiment.

Nouveau paradigme

Pour rappel, le président de la République a semblé poser clairement les bases du nouveau paradigme. Du moins, il a dévoilé des pans entiers de ce que devrait être ce paradigme : « Aujourd’hui, nous avons pris la mesure du défi. Il nous faut agir sans plus attendre. En plus des investissements publics légitimes, l’option est donc définitivement levée de promouvoir le soutien au secteur privé productif à travers particulièrement l’appui direct aux petites et moyennes industries et aux petites et moyennes entreprises, spécialement celles engagées dans l’agro-industrie et inscrivant leurs activités dans le cadre des chaînes de valeurs. » Et pour y parvenir, a-t-il déclaré, il faut, en effet, produire ce que nous consommons et conférer de la valeur ajoutée à nos produits destinés, non seulement à la consommation domestique, mais aussi à l’exportation, en vue de les rendre plus compétitifs.

Et le président de la République a insisté sur « l’impérieuse nécessité » pour le gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat de prendre des « dispositions utiles » en vue de l’adoption, dans les plus brefs délais, et pendant la session en cours, d’« une nouvelle loi sur la fiscalité », de celle sur le partenariat public- privé », sans omettre la finalisation de la loi portant révision de certaines dispositions du code minier, en sursis depuis plusieurs mois devant les deux chambres. L’amélioration de la situation sociale des populations en dépend, a souligné Joseph Kabila.

Le décor étant ainsi planté, les patrons ne comprennent pas que l’Hôtel de ville de Kinshasa puisse ramer à contre courant. Dans un régime marxisant, on parlerait d’« ennemis de la révolution ». Ici et là, on dénonce haut et fort les « effets dévastateurs » de certains de ces arrêtés, surtout ceux relatifs à l’éducation (Arrêté SC/053/BGV/MIN/EECG/FINECO& IPMEA/ PLS/2013) et aux affaires foncières (Arrêté SC/075/BGV/MIN/A.F.U.H./FINECO& IPMEA/PLS/2013). Par exemple, la quotité du Trésor public sur le minerval des établissements scolaires s’élèverait à 50 % du minerval et le propriétaire d’une « grande » concession serait désormais tenu d’introduire tous les 3 mois une « demande d’avis urbanistique » et, par conséquent, devrait payer des « frais urbanistiques sur les grandes concession » tous les trimestres, qu’il souhaite faire des travaux dans celle-ci ou pas.

Tout est vraiment fait pour « asphyxier » les opérateurs économiques encore actifs dans la ville, ou provoquer des « arrangements particuliers » avec les fonctionnaires chargés de la perception de ces impôts, taxes, redevances ou frais, déplorent des opérateurs économiques installés à Kinshasa. Tenez : l’Arrêté 053 du 21 mars 2013 fixe les taux des droits et les taxes à percevoir à l’initiative du ministère provincial ayant l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel dans ses attributions. Ils portent sur l’agrément d’un établissement (primaire, secondaire et professionnel privé), la réactivation d’un agrément des établissements d’enseignement (primaire, secondaire et professionnel), la quotité du Trésor urbain sur le minerval des établissements scolaires, la délivrance des attestations tenant lieu de diplôme, le fonctionnement des jardins d’enfants créés à l’initiative de la ville de Kinshasa, l’octroi de la carte de chercheur indépendant, ainsi que sur les amendes transactionnelles (article 1er).

La réactivation de l’agrément intervient à l’occasion de l’ouverture de nouvelles classes, sections ou options, de la transformation d’une section ou option, le changement d’appellation ou d’adresse ainsi que du transfert d’un établissement d’enseignement primaire, secondaire et professionnel (article 2). Au terme de cet arrêté, la taxe d’agrément non renouvelable d’un établissement d’enseignement (primaire, secondaire et professionnel privé) est fixée à l’équivalent en francs de 100 dollars. Tandis que les frais de réactivation non renouvelables d’un agrément des établissements d’enseignement (primaire, secondaire et professionnel privé) sont fixés à 20 dollars. La quotité du Trésor public sur le minerval des établissements scolaires est de 50 % sur le paiement annuel de minerval par chaque élève. Par exemple, si le minerval est de 100 dollars, le Trésor perçoit 50 dollars. Sur les produits de délivrance

d’attestation tenant lieu de diplôme, l’Hôtel de ville a droit à 2 dollars sur chaque document délivré.

À propos de droits d’octroi de la carte de chercheur indépendant, l’Hôtel de ville perçoit 100 dollars par an. Enfin, sur les amendes transactionnelles pour violation des lois et des règlements, le taux des droits varie entre 200 % et 500 % du montant dû.

Une vraie foultitude 

En ce qui concerne l’Arrêté 075du 26 mars 2013, les droits et les taxes à percevoir à l’initiative du ministère provincial ayant l’urbanisme dans ses attributions portent sur l’autorisation de bâtir des immeubles à usage résidentiel et de moins de3 étages, les autorisations de démolition d’immeubles et de transformation des immeubles, les avis urbanistiques sur les concessions foncières, la construction et l’implantation sur la voie publique des panneaux, engins et appareils destinés à recevoir une publicité graphique quelconque. Ces droits et taxes portent également sur les autorisations pour utilisation temporaire du domaine public, d’implantation des antennes de télécommunication et  d’aménagement des parkings privés sur le domaine public, ainsi que sur  les amendes transactionnelles à payer (article 1er).

Hormis les autres droits, taxes et redevances repris à l’article 1er, les taxes sur la construction et l’implantation sur la voie publique des panneaux, engins et appareils destinés à recevoir une publicité graphique quelconque ainsi que celle d’autorisation pour utilisation temporaire du domaine public sont constatées et liquidées, selon le cas, par la Commission permanente sur la publicité extérieure ou la Régie de communication et publicité de Kinshasa. Elles sont ordonnancées et recouvrées par la Direction générale des recettes de Kinshasa (article 2). Les taux des droits et les taxes sont fixés à l’équivalent en franc du dollar. Ici, il y a une véritable foultitude de droits, taxes et redevances.

À commencer par la taxe sur l’autorisation de bâtir des immeubles à usage résidentiel et de moins de 3 étages. Le taux appliqué est de 0,6 % de la taxe de bâtisse en dollar, tous les trois ans. Pour les immeubles de haut standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier non urbanisé, non équipé et non assaini, la taxe est de 400 dollars par m². Pour les immeubles de haut standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, équipé et assaini, la taxe est de 600 dollars par m² ; tandis que pour les immeubles de haut standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, moyennement équipé et assaini, la taxe est de 550 dollars par m².

Par contre, la taxe de l’autorisation de bâtir pour les immeubles de haut standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, non assaini ni équipé est de 500 dollars par m² ; 450 dollars par m² pour les immeubles de haut standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier non urbanisé, non équipé et non assaini ; 550 dollars/m² pour les immeubles de standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, non assaini ni équipé ; 500 dollars/m² pour les immeubles de standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier moyennement urbanisé, non équipé et non assaini ; 450 dollars/m² pour les immeubles de standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, non assaini ni équipé.

Quant aux immeubles de standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier non urbanisé, non équipé et non assaini, le taux est de 400 dollars/m² ; pour les immeubles de standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, équipé et assaini, 550 dollars/m² ; pour les immeubles de standing de moins de

3 étages, situés dans un quartier urbanisé, moyennement équipé et assaini, 500 dollars/m² ; pour les immeubles de standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, non assaini ni équipé, 450 dollars/m² ; pour les immeubles de standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier non urbanisé, non équipé et non assaini, 400 dollars/m² ; pour les immeubles de moyen standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, équipé et assaini, 500 dollars/m² ; pour les immeubles de moyen standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, moyennement équipé et assaini, 450 dollars/m² ; pour les immeubles de moyen standing de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, non assaini ni équipé, 400 dollars/m².

Par ailleurs, les immeubles de moyen standing de 3 niveaux (sans niveau souterrain), situés dans un quartier non urbanisé, non équipé et non assaini sont taxés 350 dollars/m² ; les immeubles de moyen standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, équipé et assaini, 500 dollars/m² ; pour ceux du genre se situant dans un quartier urbanisé, moyennement équipé et assaini, 450 dollars/m² ; pour les immeubles de moyen standing de moins de 3 étages, situés dans un quartier urbanisé, non assaini ni équipé, 400 dollars/m² ; pour ceux situés dans un quartier non urbanisé, non équipé et non assaini, 350 dollars/m².

Quant à l’autorisation de bâtir des immeubles autres qu’en étage : villa haut standing (800 dollars/m²), villa moyen standing (600 dollars/m²), villa bas standing (500 dollars/m²), construction à usage social (300 dollars/m²), construction à usage commercial (800 dollars/m²), construction de maison industrielle, usine, chambre froide, entrepôt, dépôt, etc. (800 dollars/m²), construction de station-service similaire (600 dollars/m²), terrasse non incorporée dans l’édifice et toiture (600 dollars/m²).

Transformation d’immeubles à étages

La taxe sur l’autorisation de transformation d’immeubles à étages est de 12 mois. Pour le haut standing (600 dollars/m²), le moyen standing (500 dollars/m²) et le bas standing (300 dollars/m²). Par contre, la taxe sur l’autorisation de démolition d’immeubles est de 10 % de la taxe de bâtisse valable seulement pendant 2 mois ; tandis que les frais d’avis urbanistique sur les grandes concessions sont fixés à 0,04 dollars valables seulement pour 3 mois. La taxe sur la construction en béton des antennes de télécommunication est, quant à elle, annuelle, soit 1 500 dollars par antenne. Rien n’est indiqué à propos de la taxe sur la construction et l’implantation sur la voie publique des panneaux, enseignes et appareils destinés à recevoir une publicité graphique. Les frais d’autorisation pour utilisation temporaire du domaine public urbain (spécialement horions pour construction et implantation destinées à la publicité) sont fixés à 1dollar/m². Pour les panneaux publicitaires, ils sont fixés comme suit : implantation (1,5 dollar/m²), panneaux muraux pour affichage (2 dollars/m²/mois), panneaux tri-vision pour affichage  (2 dollars/m²/mois). En ce qui concerne les écrans, de 1 à 5 m² (10 dollars/m²/mois), de 6 à 10 m² (8 dollars/m²/mois) Et pêle-mêle, kiosque d’occupation au sol (8 dollars/m²/mois), tentes d’occupation au sol (6 dollars/m²/mois), présentatifs (table) + parasol (7,5 dollars/mois), chevalet (5 dollars/mois),enseignes signalétiques et totems sur la surface de l’enseigne ou du totem (12,5 dollars/m²)

Les frais d’autorisation pour la réalisation temporaire du domaine public provincial (sauf à des fins publicitaires) sont ponctuels et fixés à 50 dollars. Alors que la taxe sur autorisation d’aménagement des parkings privés sur domaine public est non renouvelable et fixée à 50 dollars/m². Enfin, les amendes transactionnelles sont ponctuelles et varient selon le cas. Pour empiètement d’emprise de voie publique par l’agrandissement de parcelle, construction d’une fosse septique et puits perdu varie, l’amende varie de 150 à 250 dollars suivie de l’évacuation de gré ou de force. Pour l’empiétement d’emprise de voie ferrée, l’amende est de 100 à 150 dollars, suivi de l’évacuation de gré ou de force, tout comme l’empiètement de servitude de service public (SNEL, REGIDESO, SCPT, RVA…). L’empiètement de berge de rivière ou de zone non aedificandi est assorti d’une amende de 2 000 dollars suivie d’une évacuation de gré ou de force. La construction et similaire érigés sans autorisation de bâtir (pylône de tout usage, station-service…) est frappée de 10 à 200 dollars d’amende, suivie du paiement de la taxe de bâtisse pour acquisition de l’autorisation de bâtir. Le dépassement de niveau ou d’étages autorisés entraîne aussi une amende (500 dollars) suivie du paiement de la taxe de bâtisse. L’autorisation expirée et non renouvelée entraîne également des pénalités de 150 à 250 dollars, suivi du paiement de la taxe au cas où les travaux n’auraient pas été entamés et du paiement du supplément en cas d’abandon de travaux. Le non-affichage de la pancarte portant le numéro d’autorisation de bâtir sur le chantier en cours entraîne des pénalités allant de 50 à 100 dollars. Et le changement d’affectation d’une concession sans arrêté de désaffectation occasionne une amende de 500 à 1 200 dollars. Et ce n’est pas tout, plusieurs autres arrêtés du gouvernorat de la ville province de Kinshasa pris dans la foulée empoisonnent le climat des affaires dans la capitale. Affaire à suivre.