Pourquoi les sociétés d’État sont moins compétitives

Les analystes économiques mais aussi le citoyen lambda ne sont plus convaincus de l’urgence de changement des dirigeants comme une solution pour redresser les entreprises publiques. Ils sont d’accord sur le fait que ce ne sont pas les réformes qui soient mauvaises mais les pratiques en cours.

La plupart du temps, les économistes considèrent qu’ils doivent de dire aux politiques ce qu’ils ont à faire. Cela agace les politiques et, comme les conseils prodigués sont rarement suivis d’effet, le grand public a tendance à percevoir les économistes comme de « beaux parleurs très éloignés des réalités » et enfin de compte « assez inutiles ». Lucide, ces propos, à sens d’ailleurs, d’un professeur d’économie, qui mêle l’humour à l’analyse. Ce compatriote septuagénaire a une idée simple mais efficace: mettre les dirigeants du pays face à leurs responsabilités. Pour cela, il faut l’ordre juste, juste l’ordre… simplement ! En préalable, toutefois, il énumère trois contraintes fondamentales (la taille de l’économie, le système financier, les entreprises) qu’il pense « illusoire et trompeur de prétendre ne pas en tenir compte » : les règles et les principes en matière de gouvernance économique qu’on ne peut ajuster à volonté.

RDC : un nain économique

Professeur Jean Tsholola est résident en Belgique mais il a un œil sur tout ce qui se passe dans son pays d’origine. D’entrée de jeu, il pose : la République démocratique du Congo est un nain économique. L’économie, dit-il, est un thème de vérité. Tout doit être en place, c’est-à-dire avoir un plan stratégique de l’économie. « Le drame en RDC, c’est justement cette question de plan stratégique qui manque… Que veut-on faire de notre économie et quel est le rôle que l’on veut lui faire jouer dans le développement du pays ? C’est le gros problème ! », déplore ce professeur d’économie à la retraite. Tant que la RDC ne se dotera pas d’un « plan stratégique de l’économie », l’État ne sera pas fiable, confie-t-il. Selon lui, lorsque l’on veut développer quelque chose, ça doit être quelque chose de volontaire et non quelque chose que l’on subit.

« La montée en puissance de certains pays africains, comme le Rwanda, le Kenya et la Tanzanie, est le fait de leur volonté de faire quelque chose, de manière particulière, en faveur d’une communauté particulière, avec des résultats particuliers. », explique-t-il. Ce n’est pas encore le cas en RDC, pense Tsholola. Alors ? Pour bien fonctionner, l’économie a besoin d’être servie. Comment ? Partout dans le monde, les affaires et les finances servent à l’économie. Par exemple, aux États-Unis, l’une des plus grandes économies au monde, l’État emprunte en permanence aux particuliers mais aussi aux entreprises. Et il rembourse à échéance échue. Ailleurs, l’architecture financière est achevée : institutions de micro-finance, banques, assurances, caisses et fonds de pension et d’investissement, marchés financiers.

En RDC, le système bancaire est en pleine expansion, ce qui est une bonne chose. Les assurances arrivent avec un système complet de couverture, grâce à la loi de libéralisation du secteur : « C’est en principe la supériorité du secteur des assurances qui donne des garanties aux banques. Aujourd’hui, les banques placent l’excédent de leur trésorerie à l’extérieur au lieu d’aller dans l’économie. » Il reste à mettre en place les fonds et les marchés financiers… En attendant, les entreprises sont obligées d’emprunter à l’extérieur et rembourser avec des taux d’intérêt à l’extrême. « D’où, la nécessité d’un cadre logique, c’est-à-dire un système financier complet ». Mais ce n’est pas tout, fait remarquer le professeur Tsholola : « Il y a un problème de crédibilité de l’État lui-même. »

Crédibilité en cause

Par exemple, la dette publique interne actualisée est d’environ 1,6 milliard de dollars. Il n’existe pas de facilités permettant l’État de pouvoir emprunter auprès des citoyens et des entreprises, comme aux États-Unis ou au Japon. Ce dernier est le pays le plus endetté du monde : 245 % d’endettement par rapport au produit intérieur brut (PIB). « Le Japon est un État fiable, car il y a une gestion orthodoxe d’emprunt auprès des citoyens (80 %) qui croient en leur pays. », explique Tsholola. Qui pense que la Banque centrale du Congo (BCC) doit également être fiabilisée, en tant qu’autorité de régularisation et de contrôle du système financier. « Il faut donc la recapitaliser et la dépolitiser, sinon elle ne peut pas être fiable… Par ailleurs, la Banque centrale est très en retard en matière de technologie numérique. Il faut savoir qu’avec la présence physique dans le contrôle, la tentation à la corruption est grande… ».

On parle très souvent de stabilité de cadre macro-économique : « Ce n’est pas le fait d’un slogan politique. Tout doit commencer à la base, c’est-à-dire la taille de l’économie nationale. » L’élément fondamental, c’est la capacité de résistance de cette économie aux chocs endogènes et exogènes : « Vu sous cet angle, nous n’avons pas d’économie, car nous n’avons pas de budget (à peine 3 milliards de dollars en ressources propres, moins que le poids financier de certaines institutions de micro-finance en Afrique, c’est quasiment nul pour un État !), sinon il est trop faible. Nous n’avons pas non plus de monnaie, à cause de la forte dollarisation, ni la capacité d’en créer pour faire un effet positif sur l’économie…

Les banques se prêtent l’argent des autres (épargnants) mais leur gestion est moins crédible, à en juger par la liquidation de certaines d’entre elles (BC, Fibank et probablement bientôt BIAC). Là où les fonds de pension et d’investissement existent réellement, les dépôts sont en mesure d’alimenter l’économie. En Afrique du Sud, par exemple, les fonds brassent plus de 250 milliards de dollars. En RDC, le budget d’importation du riz est le double de ce qu’il faut pour produire localement. Mais non continue de l’importer comme si de rien n’était…

Respect de principes

Comme on le voit, l’État a de sérieuses difficultés dans la gouvernance et dans la compréhension des principes économiques : il faut dépolitiser les institutions comme la Banque centrale, les régies financières, les entreprises publiques… « Les possibilités d’innover sont là et à la portée de l’État… Il suffit simplement de les saisir.) Par exemple, combler le déficit de textes réglementaires, lutter contre la corruption et ériger en principe la transparence dans tout ce que l’on fait. À propos de la gouvernance dans les sociétés d’État, la concurrence résultant de la mondialisation impose qu’on revoie les règles dans le domaine des systèmes (formation, emploi, retraite, santé, mandat de la Banque centrale, lutte contre l’inflation…). Et même si celui qui applique le mandat se comporte de « manière irresponsable », ce que n’exclut pas ce professeur d’économie, cela implique que « l’absence de coordination entre politique monétaire et budgétaire risque de durer ».

On l’aura compris, en faisant siennes ces contraintes, cet économiste a déjà pris le parti de se couper de ceux qui pensent que l’économie de marché n’est pas un facteur de progrès.  « Autant dire que le pari pédagogique est un pari qui risque de se heurter aux marionnettes et aux slogans que ne manquent pas de brandir tous ceux qui pensent qu’un autre monde est possible », ironise-t-il. Et plus sérieux : « Les dirigeants politiques devraient toutefois examiner à la loupe la centaine de propositions que nos économistes sont arrivés à polariser pour sortir notre économie du bourbier. Il faudrait une loi, sorte d’instrument d’une réforme de l’État qui substituerait à une logique de moyens (toujours insuffisants) une logique d’objectifs clairement identifiés et méticuleusement évalués, ce qui est déjà une révolution de la pensée en soi. »

La faiblesse du revenu par tête en RDC, inférieur à celui de la plupart des pays de la région, est essentiellement liée au fait que la quantité moyenne de travail par personne d’âge actif en RDC est nettement inférieure aussi à celle de ces pays, une situation qui n’est « soutenable ». Jean Tsholola estime que la RDC doit mettre en œuvre « rapidement » une grande réforme fiscale sur le travail, l’investissement et la prise de risques dans l’innovation et la création d’activités nouvelles. En fait, il esquisse une sorte de projet politique qui ferait sans doute l’unanimité des Congolais raisonnables : celui d’un gouvernement qui serait à l’écoute et unirait les efforts des uns et des autres. Une hypothèse qui n’est pas si absurde !