Quand Danone peine à justifier ses aliments ultra-transformés

Le groupe est entendu par une commission d’enquête sur l’alimentation industrielle et les produits soupçonnés d’être la cause des épidémies contemporaines comme le diabète et l’obésité.

Quatre représentants de Danone étaient auditionnés mardi matin 17 juillet à l’Assemblée nationale par la commission d’enquête sur l’alimentation industrielle et les produits ultra-transformés, lesquels sont soupçonnés d’être la principale cause des épidémies contemporaines comme le diabète et l’obésité et de certains cancers, notamment celui du sein. Si Danone était invité à s’expliquer par Loïc Prud’homme, député La France insoumise de Gironde qui préside la commission, c’est que cette multinationale de l’agroalimentaire a beaucoup communiqué, ces dernières décennies, sur les « alicaments », ces aliments censés apporter un véritable « plus » en matière de santé pour qui les consomme régulièrement. 

Dans le sixième bureau du Palais-Bourbon, ont donc pris place François Eyraud, directeur général de Danone produits frais France et Laurence Peyraut-Bertier, secrétaire générale, accompagnés de la responsable Recherche et Innovation et de la directrice des affaires institutionnelles.

Le grand marché mondial

Comme il est de coutume depuis les premières auditions au printemps, Loïc Prud’homme propose à ses « invités » de faire un exposé libre de vingt minutes, d’où ressort que la mission de Danone, créé en 1919 pour fabriquer le yaourt simple et naturel qui a fait sa gloire et améliorer la santé des enfants, est la même depuis près d’un siècle : mettre sur le marché des aliments de qualité, qui vont contribuer à la santé de tous.

Cette profession de foi aujourd’hui au cœur de leur préoccupation dans le grand marché mondial, disent-ils en substance (le chiffre d’affaires de Danone se fait prioritairement aux États-Unis, devant la France et la Chine) a été réaffirmée en 1996 par le PDG d’alors, Antoine Riboud, soucieux d’« apporter la santé par l’alimentation ».

À ce jour, Danone officie sur quatre branches d’activité : les produits laitiers, l’eau, l’alimentation pour enfants avec la marque Blédina, la nutrition médicale à destination des hôpitaux et des pharmacies. Les émissaires de Danone expliquent aussi que leur entreprise est, avec Nestlé, la firme agroalimentaire qui est allée « le plus loin dans la transformation de son offre ». Ils rappellent qu’ils ont dû faire face « à des accusations de publicité trompeuse ou mensongère » au sujet de deux de leurs produits phare : Actimel et Activia. Pour pourtant, plaident-ils, il est possible de « concilier nourriture transformée et santé ». Danone œuvrerait en ce sens de bien des façons, entre autres par la diminution du sucre dans leurs produits, par un « marketing responsable » à destination des enfants ou par une information claire aux consommateurs accessibles, depuis février, sur le site afin de « répondre aux attentes sociétales » et de permettre aux consommateurs de faire « un choix éclairé ».

Contradiction ?

Au tour du député Loïc Prud’homme de prendre la parole. Le propos liminaire semble le laisser perplexe et, depuis le début de l’enquête, il affiche une certaine détermination à ne pas être baladé. D’emblée, il évoque le hors-série de « 60 Millions de consommateurs » paru en avril sur « Les aliments qui nous empoissonnent » où était épinglée une friandise phare de Danone : les M&M’s Mix (Le mangeur de M&M’s clas siques avale une cacahuète avec chaque bonbon alors que le cœur du M&M’s Mix est rempli soit de cacahuète soit de farine de riz revue et corrigée pour plaire à tous les palais). Épinglée donc, le bonbon star, pour son nombre impressionnant d’additifs. 

Voici ce que Loïc Prud’homme dit à ses quatre interlocuteurs : « Il y a 16 additifs dans les M&M’s Mix. Les avez-vous retirés de la vente ? Cette situation ne correspond pas à ce que vous venez de dire. Je vais être cash : n’est-il pas cynique de tenir le discours que vous venez de tenir quand par ailleurs vous ciblez les enfants avec des produits très sucrés qui contiennent autant d’additifs ? Présenter ces produits avec un marketing attractif est en contradiction avec votre présentation. »

Le directeur de Danone répond : « Notre offre alimentaire est en permanence en relation avec les besoins des consommateurs. C’est ce à quoi nous travaillons. Globalement, nous communiquons et nous poussons à la consommation de produits qui correspondent à la nécessité de l’enfant. »

François Eyraud prend l’exemple de l’eau. Danone communique sur les eaux minérales, dit-il, produit naturel par excellence (« On prend l’eau dans la nature, on la met en bouteille ») – tout comme leur yaourt nature, leur petit suisse, leur lait fermenté qui sont la fierté de l’entreprise. Concernant les additifs, il dit que chacun a une « fonctionnalité spécifique » et que ceux qu’utilise Danone sont autorisés.

L’effet cocktail

Mais, à ce stade de la discussion, il passe sous silence la question, centrale, qui est « l’effet cocktail » : on ne sait toujours pas à ce jour, faute d’études, ce qu’un mélange d’additifs (et, qui plus est, ingéré quotidiennement) a pour effet dans l’organisme à plus ou moins long terme. Or une firme comme Danone qui met en avant un staff scientifique de premier plan et un important travail de veille sur la recherche au niveau international ne peut ignorer cet angle mort du savoir et le principe de précaution, bafoué, qui en découle.

Tout au long de l’audition, les représentants tentent de mettre en avant le niveau imparable de sécurité sanitaire des aliments – indéniable en France, qui est sur cette question parmi les pays les plus sûrs au monde. Mais un aliment hyperfiable sur le plan toxicologique n’en fait pas pour autant un aliment bon pour la santé – là n’est pas le problème en somme.Et quoi qu’il en soit, le directeur de Danone n’a pas répondu à la question de Loïc Prud’homme sur les M&M’s Mix pleins d’additifs, consommés par les enfants essentiellement. L’élément de langage utilisé par Danone pour éluder une question gênante est peu ou prou toujours le même : « On prend des aliments de bonne qualité, on en fait de bons produits et on les amène aux consommateurs. » C’est un peu court pour Michèle Crouzet, députée LREM et rapporteure de la commission, qui met sur la table le sujet sensible : les aliments ultra-transformés. 

Le concept fait son chemin dans les esprits depuis la parution du livre d’Anthony Fardet, chercheur à l’INRA qui, dans la lignée de son confrère Carlos Monteiro, professeur de nutrition à l’université de Sao Paulo, désigne la nourriture industrielle ultra-transformée comme la cause majeure de ce qu’il appelle les « maladies chroniques d’industrialisation ». 

La démonstration est solide et le débat public qui s’annonce, inévitable. Il en était d’ailleurs question samedi 14 juillet dans l’émission de France Culture « les Idées claires » : Un aliment ultra-transformé, qu’est-ce au juste ? C’est un aliment qui a franchi le stade du transformé (la baguette tradition fabriquée par le boulanger : rien à redire) pour devenir un aliment ultra-transformé (le pain de mie), c’est-à-dire sans plus aucune valeur nutritive. L’aliment ultra-transformé remplit le corps sans le nourrir. On parle de « calories vides » : vides de fibres, vides de vitamines, vides de minéraux, vides d’antioxydants (qui ralentissent le vieillissement des cellules et donc de la peau). 

On reconnaît l’aliment ultra-transformé à sa liste d’ingrédients et d’additifs (l’additif n’est pas un ingrédient, il restaure goût, couleur et texture), une liste à rallonge d’ingrédients d’origine strictement industrielle, indéchiffrable pour le consommateur avec ses noms bizarres et tous ces « E » mystérieux, illisible tant c’est écrit petit, comme une incitation à ne surtout pas lire. On le reconnaît aussi à ce que, souvent, il se pare de vertu et porte la mention « Enrichi en… » ou « Bon pour… ». 

Ces denrées mutantes qui représentent la moitié de l’offre en supermarché, Anthony Fardet les appelle génériquement fake food –