Quand l’Office des voiries et drainage recourt à des pratiques honnies

Les routes de la capitale sont en réhabilitation, à la grande satisfaction de la population et des automobilistes. Cependant, là où le bât blesse, c’est quand le maître d’ouvrage recourt au gré à gré et à l’appel d’offre restreint pour attribuer les travaux.

L’Office des voiries et drainage (OVD) a offert par la procédure de gré à gré le marché de la réfection des avenues Université (9 400 m) et Shaba (2 186 m) à l’entreprise Aaron Sefu Sarl, respectivement pour environ 9.1 millions de dollars et 2.1 millions de dollars. L’avenue Université part du campus universitaire de Kinshasa sur les hauteurs de Mont Amba et débouche sur le boulevard Sendwe, non loin de l’église catholique Saint Raphaël. Elle a été maintes fois réhabilitée ces dernières années mais elle s’est affalée à plusieurs endroits notamment au niveau des quartiers Yolo dans la commune de Kalamu. L’avenue Shaba est un sinueux boulevard qui ouvre les communes enclavées de Ngiri-Ngiri, Bumbu, Makala au centre-ville. Des experts ont été très critiques sur l’attribution des marchés de réfection des artères aussi capitales à une entreprise plutôt illustre inconnue.

Appel d’offre restreint

L’OVD a également adjugé le marché de la réhabilitation de l’avenue colonel Ebeya, dans son tronçon compris entre TSF et Kabasele, ex-Flambeau (2 064 m) à la firme Power Master International Sarl pour plus de 2.3 millions de dollars à travers un appel d’offre restreint. La même entreprise a remporté le marché de réhabilitation de l’artère Mokali-boulevard Lumumba-Pont Mokali (3 472 m) dans la commune de Kimbaseke avec la même procédure d’appel d’offre restreint, pour plus de 6.5 millions de dollars. L’opinion n’a pas cependant en souvenance une grande artère de la dimension de la route Mokali modernisée par la société Power Master.

Cependant, la réhabilitation de l’avenue Luambo Makiadi Franco, ex-Jean-Bedel Bokassa (3 323 m) a été confiée à un vieux routier du secteur, Safrimex, par appel d’offre restreint au coût d’environ 5 millions de dollars. Il y a peu, des experts de la Banque mondiale ont déploré le fait que plus de 40 % des marchés publics sont des marchés de gré à gré, c’est-à-dire sans être au préalable soumis à l’appel d’offre. Anormal, soutiennent des experts, parce que cela favorise la corruption et n’incite pas à attirer les investisseurs. Les déficiences du processus de passation des marchés ont parfois abouti à l’arrêt de plusieurs projets et à des pertes financières. La Banque mondiale note qu’« en plus de causes liées au dysfonctionnement du système budgétaire, le faible taux d’exécution des marchés publics est aussi dû à des problèmes du processus de passation des marchés ». La voirie de la capitale totalise un linéaire de 3 364 km, soit plus de 40 % de l’ensemble de 7 433 km des voiries urbaines de tout le pays. Quelque 679 km des routes de la capitale sont asphaltés. Des bitumes qui tombent en lambeaux à l’image des avenues Luambo, ex-Bokassa et Ebeya en plein centre des affaires, dans la commune de la Gombe. Il y a un peu plus de six mois, le Sénat, à la suite du rapport de la Commission de suivi routier avait enjoint le gouvernement de financer l’OVD à hauteur de 32 millions de dollars à court terme, pour agir en urgence sur la voirie de la capitale. Hélas, rien n’est venu.

Partenaires extérieurs

En décembre 2015 déjà, le gouvernement central soutenait disposer, pour la ville de Kinshasa, de plusieurs études sur les voiries dont celles du projet portant sur 22 artères d’une longueur totale de 66 km des voiries urbaines sous financement de la Banque arabe de développement économique pour l’Afrique (BADEA).

Cinq de ces 22 artères étudiées [Croix rouge (Kinshasa), Bianda (Mont Ngafula), Biangala (Lemba), Kimwenza (Kalamu) et Kisenso (Kisenso)] qui représentent un linéaire total de 12,36 km ont été sélectionnées pour les travaux de bitumage avec un budget évalué à 18 millions de dollars, répartis à hauteur de 8 millions de dollars pour la Banque arabe de développement économique, 8 millions de dollars pour l’OFID et 2 millions pour le gouvernement congolais, avait rassuré l’alors ministre des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction, Fridolin Kasweshi. « À ce jour, les accords de prêt de 8 millions de dollars avec respectivement la BADEA et l’OFID ont déjà été signés et ont déjà eu l’approbation de deux chambres du Parlement et ratifiés par les ordonnances-loi n°14/009 et 14/010 du 10 juin 2014 du président de la République. Le processus devant permettre l’exécution de ce projet prévu sur 24 mois est en cours », avait-il rassuré, fin 2015.

Près de 20 mois plus tard, ni Kimwenza ni Kisenso, ni, ni, n’ont été réhabilitées. Durant ces cinq dernières années, les crédits les plus élevés accordés à la voirie structurante, donc relevant du pouvoir central, auront été versés en 2013 avec une enveloppe de plus de 15 milliards de francs. Des larges artères de la capitale avaient été ciblées pour leur modernisation. Une fois encore, ce fut un rendez-vous manqué. Le projet de réhabilitation de l’avenue Elengesa réapparaîtra dans un programme de plus de 3 milliards de francs. Elengesa, du nom d’un acteur politique des années 1960, est pratiquement un boulevard de plus d’une dizaine de km qui relie les communes populeuses de Ngiri-Ngiri, Makala, Bumbu et Selembao. Avis d’expert : sa réhabilitation permettra de désengorger l’avenue de Libération, ex-24 novembre, ainsi que l’avenue Kasa-Vubu. Autre artère susceptible de permettre la fluidité de la circulation plutôt dans la partie est de Kinshasa : c’est l’avenue de la Paix. Le gouvernement avait reconnu, il y a près de 18 mois, que la construction de l’avenue de la Paix permettra de désenclaver plusieurs quartiers des communes de Kisenso, Matete et Mont Ngafula. Mais voilà près de 15 ans que sa construction est chaque fois annoncée, les travaux commencent, puis s’arrêtent. L’avenue de la Paix est longue de 14,5 km et fait partie de principales artères de la voirie de Kinshasa qui restent encore non revêtues.

Autre artère principale dans la voirie de la capitale, l’avenue By-Pass, ouvrant sur 13,7 km Salongo, Rond-point Ngaba et Triangle Cité verte au centre-ville. La route de By-Pass a été construite en 1981. Elle s’est fortement dégradée depuis. Un projet a été élaboré en 2011 en vue de sa réhabilitation et modernisation en une chaussée de 2×2 bandes pour un montant de quelque 40 millions de dollars. Cependant, sans frais d’expropriations et autres frais connexes relatifs aux délocalisations des concessionnaires. Il s’agit entre autres des tuyaux de la REGIDESO, des câbles de la SNEL. Mais le projet ne sera jamais aligné dans le budget de l’État de quatre dernières années. La réfection de By-Pass aurait été finalement prise en charge par le contrat SOPECE. By-Pass étant le prolongement de la nationale n°1.

Un contrat de concession de 11 ans a été signé en 2008 entre, d’une part, l’État congolais et la firme chinoise CREC-7 à travers sa filiale SOPECE pour la gestion du péage sur la route nationale n°1 Kinshasa-Matadi. Les recettes de péage sur ce tronçon de la nationale n°1 sont passées depuis début 2015 à 3.5 millions de dollars le mois. Et en retour, les Chinois se sont engagés notamment à entretenir régulièrement la route Kinshasa-Matadi et à verser 130 000 dollars par mois à la province du Kongo-Central. Trois postes de péage sont, en effet, érigés entre Kinshasa et Matadi. Depuis, SOPECE a revu à la hausse le prix de son péage. Ce qui n’est pas sans énerver les transporteurs routiers. Dans la capitale, les artères qui sont réellement modernisées, l’ont été grâce aux financements extérieurs. Il s’agit notamment de l’avenue Kasa-Vubu et la boucle Matonge sur financement de la Banque mondiale, les avenues Kabambare, sergent Moke et Kabinda sur financement de l’Union européenne, alors que le Fonds kowétien a permis la réfection de l’avenue de la Libération dont  le tronçon Rond-point Moulaert-UPN. La JICA (coopération japonaise) a financé les travaux de modernisation de l’avenue des Poids-Lourds. Pourtant, il n’est pas de sources de financement qui font défaut. Le gouvernement a, par exemple, alloué plus de 1 milliard de dollars aux travaux de construction et de réhabilitation des infrastructures publiques en 2015, et le Fonds spécial de développement a été doté, deux exercices de suite 2015 et 2016, d’un crédit de plus de 35 millions de dollars. Mais sur le terrain, les effets de ces montants colossaux ne sont guère perceptibles.