Quand Socrate débat de la dette grecque avec Angela Merkel

L’Express a imaginé ce que pourraient être les échanges de points de vue entre le célèbre philosophe et la chancelière allemande. Un dialogue, (très très) librement inspiré du Criton. 

– Angela Merkel: Que viens-tu faire à cette heure, Socrate? Il est encore très tôt, ne vois-tu pas?

– Socrate: Oui, il est encore très tôt.

– Mais enfin, qu’es-tu venu faire ici de si bonne heure?

– Retirer mon capital au distributeur comme tous les Athéniens que tu vois autour de toi, Angela.

– Comment expliquer tel phénomène?

– Il me faut, Angela, t’apporter une nouvelle pénible et accablante. La Grèce ne remboursera pas ses créanciers, par Zeus.

– Et sur quoi te fondes-tu pour affirmer cela, Socrate?

– Je m’en vais te le dire. Lorsqu’on est convenus avec quelqu’un comme le FMI d’une chose, à condition qu’elle soit juste, faut-il la faire ou peut-on la décevoir?

– Il faut la faire.

– Les règles que la Grèce a jusqu’ici mises en avant, elle ne peut les jeter maintenant par-dessus bord, sous prétexte qu’il lui est arrivé quelque chose d’imprévu. Cela posé, fais attention maintenant à ce qui en découle. Si nous nous y plions, sans avoir obtenu l’assentiment de la Cité, faisons-nous du tort à des gens, et précisément à des gens à qui il faudrait le moins en faire parce que leurs retraites ont déjà baissé, oui ou non?

– Dis-moi Socrate, le référendum que ton peuple envisage, est-ce autre chose que de porter préjudice à l’Europe? Crois-tu vraiment qu’un État arrive à subsister et à ne pas chavirer, lorsque les jugements rendus restent sans force, qu’il dépense au-delà de ses propres besoins et que les particuliers se permettent d’en saper l’autorité en ne payant pas leurs impôts et d’en tramer la perte? Allons donc Socrate, que reprochent les Grecs aux institutions européennes pour entreprendre de les mépriser ainsi? N’est-ce pas elles qui ont permis d’engendrer une Grèce moderne, de développer des routes et de belles infrastructures qui profitent au peuple?

– L’Europe nous a mis au monde, nourris, instruits, elle nous a, moi et les autres citoyens, fait bénéficier de la bonne organisation qu’elle était en mesure d’assurer. Je proclame pourtant qu’il est possible à tout Athénien qui le souhaite, après qu’il a été mis en possession de ses droits civiques et qu’il a pris connaissance de la vie publique, de quitter la zone euro, à supposer qu’elle ne lui plaise pas, en emportant ce qui est à lui et aller là où il le souhaite. Aucune loi n’y fait obstacle.

– Mais si la Grèce reste, expérience faite de la façon dont nous rendons la justice et dont nous administrons la zone euro, je déclare que désormais elle est vraiment d’accord avec nous pour faire ce que nous pourrions lui ordonner de faire. Et j’affirme que, si elle n’obéit pas, elle est coupable à deux titres: parce qu’elle se révolte contre la zone euro qui l’a élevée monétairement et enfin, parce que ayant convenu de nous obéir, elle ne nous obéit pas sans même chercher à nous faire changer d’avis et que, même si nous lui laissons le choix entre les deux possibilités suivantes: sortir de la zone euro ou nous obéir, elle ne se résout ni à l’une ni à l’autre.

– Mais dis-moi Angela. N’est-ce pas le souci de ce qui pourrait t’arriver à toi et tes amis des institutions financières qui t’empêche de laisser la Grèce à son libre jugement? Tu crains que les sycophantes de Bruxelles et Washington ne te suscitent des tracas en t’accusant de nous avoir laissés échapper à nos créanciers?

– Tu te trompes, Socrate. Délibérez, Grecs, puisque vous le souhaitez. Ou plutôt non, ce n’est pas le moment de délibérer, il faut avoir pris une décision. Il ne reste qu’un parti. Car, la nuit dernière, il fallait déjà que toute l’opération de remboursement soit menée à son terme. Si vous tardez encore, il n’y aura rien à faire. Alors Socrate, de toute façon, suivez mon conseil et ne dites pas non. L’avenir de l’Europe n’est pas en jeu dans ce référendum mais celui d’Athènes, oui. Et souviens-toi que tes dernières paroles à tes amis, après avoir avalé la ciguë, furent: «Criton, nous devons un coq à Asclépios. Payez cette dette, ne la négligez pas».