Serge Dassault voulait prouver à son père qu’il était digne d’un empire

La France politique mais aussi industrielle a rendu un hommage mérité à une légende de l’industrie aéronautique. Voici comment ce capitaine d’industrie s’est construit cette légende, avant de mourir à 93 ans, foudroyé par un malaise cardiaque, et a préparé sa succession.

 

Comme il est de coutume, l’inhumation de Serge Dassault a lieu dans « l’intimité familiale ». PDG du Groupe Dassault depuis 1987, Serge Dassault, polytechnicien et ingénieur aéronautique est né le 4 avril 1925. Il a longtemps vécu dans l’ombre de son père, Marcel Bloch-Dassault, ancien déporté, ingénieur et co-fondateur du groupe, mentor des premiers pas de Jacques Chirac dans la vie publique et député gaulliste, mort en 1986. 

Nommé, en 1987, PDG de Dassault Industries, Serge Dassault était devenu depuis le patron du Groupe Dassault. Il avait choisi en juin 2014 Charles Edelstenne pour lui succéder à la tête du groupe. Sénateur LR (Les Républicains) de l’Essonne jusqu’il y a peu, Serge Dassault devait être jugé cette semaine en appel pour « blanchiment de fraude fiscale », après une condamnation en février 2017 à cinq ans d’inéligibilité et deux millions d’euros d’amende.

Aucune querelle d’héritiers

Industriel, homme politique, homme d’affaires, patron de presse, Serge Dassault, a succombé le 28 mai à l’âge de 93 ans suite à un malaise cardiaque. Il était le père d’Olivier Dassault. En son temps, il dut affirmer de toutes ses forces son talent pour pouvoir succéder à son illustre père, ami du général De Gaulle et instigateur de l’entreprise française d’aviation que le monde entier envie. Il est des familles où la « transmission » se fait dans la douceur, il en est d’autres, plus rigoureuses, où la succession se fait dans la douleur et le travail. C’est ainsi que Serge Dassault a réussi à devenir un véritable et grand patron de l’un des fleurons de l’économie française.

À l’occasion des vœux du nouvel an, Serge avait demandé à son fils Olivier, lui-même pilote chevronné, directeur de plusieurs entités du groupe et homme politique également, de prendre le micro. Comme un signe avant-coureur de cette transmission familiale, toujours faite sous le signe du labeur et de la souffrance. Comme son propre père, Serge Dassault avait le sens de la récompense dans un esprit « patriarcal » qui pouvait être parfois mal interprété, dans un contexte de pouvoir chèrement acquis. 

C’est à ses enfants : Olivier, Laurent, Marie-Hélène et Thierry, de prendre la main sur les activités de cette immense entreprise, comme c’est déjà le cas avec Dassault Systèmes, explorant le monde virtuel ou encore avec l’évolution numérique du célèbre groupe Figaro dont Olivier Dassault fait partie de l’équipe de direction. C’est pour dire que la succession de Serge Dassault avait été préparée de longue date. Olivier Dassault a déclaré sur Europe 1 qu’il n’y aura « aucune querelle d’héritiers » après le décès de son père, qui laisse derrière lui un empire industriel… D’ailleurs, les quatre enfants de Serge Dassault siègent au Conseil de surveillance de la holding familiale. Au journaliste qui lui rappelait la situation compliquée ayant suivi le décès de son grand-père, Marcel, durant laquelle Olivier avait lui-même été envisagé comme futur numéro un avant que son père n’obtienne cette place, il a évacué tout risque de dissension. « La question n’est pas de devenir numéro un, numéro deux ou numéro trois. La question est de poursuivre l’œuvre de mon grand-père, l’œuvre de mon père et de faire en sorte que cette société, fleuron national, international de l’industrie aéronautique, de l’informatique et de l’électronique, comme l’est également Dassault Systèmes, perdure au-delà de l’homme qu’il était », a-t-il dit.

Serge Dassault faisait partie d’une génération ayant le goût de l’effort et du labeur. Serge Dassault était un homme des convictions. Il est mort dans son bureau du rond-point des Champs-Élysées. Il laisse derrière lui un empire immense. Au travail jusqu’à la fin. À la tête de l’une des plus grandes fortunes du pays, Serge Dassault était l’un des plus éminents représentants du capitalisme familial français. Héritier du groupe d’aviation fondé par son père, il a orchestré l’un des programmes phares du groupe: le développement de l’aviation d’affaires avec le programme Falcon. Dans le domaine militaire, c’est avec l’avion de chasse Rafale qu’il aura laissé son empreinte.

Serge Dassault était également un homme politique engagé à droite. Conseiller régional d’Île-de-France de 1986 à 1995, il avait ensuite été régulièrement élu maire de Corbeil-Essonnes, ville dont il avait fait son fief électoral, sous la bannière du RPR, puis de l’UMP. Un an après avoir une nouvelle fois remporté le scrutin municipal, en 2008, il avait toutefois vu le Conseil d’État annuler sa réélection. Il avait également été élu sénateur, d’abord sous les couleurs de l’UMP, puis sous celles des Républicains. Dans ces fonctions politiques, il avait affronté des démêlés judiciaires. 

Serge Dassault était également patron de presse, propriétaire du Figaro. Tous les ans, en début d’année, Serge Dassault y signait une tribune pour livrer sa vision des réformes à mener pour la France, libéralisation du marché du travail, assouplissement des 35 heures, actionnariat salarié, intéressement ou encore baisse de la fiscalité pour les entreprises et les ménages. Dans ses derniers vœux, publiés dans Le Figaro du 2 janvier 2018, Serge Dassault se réjouissait des premiers pas d’Emmanuel Macron à l’Élysée. « En sept mois, il faut reconnaître que le nouveau président n’a pas perdu de temps, inscrivant même à son actif des réformes que la France attendait depuis trente ans », écrivait-il. Mais c’est sans doute en Nicolas Sarkozy qu’il avait placé le plus d’espoir lors de son élection en 2007. 

Le gardien du Temple

Charles Edelstenne, qui succède à Serge Dassault à la tête du groupement familial, est un pilier historique du groupe aéronautique auquel il a consacré sa vie avant d’en devenir le gardien du Temple aujourd’hui. Remarqué par le fondateur Marcel Dassault après avoir rejoint l’avionneur à la fin des années 1950, il a pris part aux grands événements qui ont ponctué l’histoire du groupe et contribué à faire de Dassault Aviation une référence mondiale des avions d’affaires haut de gamme, les jets Falcon.

Devenu grand capitaine d’industrie et conseiller incontournable de la famille Dassault, Charles Edelstenne reprend à 80 ans le flambeau en vertu des modalités de la succession de Serge Dassault décidées en 2014. Il y a « un président aujourd’hui dans notre groupe qui a été désigné bien avant que mon père nous quitte, pour qui nous avons voté unanimement, qui est Charles Edelstenne, qui a porté haut les couleurs de Dassault Aviation, créateur aussi, fondateur de Dassault Systèmes », a commenté Olivier Dassault sur Europe 1. « Et pour cela, nous comptons bien sur lui pour poursuivre cette mission à nos côtés ».

Né à Paris le 9 janvier 1938, ce fils de commerçants originaires d’Europe centrale, qui décroche son diplôme d’expert comptable aux cours du soir, rejoint l’avionneur comme aide comptable avant de gravir les échelons: chef des services financiers en 1960, secrétaire général adjoint en 1971, secrétaire général en 1975, vice-président en 1986 et PDG en 2000. Il participe au rachat, en 1967, de l’entreprise Bréguet Aviation et assiste à la nationalisation du groupe en 1981 sous le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. En 1998, l’État français transfère sa participation dans Dassault Aviation à Aerospatiale, qui échoit finalement à Airbus avant d’être en partie récupérée par Dassault ces dernières années.

Charles Edelstenne a aussi bouleversé la façon dont les avions du monde entier sont construits en repérant un logiciel de conception assistée par ordinateur, Catia, devenu le socle de Dassault Systèmes, qui a démultiplié la fortune des Dassault et fait la sienne. Quand il tombe en 1981 sur ce logiciel développé en interne, il perçoit son formidable potentiel. Marcel Dassault accepte d’investir dans le projet à condition que son directeur financier prenne le même risque. Ce petit homme, aux yeux bleus et au sourire volontiers narquois sous sa moustache grise, amateur de golf, s’est taillé une réputation d’administrateur et de négociateur hors pair, dont les réparties sont redoutées par ses interlocuteurs.

Il réussit en 2009 à racheter la part de l’État dans l’électronicien de défense Thales, au nez et à la barbe du groupe européen EADS qui en offrait davantage. Et fait de Dassault Aviation l’actionnaire industriel d’un groupe quatre fois plus grand que lui, au cœur de l’industrie française de défense. Atteint par la limite d’âge en 2013, Charles Edelstenne choisit un proche, Éric Trappier, pour lui succéder à la tête de Dassault Aviation. 

Mais comme il n’est pas homme à prendre sa retraite, il prend la tête de la holding qui coiffe toutes les sociétés de la famille Dassault et à ce titre actionnaire de Dassault Aviation.