Un étonnant paradoxe du calcul quantique

Objet de beaucoup de fantasmes, l’ordinateur quantique n’est encore pas près d’exister. Et pourtant, nous cherchons à contrer la menace encore hypothétique qu’il fera peser sur les méthodes de chiffrement actuelles plus activement que nous ne le faisons pour d’autres menaces bien réelles.

De par son nom mystérieux, l’ordinateur quantique est l’objet de bien des fantasmes, par exemple ceux qui clament qu’il calculera infiniment plus vite que l’ordinateur classique et qu’il le remplacera bientôt. Tout cela est loin de la réalité, comme on peut le lire dans l’excellent rapport « Quantum Computing : Progress and Prospects » de la National Academy of Sciences des Etats-Unis.

Il y est expliqué qu’un ordinateur quantique de bonne taille n’est ni sûr ni près d’exister, très probablement pas dans les dix années à venir, et qu’il ne jouerait que des rôles très particuliers car peu d’algorithmes ont encore été développés pour lui : le calcul quantique dont les qubits (bits quantiques) sont corrélés en permanence est fondamentalement différent du calcul classique dont les bits sont indépendants.

« Killer application »

Le domaine de recherche est beau, mais très difficile, que ce soit en physique ou en algorithmique, et le coût très élevé des développements ne sera pas compensé par des ventes rapides comme pour l’ordinateur classique. Mais la « killer application » potentielle existe : en 1994, le chercheur Peter Schor a inventé un algorithme quantique permettant de casser les méthodes de chiffrement dites asymétriques, qui sont aujourd’hui à la base de la Carte Bleue et de l’échange de clefs de chiffrement classiques pour l’établissement de connections sécurisées sur Internet.

Le temps de calcul quantique y est exponentiellement plus petit qu’avec l’ordinateur classique. Pour la Carte Bleue actuelle, il faudrait 2 millions de qubits de bonne qualité ; on en est encore très loin, mais les conséquences seraient dévastatrices.

De nouveaux chiffrements post-quantiques résistants sont en cours d’étude pour normalisation, mais il reste un énorme problème de logistique : les mettre en place correctement à l’échelle mondiale sera très compliqué et pourrait bien prendre plus que dix ans ! Paradoxe : nous allons peut-être bouger vite et fort pour contrer une menace encore hypothétique, ce que nous ne faisons pas pour d’autres menaces déjà bien réelles…