100 jours version XXL

Le vrai et grand débat national a commencé pour Fatshi. Heureux d’avoir été les premiers à écrire, ici même : « Félix Tshisekedi : 100 jours pour convaincre ». Les faits et le temps ont fini par nous donner raison. Un mois après s’être installé au pouvoir d’État, le tout nouveau président a enfin décliné ses premières actions pour marquer son quinquennat.

C’EST LE PLUS grand chantier en si peu de temps ! Le Programme d’urgence que le nouveau président de la République a dévoilé, le 2 mars dernier, à Kinshasa, est le témoin de l’accélération que Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo souhaite et veut donner à la reconstruction du pays. Tout est pénurie, tout est urgence, tout est priorité en République démocratique du Congo, pourrait-on ainsi dire à la vue de ce document. 

En tout cas, on n’a pas besoin de loupe pour constater que ce programme des 100 premiers jours de la présidence Tshisekedi ressemble fort aux Douze travaux d’Hercule, le héros de légende antique, et personnage de la mythologie romaine, qui correspond à Héraclès de la mythologie grecque. Hercule est connu pour sa victoire sur le brigand Cacus. Les Douze travaux imposés à Hercule tendent soit à le faire échouer, auxquels cas il meurt, et il n’est plus un dieu (puisque n’étant pas immortel et invincible), soit à le faire triompher, auxquels cas il est un véritable dieu et rejoint l’Olympe (le séjour des dieux greco-romains).

Ambitieux, volontariste, juste milieu, anticipation… Certes, tout y passe comme critique dans les commentaires et analyses qu’on entend ici et là. Mais l’important, c’est l’état d’esprit dans et/ou avec lequel l’exécution de ce programme des 100 jours va se faire et pour lequel le président de la République va investir à peu près un demi-milliard de dollars (304 097 742 dollars). Au propre comme au figuré, c’est un laboratoire d’essai de son quinquennat. D’où l’allusion au héros Hercule. Si le programme remporte le succès escompté, la suite sera sans doute prometteuse. Aujourd’hui, tout le pays est à reconstruire. Il faut innover à tous points de vue. S’il échoue, c’est toute l’œuvre de tant de jours qui sera effacée en un seul jour et d’un seul trait. Et le débat s’enflamme depuis plus d’une semaine déjà.

100 jours pour comprendre Fatshi

« Qui peut le moins peut le plus ». Félix Antoine Tshisekedi semble avoir fait sien cet adage français. Selon ses soutiens, certes le Programme d’urgence énoncé le 2 mars dernier peut paraître ambitieux, mais il a l’avantage de commencer quelque part. Il a aussi le mérite d’avoir fait le maillage (convergence entre les besoins et les moyens) des actions à mener dans le pays et de poser clairement la relation coût-délai-qualité. Le tout reposant sur le suivi et le contrôle dans la réalisation des projets. Tout peut ne pas s’achever dans le délai de 100 jours, mais tout peut déjà commencer.

Heureux, nous le sommes, puisque nous avons été les premiers, dans les colonnes même de notre journal, édition n°206 du 21 au 27 janvier 2019 (Félix Tshisekedi : 100 jours pour convaincre), à avoir cerné les priorités de la présidence Tshisekedi. Nous écrivions alors ceci : [Félix Tshisekedi devra ne pas sous-estimer les difficultés et savoir pertinemment qu’il ne devrait pas s’ériger en donneur de leçons. Mais il doit se décider à redoubler d’ardeur en comptant notamment sur des appuis internes et extérieurs pour faire aboutir les « 350 mesures prioritaires » de son programme de campagne. 

Techniquement, la présidence de Tshisekedi devra, de toute façon, se dérouler dans le cadre de cinq dossiers clés : paix et sécurité (notamment dans l’Est) ; primauté de l’État de droit ; protection des libertés individuelles et démocratiques ; lutte contre l’impunité, la corruption et l’enrichissement sans cause ; amélioration du climat des affaires pour attirer les investisseurs, créer les emplois et la croissance. 

Sur deux dossiers au moins, le « séisme » électoral risque de faire sentir ses effets : la paix et la sécurité ; la relance de l’économie. Sur le premier, il faut donner plus de « vigueur » à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour le retour de la paix et la stabilité à l’Est. La relance de l’activité économique et le développement durable dans les provinces touchées (notamment le riche Nord-Kivu) sont à ce prix-là.

Sur le second, le nouveau président n’aura pas de répit si les chefs d’entreprises ne retrouvent pas le moral, ni si le pouvoir d’achat des Congolais ne se reprend pas, ni si les emplois ne sont pas créés…

Il pourra aussi souffrir du climat général et perdre beaucoup de sa superbe si le dossier des revendications sociales : salaires décents, gratuité de la scolarité, soins médicaux, retraite, logement, transport… n’est pas directement et rapidement mis en main.]

C’est tout dire ! « Je vais veiller à ce que la justice soit administrée par des personnes intègres et aux valeurs irréprochables chargées de lutter contre la corruption », a déclaré le président Tshisekedi comme à la manière du berger à la bergère. Et il promet d’œuvrer à la bonne gouvernance par la réalisation d’un code de bonne conduite. Rendez-vous le 12 juin pour juger sur pièce.

Rien que des actions à IVR

Le Programme d’urgence se décline en 9 points ou secteurs d’activité clés : routes (Office des routes et Office des voiries et drainage), santé, éducation, habitat, énergie (électricité et eau), emploi, transport, agriculture, pêche et élevage, ainsi qu’autres actions sectorielles. Cherchant à rassurer la population, Félix Antoine Tshisekedi a clamé ce à quoi il dit attacher du prix depuis longtemps en matière de sécurité, c’est-à-dire tout faire pour la reddition, l’encadrement et l’insertion des groupes armés où qu’ils se trouvent. Par ailleurs, un nouvel administrateur de territoire va être nommé à Yumbi (province du Maï-Ndombe) dans les prochains jours.

Il s’agit aussi de la décrispation du climat politique en œuvrant pour le retour sans condition des exilés ainsi que pour la libération des prisonniers politiques et d’opinion en déclenchant la procédure de grâce présidentielle. Il s’agit également de la lutte contre la corruption, en redynamisant l’appareil judiciaire et les autres structures ad hoc à travers des mesures appropriées, notamment la création d’une structure de lutte contre la corruption et le blanchiment des fraudes fiscales. 

Le président de la République estime qu’il y a de meilleure cause à financer l’élaboration d’un code d’éthique institutionnelle, à mener une politique étrangère basée sur le développement et le respect de la souveraineté nationale, à entreprendre une coopération politique d’ouverture au monde, de bon visage et gagnant-gagnant, à assainir le climat des affaires, à vulgariser le nouveau code minier et à conclure des contrats miniers gagnant-gagnant. Ce sont là des actions à impact visuel rapide (IVR).

Nous avons aussi écrit, dans les colonnes de notre journal, édition n°208 du 4 au 10 février 2019 (Premiers pas qui rassurent pour Félix Tshisekedi) : [Dans les jours qui ont suivi l’élection de Fatshi, la question est sur toutes les lèvres : quelles seront ses premières décisions ? À Kinshasa, voire dans le pays tout entier, chacun y va de son commentaire. 

Les uns, surtout parmi ses partisans, souhaitent que son mandat démarre sur les chapeaux de roues. En réalité, ils veulent que le « Président de l’alternance » se pare d’un dispositif très dissuasif pour vider le pays des anti-valeurs comme la corruption, l’impunité, l’enrichissement illicite, les arrestations arbitraires, etc. D’autres soulignent sa détermination de préserver du naufrage la démocratie et d’améliorer les conditions de vie du peuple congolais.

« Il faut qu’on sente qu’il y a un pilote dans l’avion » : c’est par cette formule qu’un père de famille, fonctionnaire de son état, résume l’état actuel. « Le président ne doit plus être le même. Rigueur, travail et dignité : tels sont les trois mots qui devront guider son action à la tête du pays », estime une femme travailleuse. À peine est-il proclamé cinquième président de la RDC, Félix Tshisekedi prend peu à peu ses marques : non seulement agir vite mais aussi marquer les esprits en prenant des décisions (tape-à-l’œil) qui rencontrent directement les attentes de la population…

Part belle aux infrastructures

Chaque jour, il se montre à l’écoute de la population, et renforce ainsi sa popularité. Est-ce une bonne chose de se soumettre à la pression populaire ? Difficile à dire. « Toujours est-il que le président de la République a tous les ressorts nécessaires pour décider dans l’intérêt supérieur de la Nation », nous explique un de ses proches au parti. On le vérifiera.] Pour quitter les sables mouvants, le nouveau président est devant un choix : réformer, en douceur ou en trombe mais de fond en comble. Car les causes de la dépression congolaise – depuis un demi-siècle, on nous les ressassent -, ce sont l’avilissement de l’État-providence, les excès du maternage, et surtout le refus des réformes.

En présentant, son Programme d’urgence des 100 jours, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a mis le doigt au cœur même de la plaie congolaise. Sans les infrastructures de base, la reconstruction du pays restera un mirage et un slogan politique. « Nous sommes capables de construire plus de 5 000 km de routes dans les 5 prochaines années », a déclaré le président de la République. Pour rappel, sur 58 129 km de routes d’intérêt général, la RDC ne dispose que de 3 400 km de routes revêtues. À terme, il s’agit de réhabiliter, construire, entretenir les ouvrages (routes, ponts, bacs, et autres). L’Office des routes (OR) et l’Office des voiries et drainage sont déjà à pied d’œuvre dans la capitale Kinshasa et dans le Kongo-Central. 

Sur le plan social, le Palais de la nation a pris l’engagement de réhabiliter certains hôpitaux de référence (Hôpital général, Clinique Ngaliema à Kinshasa ; Hôpital Sendwe à Lubumbashi, Hôpital de Manono), parachever une trentaine de centres de santé et construire une trentaine d’autres… D’autres actions sont prévues au programme. Par exemple, la prise en charge de la maternité dans 9 Zones de santé de Kinshasa et des soins de santé en faveur de militaires et policiers, paiement de la dette GAVI (766 000 dollars) pour avoir accès au financement de 14 millions de dollars, achat de vaccins traditionnels (polio, tuberculose, tétanos) et de médicaments essentiels pour les 26 provinces, construction d’un hôpital d’Ebola de Makeke (Ituri), réhabilitation et équipement de l’Hôpital de référence militaire du camp Tshatshi…

Sur le plan de l’éducation, la réhabilitation et/ou la construction de 150 écoles, la redynamisation de la mutuelle de santé des enseignants, la réception des écoles techniques industrielles modernes (à Manono, Musumba et Kibangula au Katanga)… Dans le volet habitat, il s’agit de construire des maisons sociales, des maisons préfabriquées par la société Samibo Congo Sarl à Kinshasa (Maluku), au Kongo-Central, au Kasaï Oriental (Mbuji-Mayi) et au Kasaï-Central (Kananga), la relance de la mise en activité de l’Unité mobile pour la construction de bâtiments en préfabriqués à Kinshasa, etc. 

Bref, la santé, l’éducation, l’énergie, le transport, l’agriculture, la pêche et l’élevage constituent les piliers de ce Programme d’urgence. Son financement proviendra du Trésor public (206 637 351 dollars), du Fonds national d’entretien routier (FONER) pour 27 363 657 dollars et du Fonds de promotion de l’industrie (FPI) pour 70 096 734 dollars. Les actions prioritaires dans ce programme émanent des politiques sectorielles élaborées par les ministères dans le cadre du budget. 

Baroud d’honneur

Il est donc important que ce programme soit rapidement intégré dans une vision globale du quinquennat. Il va de soi que les Congolais se montrent très sévères sur le comportement du nouveau président et du nouveau gouvernement à venir, les deux têtes de l’exécutif national face à leur capacité de résoudre les problèmes du pays. Les Congolais s’impatientent. Ils veulent que le nouveau président remette les choses qui étaient à l’envers à l’endroit. Cela fait plusieurs années qu’ils s’inquiètent pour leur avenir. « Si sur aucun des grands dossiers du pays qui préoccupent les gens, le nouvel exécutif n’apporte de réponse intelligible, pourquoi voulez-vous que les citoyens, quand ils sont consultés, n’expriment pas leur mauvaise humeur ? », fait remarquer un syndicaliste dans le secteur de l’enseignement.Nous avions enfin écrit : [« Il faut qu’il change vite fait ». C’est le refrain que serinent tous les commentaires à l’adresse du nouveau chef de l’État. Il est vrai qu’avant le vote, les Congolais souhaitaient le changement, l’alternance, le gouverner autrement sous la bannière de l’opposition. Il est vrai aussi que le clivage ou la « division » au sein de l’opposition qui compte a traversé l’élection présidentielle, et le « coup de tonnerre » change tout. « Cette fracture plombe l’ambiance dans le pays, touche toutes les politiques nationales. On ne fait pas la politique avec des institutions faibles », explique un politologue.

D’où la nécessité de la volonté de ne pas se contenter d’un rafistolage institutionnel mais de réhabiliter la politique au niveau national. Les attentes des citoyens sont immédiates. Tshisekedi, lui-même, a fini par se convaincre qu’il doit cesser d’être le président d’un parti, d’une tribu… et prendre de la hauteur. Avec vue sur l’histoire nationale. La RDC est une nation tempérée, traversée par les manifestations de revendications politiques, démocratiques et sociales. Elle veut quelqu’un pour la diriger et boire les colères de la population. Quelqu’un qui parle vrai. Comme Patrice Emery Lumumba.]