À combien sont les personnes pratiquant le travail non déclaré à Kinshasa ?

Le poids de l’économie souterraine dans la capitale de la RDC est énorme. L’ampleur du phénomène reste mal connue, soulignent plusieurs spécialistes car il y a un réel manque d’études fiables et viables sur l’orientation pour l’emploi.

LA VIE EN VILLE est devenue plus difficile qu’auparavant faute d’activité économique et d’opportunités d’emplois. Productive et redistributive, l’économie informelle exerce un rôle d’intégration et de régulation sociale là où l’État se révèle défaillant ou impuissant dans ces fonctions. 

Depuis une trentaine d’années, la production de ce secteur participe à la satisfaction de besoins (alimentation, habillement, santé, scolarité…) des ménages les plus pauvres en République démocratique du Congo. Alors qu’elle ne participe pas ou très faiblement aux recettes fiscales de l’État et obère ses possibilités d’investissements publics, l’économie informelle s’inscrit dans une concurrence déloyale avec le secteur formel qui de ce fait est d’autant plus ponctionné par un État à la recherche des recettes. 

Avec la crise économique, implicite bien avant les années 1970, le secteur informel de l’économie a pris de l’ampleur au point de concurrencer, à son avantage, le secteur formel. Dans un contexte économique dominé par le secteur informel qui tend à tirer vers le bas les activités génératrices de revenus, on se demande comment le secteur privé peut être un élément essentiel de la croissance en RDC. 

La plupart des enquêtes menées dans le pays penchent en faveur du développement des PME étant donné qu’elles représentent une part importante de l’emploi et de la redistribution de richesses. Cependant, encore faut-il en saisir les besoins et les modes de fonctionnement. De prime abord, les PME peinent à se développer au Congo. Elles sont enclines à de multiples contraintes dont la disparité des acteurs, l’informalité, le déficit d’accès aux sources de financement, l’instabilité juridique et judiciaire, la faiblesse de l’offre de travail… 

L’économie informelle ou souterraine est un phénomène qui passe relativement inaperçu. Selon une étude sur l’orientation pour l’emploi, des chercheurs comme Benoît Bilomba, sociologue, soulignent qu’il est difficile d’en mesurer le poids faute de données fiables et viables. Sinon, il s’élèverait autour de 20 % du produit intérieur brut (PIB) en RDC. La contribution du secteur informel au produit national brut (PNB) est évaluée en moyenne à 20 % et hors secteur agricole à 34 %. Le commerce représente environ 50 % de sa production. La production manufacturière 32 %, les services 14 % et les transports 4 %. 

Faire bon ménage

Selon les Nations unies, les pays africains doivent se proposer d’utiliser le secteur informel, source de créativité, d’esprit d’entreprise et terrain fertile d’apparition d’une éthique du travail. Cette éthique est fondée sur une forme nouvelle d’autonomie qui pourrait, en fin de compte, constituer la base solide d’un développement durable. D’où l’idée de repenser le processus évolutif spécifique de l’économie informelle qui est un facteur de développement. Le vrai problème qui se pose est celui de l’articulation des deux secteurs. L’idéal serait qu’ils fassent bon ménage. « Le développement se fera dans ce dualisme ou ne se fera pas », estime Benoît Bilomba. Comme d’autres chercheurs qui se sont penchés sur le phénomène, il est favorable au développement des PME, étant donné qu’elles représentent une part importante de l’emploi et de la redistribution des richesses. Si cette donnée est de l’aveu même de l’auteur de cette étude sur l’orientation pour l’emploi « probablement sous-estimée », Alain Ndombele révèle tout de même le poids conséquent de l’économie informelle dans la production de biens et services. 

Plus de la moitié de la population de Kinshasa serait concernée par ce secteur difficile à mesurer en RDC. Le manque à gagner en matière de cotisations sociales est réelle. Pour ce doctorant, l’économie souterraine englobe « toutes les productions légales de biens et services cachés aux autorités afin d’éviter le paiement de contributions socio-fiscales, de contourner la réglementation du marché du travail (salaire minimum, durée légale du travail) ou d’éviter de se plier au respect de procédures administratives ». Cela va sans dire que le déficit de connaissance de cette économie parallèle et les difficultés à la mesurer ont de réelles répercussions sur la situation des travailleurs, les finances publiques ou encore la concurrence déloyale entre plusieurs entreprises d’un même secteur.

Les plus jeunes sont les plus exposés

D’après cette étude, les plus jeunes seraient les plus exposés au travail non déclaré ou non fiscalisé. Ils seraient suivis par les personnes plus âgées. Au niveau de la formation, les moins qualifiés ont plus de chances d’évoluer dans ce type de secteur. Parmi les actifs, les chômeurs et les travailleurs indépendants sont plus souvent exposés au travail non déclaré ou non fiscalisé que les salariés. Ce phénomène est également visible chez les personnes en contrat à durée déterminée (CDD) ou en situation de travail temporaire.

Sans surprise, l’hôtellerie et la restauration, le commerce de détails alimentaire, le bâtiment, le gardiennage ou encore le transport font partie des secteurs les plus concernés par la fraude sociale. La taille de l’entreprise peut également jouer sur l’exposition du travail non déclaré ou non fiscalisé. Les entreprises les plus petites sont plus exposées au travail non déclaré sans que toutefois toutes les analyses convergent en ce sens. 

À l’heure actuelle, le secteur informel échappe largement à l’impôt. Des spécialistes sont d’avis que, compte tenu de la spécificité des activités informelles, il serait de bonne cause que la fiscalisation de ce secteur doive passer par une « simplification radicale » du système d’imposition auquel il est soumis. 

D’après eux, le secteur informel semble avoir parfaitement intégré les fondements de l’économie de marché. En effet, la concurrence tous azimuts que se livrent les producteurs informels est non seulement une réalité objective, mais elle est même revendiquée par la majorité d’entre eux. Ainsi, lorsqu’on les interroge sur la meilleure façon de déterminer les prix dans leur secteur, ils sont nombreux à mettre en avant les mécanismes de l’offre et de la demande. On estime aujourd’hui à plus de 5 millions d’unités de production informelles (UPI). Celles-ci génèrent environ 7 millions d’emplois. Le secteur informel est atomisé et massivement constitué de micro-unités appartenant à des personnes travaillant à compte propre.