Amendes et pénalités, dol ou répression des services d’assiette ?

Les amendes et pénalités rapportent plus que certains actes générateurs de recettes proprement dits dans plusieurs services d’assiette, notamment les ministères. L’accroissement de ces recettes aléatoires relève d’une stratégie de dol, estime la société civile.

LES OPÉRATEURS économiques préféreraient-ils des amendes au paiement des obligations fiscales et parafiscales dues à l’État? La question a fait l’objet d’un brainstorming entre acteurs de la société civile. L’idée selon laquelle des opérateurs économiques seraient plutôt conviés par des préposés de l’État à passer par des voies détournées pour disposer des documents nécessaires à leurs activités a plutôt dominé le débat. 

Sans doute que les amendes et les pénalités déclarées au Trésor ne représenteraient qu’une partie plutôt négligeable de ce qui a été réellement versé, ont estimé d’aucuns. En tout cas, la société civile recommande au futur gouvernement d’instituer une conférence biannuelle réunissant notamment les régies financières, les services d’assiette, le secteur privé pour la validation concertée des prévisions des recettes. Même les régies financières sont mises à l’index dans le rapport du Réseau gouvernance économique et démocratie (REGED), portant sur l’exécution du budget 2019.  

Capitaux mobiliers

La Direction générale des impôts (DGI) n’a réalisé que 3 676 291 101 FC dans  la vente de plaques d’immatriculation automobiles alors que les amendes et pénalités y afférentes se sont élevées à plus de dix fois plus, soit  41 490 666 636  FC. Les recettes des impôts sur les revenus des capitaux mobiliers des nationaux se sont chiffrées à 92 466 589 443 FC, alors que les amendes et pénalités sur impôts sur les revenus locatifs professionnels et mobiliers ont rapporté 41 490 666 636FC. Soit près de 40 % des recettes réalisées. Alors que les effets financiers escomptés lors de l’instauration de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) peinent à se concrétiser, le fisc a institué une amende de 5 millions de nos francs, ou le triple de ce montant en cas de récidive, pour sanctionner toute personne physique ou morale qui corrompt délibérément le fonctionnement du dispositif électronique fiscal. 

Import-export

Selon la DGI, l’objectif de cette mesure est de sanctionner le dysfonctionnement d’un dispositif électronique fiscal provoqué délibérément par un assujetti dans le but notamment de fausser les informations qui remonteraient à l’administration des impôts. La Direction générale des douanes et accises (DGDA) a réalisé 3 957 657 403 FC de recettes d’amendes et pénalités en 2018 et 3 700 556 819 FC en 2017. Ces recettes dépassent les 7 milliards de FC, soit environ 700 mille dollars si l‘on ajoute des pénalités sur impôts sur le commerce et les transactions internationales, 3 799 543 389 FC dont 1 811 807 917 FC pour l’importation et 1 967 735 472 FC à l’exportation. 

Pour ce qui est des services d’assiette, la société civile relève, par exemple, que les assignations de 2019 du ministère de l’Économie correspondent, en fait, aux recettes réalisées en 2018, soit 10 747 470 662 FC dont plus de 97 % proviennent des amendes transactionnelles pour infraction à la législation sur le prix et le commerce. Au ministère du Commerce extérieur, les amendes transactionnelles pour infraction à la législation sur le commerce extérieur (import et export) sont pratiquement devenues la principale source des recettes de ce service d’assiette. En 2018, pour des recettes de 24 068 177 012 FC réalisées par ce ministère, 21 428 507 591 FC, soit plus de 95 % des revenus relèvent des amendes. 

Dans les mines, les amendes transactionnelles (imposition sur l’exportation des échantillons destinés aux analyses et essais industriels et amendes transactionnelles administratives) avaient déjà  rapporté plus de 3 milliards de FC à fin juin 2018. 

Quand les recettes des produits du Centre d’expertise, d’évaluation et de certification et celles de SAEMAPE, ex-SAESSCAM, sont restées nulles, 0 FC, et que la taxe rémunératoire de la valeur expertisée des substances précieuses n’a rapporté que 506 842 458 FC. Assené de critiques, le ministère des Mines a quasiment réduit au tiers ses prévisions des recettes sur les amendes pour l’exercice 2019, soit un peu plus de 1 milliard de FC. Ce qui reste cependant élevé et témoigne de la fraude qui gangrène le secteur minier de la RDC…  

Où les amendes transactionnelles auraient dû rapporter gros comme au ministère de la Justice, elles ne valent que pour du menu fretin, juste 238 672 500 FC, pour des réalisations 2018 de l’ordre de 1 692 224 965 FC. Au ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat, les amendes représentent, en moyenne 20 % des recettes réalisées, ces dernières années. Selon les chiffres obtenus à la DGRAD (recettes parafiscales), en 2018, les amendes équivalaient à 1,4 milliard de FC sur des recettes de 13 564 499 150 FC. Au ministère de la Pêche et de l’Élevage, les amendes et pénalités ont atteint 30 millions de FC en 2018. 

Alors que des actes générateurs de recettes majeurs, comme la taxe sur l’autorisation d’exportation des végétaux, des produits végétaux et produits d’origine végétale ou encore la taxe sur l’autorisation d’importation des animaux, produits biologiques et vétérinaires.  

La BCC s’en mêle

Par ailleurs, un conflit de compétence a éclaté entre le ministère des Finances et la Banque centrale du Congo (BCC) sur la perception des amendes pour infraction à la législation de change. Alors que le ministère des Finances a gagné 185 160 600 FC à travers des amendes transactionnelles sur des astreintes pour non dépôt des tableaux de synthèse et celles relatives au non dépôt et dépôt tardif des tableaux de synthèse. Ces amendes représentent plus de 50 % des recettes réalisées en 2018, soit 394 078 688 FC, par le ministère des Finances en tant que service d’assiette. 

Les assignations pour l’exercice 2019 des Finances portent sur les mêmes montants. Mais la Banque centrale a décidé unilatéralement de percevoir les recettes inhérentes aux amendes transactionnelles, particulièrement celles portant sur l’infraction à la législation de change. Pourtant, ces amendes relèvent depuis toujours du ministère des Finances. En 2017, le ministère des Finances avait pourtant réalisé un taux de perception de 207 % des recettes, soit plus de 2.6 milliards de FC pour des assignations de 1.2 milliard de FC. Les amendes transactionnelles particulièrement celles portant sur l’infraction à la législation de change avaient rapporté 2 389 160 132 FC. Le ministère des Finances a sollicité « l’harmonisation des compétences sur les actes relatifs à la réglementation de change entre le ministère et la BCC », lit-on dans le document intitulé « Annexe explicative des prévisions des recettes de l’exercice 2019 » transmis en additif, au projet de loi de finances 2019, à l’Assemblée nationale par Bruno Tshibala Nzenzhe, le 1ER Ministre. Hélas, la commission Ecofin de l’Assemblée nationale, encore moins celle du Sénat, n’ont donné suite à la requête du ministère des Finances. Par ailleurs, le ministère du Budget n’a accordé aucune prévision des recettes sur les amendes transactionnelles sur l’infraction à la législation de change pour 2019. 

Sommes indûment payées

Toutefois, le ministère des Finances a relevé d’autres griefs dont la responsabilité de la Banque centrale pourrait être établie, « (…) absence de données sur les produits de récupération des sommes indûment payées par le Trésor public via le système bancaire et le comité de suivi de la paie ».  Autres services d’assiette à problème : le ministère des hydrocarbures. Ici, les amendes pour non-exécution de programme en matière d’hydrocarbures ainsi que les autres amendes transactionnelles administratives n’ont plus des prévisions budgétaires depuis des lustres, mais à chaque fin d’exercice, elles rapportent de considérables revenus, plus de 2,7 milliards de FC en 2018. Au ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, les réalisations de 2018 ont été de 4,5 milliards de FC dont 2,5 milliards de FC au titre d’amendes.  Il sied de noter que le prochain gouvernement devra actualiser l’arrêté interministériel portant fixation des taux de la taxe relative à l’octroi du numéro d’identification nationale et aux amendes transactionnelles.