Après l’échec politique du postconfinement

Au-delà de l’impréparation des six premiers mois, administrer une pandémie ne consiste pas à réagir avec la suffisance d’un gestionnaire. Une réflexion éthique s’impose et doit être menée au plus près des réalités.

Six mois après l’irruption du Covid-19 dans l’espace public, il ne serait plus acceptable d’invoquer l’impréparation pour justifier les atermoiements. Les incertitudes, les équivoques, les mesures contradictoires, les conflits d’expertises, les carences de toute nature, les priorisations hasardeuses faute de discernement, les prudences politiques paralysant la capacité de décider sont à remiser dans un passé qu’il sera toujours temps de discuter à l’heure des bilans. L’urgence est d’une tout autre importance : celle de vivre dignement en société avec le Covid-19, conscients que le confinement c’est pour maintenant et pour longtemps si nous n’inventons pas ensemble une intelligence politique de la crise.

A la suite du 11 mai 2020, la sortie du confinement devait être la promesse d’une liberté retrouvée, à ce jour déçue par trop de tentatives approximatives ou d’indécisions. Plutôt que de décevoir les attentes, il convenait de créer les conditions qui permettent d’exercer nos responsabilités pour assumer les défis inéluctables que les illusions d’un été ont détournés de nos préoccupations. S’il convenait d’évaluer selon des critères précis la réussite d’une stratégie de postconfinement, je ne sais pas quels indicateurs inciteraient à s’en satisfaire. Au-delà de la reprise d’une vie économique compatible avec les risques sanitaires et l’anticipation des conséquences de la crise en termes de vulnérabilités, quels objectifs sociétaux explicites le gouvernement s’était-il fixé ? Comment en évalue-t-il la pertinence et l’effectivité ? En quoi ces mois de transition avant la rentrée de septembre nous ont-ils aguerris à ce que nous devrons affronter demain? Avons-nous davantage confiance en nos capacités de surmonter le cumul d’entraves consécutives à cet état de crise quiescente dont nous scrutons de manière obsessionnelle les prochains soubresauts?

La communication erratique des instances publiques n’est pas pour rassurer ou convaincre, y compris lorsqu’elle recourt au registre des prescriptions évoluant selon les circonstances entre un discours moralisateur, des concessions inconséquentes et des injonctions paradoxales répressives.

Parier sur une décrue de la pression pandémique n‘est pas plus sage qu’attiser les peurs avec force d’évaluations statistiques, de courbes et de données prospectives sollicitant des interprétations circonstanciées antagonistes. Il conviendrait enfin d’admettre qu’il n’est pas une vérité incontestable et définitive pour étayer avec robustesse un processus décisionnel complexe, nécessairement évolutif et dépendant de facteurs peu maîtrisables pour autant qu’on puisse les identifier. Notre inquiétude est fondée et justifiée pour autant qu’elle renforce notre vigilance, notre aptitude à adapter nos réactions avec justesse et agilité.

De quels moyens s’est-on doté ces derniers mois pour développer et mettre en commun une culture permettant d’assumer et de vivre le provisoire, l’imprévu, les menaces ainsi que les fragilités sociales en s’adossant à nos valeurs, voire en les enrichissant d’un premier retour d’expériences souvent exemplaires ? Quelle audience a-t-on accordée aux réflexions échangées à travers des tribunes, des articles ou des interventions dans les médias, sans que pour autant les instances publiques ne prennent l’initiative d’en débattre avec sérieux ? Comme si elles détenaient un savoir dont elles étaient à ce point assurées qu’il les autorisait à refuser la moindre concession au dialogue, en dehors des cénacles ou de quelques instances d’expertise utilisées selon les besoins. Ne serait-ce que pour sauver les apparences, l’opportunité d’un grand débat national comme celui lancé le 15 janvier 2019 pour assoupir le mouvement des gilets jaunes a été abandonnée au «monde d’hier». Une telle initiative aurait pu donner à penser qu’un échange aussi direct était possible et nécessaire. Occasion manquée dans ces temps de soupçons et de crise des légitimités, échec du postconfinement.

Certains de nos «héros du quotidien» ont considéré que le rituel de 20 heures, au cours du confinement, versait dans une sorte de célébration qui n’avait pas lieu d’être. Car c’est dans la simplicité et avec humilité qu’ils n’avaient pas renoncé à exercer leurs missions alors que d’autres ont déserté. Leurs engagements étaient constants, au nom de principes qu’ils honorent dans leurs métiers ou dans leurs investissements citoyens et associatifs. Certes, dans le contexte pandémique ils prenaient une signification jusqu’alors incomprise et négligée. A travers des hommages insistants, nos politiques leur ont concédé une reconnaissance qui leur avait été souvent refusée jusqu’alors. 

Ils nous étaient devenus en quelque sorte indispensables ; du moins les circonstances avaient dévoilé et démontré cette évidence. Le sens du bien commun était effectivement incarné et vécu dans les espaces les plus retirés et parfois les plus oubliés de notre République. Cette considération publique aurait été crédible si elle n’avait pas été restreinte à des discours convenus, à quelques images symboliques du 14 juillet ou à l’affectation de primes salariales.