Aucun service de l’État n’ose dénoncer les fraudeurs

Les sociétés de téléphonie cellulaire, toutes ou presque, ont fait de fausses déclarations sur leurs chiffres d’affaires en 2017. La conséquence est la minoration des recettes de l’État. L’observation est reprise dans le document annexe 4 de la loi de Finances 2018.

 

Le document en question est muet sur les noms des entreprises incriminées ainsi que sur les montants. Selon des sources, elles constituent un puissant lobby, ces opérateurs réseau de la place. L’opinion se souviendra du temps où Augustin Matata Ponyo était 1ER Ministre. Jamais le gouvernement n’a osé citer nommément l’entreprise qui avait opéré une évasion fiscale de 10 millions de dollars. Même l’inspecteur de la Direction générale des impôts (DGI) qui avait débusqué l’opération frauduleuse, s’était imposé un silence de cimetière devant la presse lorsqu’il a été gratifié d’un véhicule 4×4 pimpant neuf. 

Le secrétariat général du ministère des Postes, des Télécommunications et des Nouvelles technologies de l’information et de la communication et la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et des participations (DGRAD) ont d’ailleurs fait part de leur manque de « moyens de contrôle et d’investigation auprès des opérateurs de télécoms ». Les assignations minimales des PT&NTIC pour l’exercice 2017 étaient de l’ordre de 133 418 819 494 francs. Mais à mi-exercice, la DGRAD qui encadre également les recettes du secteur des télécoms, ne disposait que de 31,85 % des sommes escomptées. À fin décembre 2017, les PT&NTIC devraient avoir réalisé près de 60 % de leurs assignations. 

La DGRAD fait part de « l’inadaptation du personnel à l’évolution des NTIC, le manque de formation des agents taxateurs sur la complexité analytique du secteur des télécoms… absence de missions de contrôle mixte DGRAD/PT&NTIC ».

Licence 4G à USD 36.5 millions 

Pour l’exercice 2018, les prévisions des recettes des PT&NTIC encadrées par la DGRAD sont de 125 167 479 999 francs, soit 69 023 647 dollars au taux budgétaire de 1 813.4 francs le dollar. La régie financière en charge de la parafiscalité soutient avoir obtenu des assurances du gouvernement que la licence de 4ème génération se vendra à 66 132 500 000 francs, soit environ 36,5 millions de dollars. Pour rappel, la licence 3G a été vendue à 15 millions de dollars contre 110 millions d’euros (environ 143 millions de dollars) au Nigeria.

Autre régie financière, la Direction générale des douanes et accises (DGDA), compte percevoir, pour l’exercice 2018, quelque 159 597 268 301 francs, soit 88 009 964 dollars au taux budgétaire ci-haut évoqué des droits d’accises sur les télécommunications. Le principal fait générateur de recettes du secteur est l’utilisation des crédits de communication. Convaincue de la triche qu’appliquent, depuis des lustres, les concessionnaires GSM de la place, la DGDA annonce l’organisation d’un audit des sociétés des télécommunications. L’opération devrait coûter 20 milliards de francs à la régie financière. 

Ces cinq dernières années, quatre entreprises privées ont déjà mené des audits techniques et financiers auprès des entreprises des télécommunications de la place mais pour le compte de l’Autorité de régulation des postes et des télécommunications au Congo (ARPTC). En 2012, la firme franco-américaine, Egilis, a éventré le stratagème de Sim box appliqué par toutes les entreprises des télécoms privées opérant en RDC. Les Sim box occasionnent un manque à gagner de 12 millions de dollars mensuel, a révélé Egilis. Mais la firme n’a pu dénicher que 2 % des matériels de tromperie placés, en catimini, ça et là, par des opérateurs GSM. 

Janvier 2017, Business Compagny Consulting, filiale de la firme française Entreprise Telecom (ET) a conclu qu’au moins 61 millions de dollars ne sont pas déclarés chaque mois par les compagnies de téléphonie cellulaire opérant en RDC. Ce qui, au regard du système fiscal et parafiscal congolais, fait échapper, chaque mois, plus de 17,6 millions de dollars au Trésor public. Ce manque à gagner ne porte, en effet, que sur les appels entrants et sortants et aussi sur les texto ou SMS. La firme a d’abord travaillé sur une période de deux mois sur deux entreprises GSM distinctes. Juillet et août 2016 pour Vodacom, et août et septembre 2016 pour Airtel. Ces deux sociétés n’ont déclaré chacune que moins de 55 millions de dollars des revenus réalisés, faisant perdre sur ces montants plus de 32 millions de dollars au Trésor public. 

Pareil pour le « Libanais » Africell, qui a caché plus de 10 millions de dollars, privant ainsi le Trésor public de ses 3,2 millions de dollars. Contrairement à Egilis qui s’est appesanti quasi exclusivement sur les appels entrants, Business Compagny Consulting soutient que la fraude est beaucoup plus grande sur les appels domestiques qui représentent 90 % du trafic des opérateurs en télécommunications. Le système fiscal congolais étant déclaratif, chaque entreprise est tenue de déclarer elle-même le volume de ses transactions. Or, le contrôle effectué par Business Compagny Consulting révèle que les volumes des minutes et des SMS souvent déclarés par ces entreprises de téléphonie cellulaire ne correspondent pas aux données réelles et sont en réalité minorées. 

Le 30 janvier 2018, le ministre des PT&NTIC, Emery Okundji, a désigné, par arrêté, un nouveau contrôleur, African General Investistment Limited (AGI). Qui est chargé de l’installation et de l’exploitation d’un système de contrôle des flux téléphoniques des réseaux des opérateurs de télécoms en RDC. Le 5 février 2018, Okundji a pris un autre arrêté portant création du point d’échange Internet national de la RDC. En pratique, il consiste en la mise en place d’un mécanisme de contrôle des flux téléphoniques internes des réseaux de télécommunications en RDC. D’après le directeur de cabinet du ministre des PT&NTIC, John Aluku, les deux arrêtés ont le mérite de permettre aux régies financières de contrôler efficacement les flux de trafic local et maximiser les recettes des télécoms. 

Selon les explications données à la presse, la mise en place d’un dispositif de vérification automatique empêcherait toute tentative de minoration du flux téléphonique tant décriée. Rien n’indique que l’entreprise qui serait débusquée serait sanctionnée comme cela se fait sous d’autres cieux. Orange/Cameroun en sait quelque chose. L’opérateur public Camtel a, en effet, coupé début octobre 2017 la connexion d’Orange pour non-paiement de ses factures, quelque 1,7 milliards de FCFA. Camtel a décidé de rétablir les services d’Orange/Cameroun sur la bonne foi de l’engagement qu’il a pris à régler cette facture dans les 48 heures. « Le Cameroun étant un État de droit, personne, en l’occurrence aucune entreprise, ne doit se considérer, ou agir comme étant au-dessus de la loi, quels que soient les moyens de pression dont elle peut disposer », a soutenu un membre de l’Autorité de régulation des télécoms camerounaise. Pareille déclaration passerait, en RDC, pour un appel à la révolution !