Bientôt une loi pour protéger les Pygmées de RDC ?

La République démocratique du Congo (RDC) est en passe de faire une avancée considérable dans la protection des droits de l’homme. Une loi portant des principes fondamentaux relatifs aux peuples autochtones pygmées vient d’être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale congolaise avec le soutien de membres de la société civile et de personnalités politiques. Dans un pays où les droits des Pygmées sont historiquement bafoués, l’initiative est d’importance.

En préparation depuis plusieurs années, le texte entend hisser le pays à l’égal de ses voisins en matière de protection juridique des droits des populations indigènes. La République du Congo voisine a adopté en 2011 une loi sur la promotion et la protection des droits des peuples pygmées, tandis que la République centrafricaine est devenue, en avril 2010, le premier pays africain à ratifier la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail sur les peuples indigènes et tribaux.

La RDC est un des pays du continent africain les mieux dotés en ressources naturelles. On y trouve des terres rares mais aussi de l’uranium, de l’or, des diamants et le second domaine forestier tropical au monde. Le pays abrite aussi entre 250 000 et 600 000 Pygmées, vivant un mode de vie traditionnel, souvent loin des considérations économiques de rentabilité et de productivité.

Une mobilisation civile sans précédent

La nécessité d’une loi s’est imposée suite à la mobilisation d’acteurs de la société civile congolaise contre un projet de la Banque mondiale ayant pour but l’exploitation des richesses forestières de RDC. Pour relancer l’économie d’un pays ravagé par trente-deux ans de dictature et quinze ans de guerre civile, la Banque souhaitait promouvoir l’exploitation du bassin du Congo, et ce sans considérer l’existence ancestrale de populations autochtones habitant, chassant et cultivant ces forêts. Les acteurs de la mobilisation, regroupés en association, ont demandé l’intervention du Panel d’inspection de la Banque mondiale. Le premier prêt de 15 millions de dollars, comportant un aspect « forêt », accordé en 2002, et le second prêt, dit « d’appui transitoire à une opération de crédit au redressement économique », accordé en 2005, étaient conditionnés à certaines réformes politiques et forestières en RDC. Les critiques se sont concentrées sur le manque d’implication des communautés locales dans le zonage forestier et sur le risque de violation des droits des peuples indigènes. En 2007, le Panel a conclu au manquement de la Banque à respecter ses propres standards de protection des populations.

Permettre aux Pygmées d’accéder aux ressources du pays

La mobilisation sans précédent qui a permis le recul de la Banque mondiale a trouvé un nouveau souffle dans la volonté d’intégrer le droit des peuples autochtones pygmées dans les textes de loi nationaux. Dans un pays où le Pygmée n’est pas considéré comme l’égal du Bantou, ce projet pouvait sembler utopique. Après la création de la Dynamique des groupes de peuples autochtones (DGPA) et plusieurs années de lobbying soutenues par des organisations étrangères comme la Rainforest Foundation Norway, le projet semble se concrétiser. En juillet 2014, un texte a été déposé à l’Assemblée nationale.

Réaffirmant les droits élémentaires des populations pygmées, le projet de loi va plus loin en proposant une protection des pratiques médicinales, de l’artisanat, des spectacles ou de la littérature orale de ces peuples. Elle entend aussi adresser une question centrale en RDC, celle du droit à la terre et aux ressources naturelles. Privés de terres, les Pygmées ne jouissent pas d’immenses richesses naturelles congolaises et sont souvent déplacés de force de leurs territoires pour laisser place à des concessions minières.

Les obstacles à cette loi ont été nombreux et menacent toujours son adoption. Comme le précise l’honorable Bruno Lapika, représentant du district de Feshi dans la province de Bandundu et soutien de la loi, celle-ci sera très probablement amendée. La peur des autorités de voir l’émancipation des populations autochtones constitue une barrière importante, doublée par celle des exploitants forestiers craignant leur éviction en cas d’adoption de la loi. Certaines organisations de conservation de la nature refusent aussi aux Pygmées leurs droits sur les forêts ancestrales aujourd’hui protégées. La création, dans les années 1970, du parc national de Kahuzi Biega par l’Institut congolais pour la conservation de la nature a conduit à l’expulsion de nombreuses populations indigènes.

Tensions persistantes entre Bantous et Pygmées

Patrick Saïdi, coordinateur national de la DGPA, ainsi que l’ensemble des acteurs de la mobilisation reconnaissent cependant la difficulté de changer les traditions. La loi ne crée qu’un cadre légal en faveur des peuples autochtones, mais son effectivité dépendra des mécanismes de promotion de la cohabitation pacifique entre les groupes ethniques. Le chemin est donc encore long avant une acceptation mutuelle entre Bantous et Pygmées. L’adoption de cette loi serait néanmoins une première dans un pays profondément marqué par les clivages ethniques instrumentalisés par les politiques.

Cette avancée juridique est une première réponse et ne pourra être envisagée sans une éducation des populations à ce sujet. Des violences sont encore à regretter entre miliciens pygmées et groupes armés bantous et envers les défenseurs des droits de l’homme, particulièrement dans la riche province minière de l’ex-Katanga. Le mois dernier, plusieurs prises d’otages et confrontations mortelles ont eu lieu dans ce qui est maintenant surnommé le « triangle de la mort », s’étendant sur les provinces nouvellement créées du Haut Katanga, du Haut Lomami et du Tanganyika. La situation sécuritaire précaire pousse à l’adoption d’une loi pour garantir une cohabitation pacifique. Nous ne pouvons que soutenir cette initiative exemplaire et espérer qu’elle impacte durablement les droits de l’homme en République démocratique du Congo.

Raphael Deberdt est étudiant à Sciences-Po Lyon et à Stanford University en études africaines. Il a travaillé en RDC au sein de la DGPA (Dynamique des groupes des peuples autochtones).