Corruption : le FMI exige des réformes de grande ampleur

Félix Antoine Tshisekedi vient de conclure sa première tournée aux États-Unis en tant que nouveau président de la RDC. L’entretien avec la directrice du FMI est vu comme un des aspects importants de cette visite, après la rupture de la coopération en 2012.

LE FONDS monétaire international (FMI) serait prêt à travailler avec les nouvelles autorités de la République démocratique du Congo. De l’avis des experts, le principal grief du Fonds à l’encontre des autorités congolaises demeure la corruption et ses corollaires, à savoir les contrats léonins, la dilapidation des deniers publics, etc. Depuis les États-Unis, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo (FATSHI), le chef de l’État, a déclaré la guerre à la corruption et à la détérioration cyclique du climat des affaires en RDC. Des propos qui rassurent dans les milieux des investisseurs étasuniens, impatients de faire le rush qui leur permettraient de faire leur entrée dans l’ex-Zaïre comme avant les pillages de 1991 et 1993. 

Mais Fatshi va devoir combattre l’hydre, le fabuleux serpent de la mythologie à plusieurs têtes qui renaissaient dès qu’on lui en coupait une. Selon le FMI, la corruption mine la croissance économique, les investissements et les recettes fiscales. Et le Fonds s’est engagé à s’y attaquer dans le monde. Il a adopté à cet effet un nouveau cadre réglementaire destiné à évaluer de manière « plus systématique » la corruption dans les 189 pays membres. Ce nouveau cadre, approuvé par le comité directeur du FMI le 6 avril 2018, autorise les experts de l’institution à « évaluer de manière régulière » la nature et la gravité de la corruption. Cette approche a été mise en œuvre dès le 1er juillet de l’année dernière. 

« Nous savons que la corruption affecte les pauvres (…), sape la confiance dans les institutions », a commenté, pour sa part, Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, dans un blog. L’accent est mis sur la gouvernance de façon globale, et pas seulement sur la corruption car les faiblesses de gouvernance ouvrent généralement des portes à la corruption. Le FMI souligne que la lutte contre la corruption ne devrait pas se limiter à envoyer les coupables en prison pour être efficace : « Sa viabilité sur le long terme passe par des réformes réglementaires et institutionnelles de grande ampleur pour améliorer la transparence et la responsabilisation ».

Fait nouveau, le FMI entend s’attaquer également aux acteurs privés, que ce soit les entreprises privées qui se livrent à des pratiques de corruption ou qui contribuent au blanchiment d’argent. Pour ce faire, il encourage les pays membres à « se prêter volontairement à une évaluation de leurs dispositifs juridiques et institutionnels » dans le cadre des missions annuelles de surveillance du FMI. Il s’agit de déterminer s’ils criminalisent et jugent le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires étrangers, et s’ils disposent de mécanismes adéquats pour éradiquer le blanchiment et la dissimulation d’argent sale.

Évaluation et surveillance

Fatshi a été donc reçu le vendredi 5 mars par Christine Lagarde au siège du Fonds à Washington D.C. Il a été question au cours de cet entretien de la reprise de la coopération entre la RDC et cette institution financière internationale. « La mission du FMI est d’aider les États membres de l’institution (…). Je suis ravie qu’on ait pu renouer la relation et mettre en place ce partenariat, travailler ensemble à l’amélioration de la situation économique et à la situation des populations », a confié la directrice générale du FMI à Top Congo FM à l’issue de l’entrevue.

Mais, cette reprise envisagée de la coopération ne se fera pas sans conditions. Il y a des préalables à remplir. « Nous n’avions pas encore fait de revue commune de l’économie du Congo. On va commencer par remonter les manches, se mettre au travail et déterminer la situation économique ensemble pour faire ce qu’on appelle en langage FMI ‘un article 4’, c’est-à-dire un audit de l’économie de la RDC qui va nous permettre de savoir où sont les forces et les faiblesses, où les politiques budgétaires peuvent être améliorées, où la situation peut être améliorée sur la protection sociale des populations. Et on donnera les questions appropriées à Monsieur le président et à son gouvernement », a encore déclaré Christine Lagarde.

Le président Tshisekedi est rentré au pays, mais Henri Yav Mulang, le ministre des Finances, est resté à Washington pour entamer les discussions. « Ensuite, on verra si on peut ou on doit financièrement, à la demande de Monsieur le président et de son gouvernement, aider sous forme de programme. On n’a pas besoin de programme pour se mettre au travail. On commence déjà lundi (…). Je crois que le ministre des Finances et certains conseillers du président restent ici à Washington. La mission du FMI chargée de la RDC est mobilisée et prête à travailler dès lundi matin », a ajouté Christine Lagarde.

Sur cette base, rapporte un observateur, des consultations formelles en vue avec le Fonds pourraient être engagées très rapidement. En effet, explique-t-il, Kinshasa est désormais en capacité de négocier avec le FMI, au regard des évolutions économiques, financières et politiques dans le pays. « Il ne serait pas étonnant de voir dans les prochains jours une mission de cette institution au pays pour relancer des discussions formelles », insiste-t-il. 

Les exigences du FMI

La RDC souhaite vivement cette reprise de coopération, au moment où elle est en proie à des difficultés de politique monétaire. Aux assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI à Washington en 2017, Henri Yav Mulang avait peint le tableau de la situation économique et politique générale du pays, chiffres à l’appui. Le FMI s’était réjoui de l’évolution positive de la situation générale. Et en 2018, malgré la tenue des élections sur fonds propres du gouvernement, le ministre des Finances a su éviter au pays le dérapage monétaire.

On le sait, tout programme avec le FMI est assorti des exigences. En novembre 2016, une mission du FMI est venue à Kinshasa, à l’invitation du gouvernement. But de la mission : faire la revue des indicateurs du cadre macroéconomique (taux de croissance, taux d’inflation, taux de change…). Cette mission était intervenue au moment où, sur le plan international, plusieurs événements se sont succédé : baisse des prix des matières premières, effritement de la croissance au niveau mondial… Tout cela a eu un impact sur la situation macroéconomique de la RDC. Du rapport d’évaluation de cette mission dépendait en quelque sorte la décision du FMI de donner ou non à la RDC sa « lettre de confort ». Le ministre des Finances avait confié à la délégation des experts du FMI que le gouvernement espérait beaucoup de son rapport pour obtenir la fameuse lettre de confort. Grâce donc à ce document, la RDC pouvait espérer bénéficier des appuis budgétaires des institutions financières multilatérales. En effet, le gouvernement avait tant besoin de ces appuis budgétaires pour financer les élections et des projets de développement social. 

Dans un contexte de crise économique et financière tant sur le plan national qu’international, conséquence de la baisse des prix de matières premières, principalement le cuivre et le pétrole, les appuis budgétaires sont indispensables à tous points de vue. Étant donné que la RDC tire l’essentiel de sa croissance économique des ressources minières. D’où, l’exigence de la diversification de son économie. 

Dans un rapport de juin 2014, le FMI s’était félicité des progrès économiques accomplis par la RDC. Toutefois, il avait émis des réserves sur un certain nombre de points jugés « essentiels », par exemple, la restructuration de la Banque centrale du Congo (BCC), avant d’engager les négociations pour un nouvel accord formel avec le gouvernement congolais. Comme en 2009, lorsqu’il fallait négocier le Programme économique du gouvernement (PEG 2). Le FMI a posé de nouvelles exigences, notamment l’amélioration de la gouvernance et de la transparence dans la gestion des ressources naturelles ainsi que le renforcement du contrôle des entreprises publiques du secteur minier. C’était la Générale des carrières et des mines (GECAMINES) qui était visée dans ce rapport. Et le rapport publié à l’époque par le Centre Carter sur la société publique minière (notamment le supposé manque de transparence dans un contrat minier avec Straker International, un groupe américain domicilié dans les îles vierges) n’était pas de nature à plaider la cause du gouvernement. Le FMI en a été frustré et c’est pourquoi la conclusion d’un nouveau programme de trois ans a été suspendue à l’assainissement du secteur minier. En novembre 2018, la GECAMINES a contre-attaqué la campagne de sape orchestrée par des ONG internationales, dont le Centre Carter, contre elle.