Covid-19 : les dégâts sur les entreprises à Kinshasa, Lubumbashi et Goma

Le FMI estime que la pandémie de Covid-19 coûtera à l’économie mondiale 375 milliards de dollars par mois, et prévoit une perte cumulée sur deux ans de plus de 12 000 milliards de dollars.

LA PANDÉMIE de nouveau coronavirus a franchi la barre des 750 000 morts dans le monde, sur plus de 20 millions de cas déclarés depuis sa découverte en Chine en décembre 2019. Selon le Dr Tedros, directeur général de l’organisation mondiale de la santé (OMS), le monde a déjà dépensé des milliards pour faire face aux conséquences à court terme de la pandémie de Covid-19. « Les pays du G20 ont à eux seuls ont mobilisé plus de 10 000 milliards de dollars en mesures de relance budgétaire pour traiter et atténuer les conséquences de la pandémie », déclare-t-il. Tout en rappelant que « c’est déjà plus de trois fois et demie le montant que le monde a dépensé dans l’ensemble de la réponse à la crise financière mondiale ». 

L’enquête de l’INS

Vivre dans une économie mondialisée implique que les pays dépendent les uns des autres pour les biens et les services, le transport et l’approvisionnement. « Si nous ne nous débarrassons pas du virus partout, nous ne pourrons reconstruire les économies nulle part », met en garde le Dr Tedros. Et d’ajouter : « Plus vite nous mettrons un terme à la pandémie, plus vite nous pourrons faire en sorte que les secteurs interconnectés au niveau international, comme les voyages, le commerce et le tourisme, puissent véritablement se redresser. »

La République démocratique du Congo, à l’instar des autres pays du monde, est touchée par la pandémie de coronavirus. La crise du Covid-19 menace de frapper de manière disproportionnée les pays, et les mesures utilisées dans le processus d’endiguement de la transmission de la maladie sont susceptibles de créer des chocs économiques majeurs. 

Alors que d’autres régions du monde ont déjà commencé à subir les chocs socio-économiques, l’Afrique, qui compte le moins de cas enregistrés que les autres continents, devrait également subir le même sort si cette maladie contagieuse n’est pas entièrement endiguée à temps pour permettre aux pays de reprendre normalement les activités économiques, estiment des observateurs.

Dès le 24 mars dernier, les autorités de la RDC ont pris la mesure de la pandémie en déclarant l’état d’urgence sanitaire dans le pays. Avec comme conséquence, entre autres, la réduction de l’activité dans presque tous les segments de la vie socio-économique. Le confinement de la commune de Gombe, poumon économique de la ville de Kinshasa et la fermeture des frontières internes et externes ont causé des dégâts à l’économie nationale. 

Rythme d’activité

L’Institut national de la statistique (INS) a initié les études d’impacts du Covid-19 sur les prix à la consommation, les ménages et les unités économiques, avec l’appui technique et financier de la Banque mondiale. Les premiers résultats de cette enquête portent sur les effets de la pandémie sur les unités économiques au mois de mai. 

La quasi-totalité, soit 99,3 %, des unités économiques de Kinshasa, Goma et Lubumbashi respectent les mesures barrières instaurées par le gouvernement pour lutter contre la propagation du Covid-19. Près de deux tiers des entreprises ayant connu une cessation d’activité au cours du mois de mai, l’ont été à cause des mesures gouvernementales de lutte contre la pandémie de Covid-19. De manière globale, près d’une unité économique sur cinq n’a pas exercé d’activité pendant le mois de mai. 

Le chiffre d’affaires d’environ 90 % des entreprises des trois villes ont baissé depuis février 2010. Les entreprises les plus touchées ont été celles de la ville de Goma, avec 98 % des entreprises ayant connu une baisse de leur chiffre d’affaires.

Moins de 6 % des entreprises de Kinshasa, Goma, Lubumbashi ont mis en congé technique des employés depuis avril. À Goma, par exemple, 13 % des unités économiques ont donné des congés techniques à leurs employés, dont 59 % sont des femmes. Aucune femme travaillant dans les 4,3 % des unités économiques qui ont utilisé les congés techniques comme moyen de faire face à la baisse d’activité, n’a été touchée par cette mesure à Lubumbashi.

L’enquête de l’INS note que l’économie nationale, très exposée aux chocs extérieurs, est en ralentissement depuis 2019. Entre 2018 et 2019, la croissance économique est passée de 5,8 % à 4,4 %, du fait de la baisse des cours des matières premières, notamment du cobalt et du cuivre qui représentent plus de 80 % des exportations de la RDC.

Près de la moitié des unités économiques ont enregistré une baisse de leur chiffre d’affaires en 2019 par rapport à 2018, soit 47,3 %. Comparé à Kinshasa et Lubumbashi, plus d’un tiers des unités économiques de Goma ont connu une hausse du chiffre d’affaires en 2019 par rapport à 2018. Tous les secteurs de l’activité économique (primaire, secondaire, tertiaire) ont été proportionnellement touchés par le ralentissement. Toutefois, le secteur informel a plus subi la baisse d’activité comparé au secteur formel.

Au mois de mai, renseigne l’INS, il y a une baisse du rythme de l’activité dans près de 90 % des unités économiques qui ont eu à travailler. Le commerce de détail, de même les unités économiques dirigées par des femmes ont été les plus touchés. En effet, 19,8 % des celles-ci ont dû arrêter leurs activités, contre 17,9 % d’unités économiques dirigées par des femmes.

Quelque 19 % des unités économiques ont été en cessation d’activité en mai dont 65,2 % suite aux mesures gouvernementales de lutte contre la pandémie. Il s’agit principalement de l’observation des mesures de confinement et des restrictions imposées par le gouvernement. Ce qui a entrainé pour beaucoup d’unités économiques des difficultés de trésorerie. Malgré les contraintes, les unités économiques ont travaillé en moyenne 12 heures par jour, une durée supérieure à la durée légale du travail.

Avec la pandémie, la situation ne s’est guère améliorée. Entre mai et avril, la baisse du volume d’affaires a touché plus de 70 % des unités économiques, qu’elles soient formelles ou informelles, grandes, moyennes, petites ou très petites entreprises. Conséquemment à la baisse du rythme de l’activité économique, le chiffre d’affaires des unités économiques a fortement chuté. Près de 9 unités sur 10 ont vu leur chiffre d’affaires. 

Le secteur secondaire (95 %) a été le plus touché, suivi du secteur tertiaire (89 %). Étant donné que la Chine fait partie de la chaîne d’approvisionnement mondiale pour les industries et entreprises du secteur secondaire, les fermetures d’usines ont perturbé la chaîne d’approvisionnement pour les entreprises multinationales avec des retards, des pénuries de matières premières, une augmentation des coûts et une réduction des commandes affectant l’économie mondiale.

Les très petites entreprises opérant principalement dans l’informel ont été très affectées par la baisse du chiffre d’affaires. Ces unités économiques, dont la plupart exercent dans le domaine du commerce, sont très exposées aux chocs dans les circuits d’approvisionnement. Le chiffre d’affaires des unités économiques dirigées par des femmes a été moins affecté que celui des unités dirigées par des hommes. En effet, opérant principalement dans la vente de détail de produits alimentaires de première nécessité, le renchérissement des prix a atténué le risque.

Embauches et licenciements

De façon générale, l’enquête de l’INS révèle qu’il n’y a pas eu de changement majeur de la main-d’œuvre dans les unités économiques. Seulement 1,9 % des unités économiques enquêtées a embauché au moins 1 travailleur rémunéré, essentiellement des femmes. Goma a enregistré le plus fort taux d’embauche, soit 3,2 %, contre 2 % pour Kinshasa. Moins de 10 % des unités économiques ont recouru aux journaliers ou aux travailleurs occasionnels.

L

’INS note qu’en période de crise, pour faire face à la baisse du rythme de l’activité économique, les entreprises font usage du licenciement économique pour atténuer les effets sur la trésorerie. Seulement 5,9 % des unités économiques ont mis en congé technique leur personnel dont 19,5 % de femmes. Pour rappel, le gouvernement a interdit tout licenciement massif fondé sur les mesures de confinement. Le constat est que ce sont les secteurs primaire et secondaire qui ont subi la plus forte baisse de leur personnel (plus de 18 % mis en congé technique). Concernant Goma, 13 % des unités économiques ont mis en congé technique leur personnel, dont 50 % sont des femmes, alors que Kinshasa et Lubumbashi ont enregistré des proportions de femmes de 5 %.

Environ 29,9 % des unités économiques ont connu une baisse de leur durée de travail. Pour plus de 62 %, le temps de travail est resté stable, et a augmenté seulement dans 4,1 % des cas. Il y a eu plus de démissions dans les unités économiques dirigées par les femmes. En prévision de l’activité économique en juin, 8,6 % des unités économiques pensaient que leur personnel allait baisser alors que 5,3 % pensaient le contraire. 

Selon l’INS, les unités économiques n’anticipent pas une amélioration de la situation. La majorité table sur une stagnation de la situation. Selon les branches d’activités, des unités économiques exerçant dans l’agriculture (84,6 %), la restauration (, 66,7 %) et les bars (95,6 %) ont connu une baisse de leur temps de travail, à cause de l’état d’urgence sanitaire. De même, pour les unités économiques exerçant dans la santé (87,8 %) et la communication (81,5 %), le temps de travail est resté stable.

Les salaires

Selon l’enquête de l’INS, sur l’ensemble du pays, quelle que soit la ville, le salaire de départ d’un travailleur peu qualifié serait aujourd’hui inférieur à celui de 2019. Par contre pour un travailleur hautement qualifié, le salaire reste sensiblement le même qu’en 2019. L’INS note que la réduction des salaires du personnel est une des réponses que peut choisir une entreprise face à un choc sur l’activité économique. Dans le cas de la RDC, l’interdiction du licenciement pour cause de confinement aurait pu conduire une bonne partie des entreprises à réduire les salaires de leurs employés. Très peu d’unités économiques ont utilisé la réduction de salaire comme mesure d’atténuation des effets de la crise sur leur activité. 

Dans l’ensemble, 7,4 % des unités économiques ont réduit le salaire de leurs employés en mai, avec une prédominance à Lubumbashi (près de 13 %). Les salaires ont été réduits de près de la moitié (47,6 %) dans l’ensemble et de plus de la moitié à Kinshasa (54,2 %). Quelle que soit la ville, la plupart des unités économiques ont réduit de moitié les salaires. Les unités économiques dirigées par les femmes ont le plus réduit les salaires avec un taux de réduction moyen de 66 %. Toutefois, le  taux de réduction le plus pratiqué par les entreprises indépendamment du genre du promoteur est de 50 %.

Comparé à la période d’avant l’état d’urgence, 9 unités économiques sur 10 ont connu une baisse du chiffre d’affaires. L’activité économique à Goma (98,1 %) a été la plus touchée des trois grandes villes. 

Sa position géographique a beaucoup joué du fait de la fermeture des frontières avec les pays voisins qui a réduit considérablement les échanges. Heureusement, cette baisse tend à se stabiliser. Entre avril et mai, 16 % des unités économiques à Lubumbashi ont eu un chiffre d’affaires stable.

À l’image du chiffre d’affaires, les bénéfices des unités économiques ont fortement baissé comparé à la période d’avant crise. Goma reste toujours la plus affectée. Les unités économiques dirigées par des femmes ont été légèrement moins affectées au niveau de leur chiffre d’affaires que celles des hommes bien que de manière globale, la baisse est très forte. Environ 5 % des unités économiques dirigées par les hommes ont connu une hausse de leurs chiffres d’affaires par rapport à la période de février.

À Kinshasa, Lubumbashi et Goma, les entreprises sont à plus de 80 % pessimistes sur les bénéfices de l’année 2020. En effet, près de 93 % des unités économiques de la ville de Goma prévoient une baisse de leur bénéfice par rapport à 2019. À Lubumbashi, les unités économiques sont les plus optimistes avec 18 % qui s’attendent au même bénéfice que celui de l’année 2019 et 14 % à une hausse.

Dans l’ensemble, 93 % des unités économiques ont été affectées par la Covid-19. Les acteurs du secteur informel sont les plus touchés en comparaison avec le secteur formel. De même, 94 % des unités économiques dirigées par les femmes ont été affectées par la crise sanitaire. La proportion d’entreprises affectées par la crise économique est décroissante selon le niveau d’instruction du dirigeant. La totalité des unités économiques dont le chef est sans éducation ou simplement alphabétisé sont touchées. 

Les dirigeants d’unités économiques sans éducation ou de niveau primaire sont les plus vulnérables car opérant dans le secteur informel et dans des entreprises individuelles. Il semble que les dirigeants ayant un niveau d’éducation plus élevé aient mis en place un système permettant à leurs entreprises d’être moins exposées, qu’elles soient des PMUE ou des TPUE.

Baisse de demande

Quelle que soit la ville, l’impact du Covid-19 s’observe principalement sur la baisse de la demande de produits et services fournis par les unités économiques. Cette baisse pourrait s’expliquer par la hausse des prix du fait de la dépréciation du franc congolais et la baisse du pouvoir d’achat des ménages. Bien que n’étant pas mutuellement exclusifs, l’impact de la crise sanitaire sur l’activité est reflété également par une augmentation des prix pour les produits et services (27,5 %), la fermeture des marchés et magasins (près de 21 %), la circulation restreinte des travailleurs (17,4 %) et la fermeture forcée des entreprises (13,13%). Seuls 9 % des unités économiques ont expérimenté une hausse des prix des matières premières. Ce phénomène a été plus observé à Goma, soit 2 unités économiques sur 10. 

À Lubumbashi, après la baisse de la demande, c’est la circulation restreinte des travailleurs qui a beaucoup affecté négativement l’activité économique. Les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ont fortement affecté le pourcentage d’employés qui ne pouvaient plus aller travailler. Dans l’ensemble, en moyenne près de 11 % des employés n’ont pas pu se rendre à leur lieu de travail. Ce pourcentage est nettement plus élevé à Goma (près de 30 %) qu’à Kinshasa (8 %) et Lubumbashi (5 %). À Kinshasa, c’est l’augmentation des prix des produits et services (38,7 %) et la fermeture de marchés et magasins (36,95 %) qui ont été observées le plus.

Dans l’ensemble, 45,3 % des unités économiques ont annulé leur projet d’acquisition des biens d’équipement. Cette stratégie d’atténuation du risque sur la trésorerie des entreprises a été plus utilisée à Goma (73,5 %). 

Pendant la pandémie, les problèmes financiers les plus importants sont le loyer, particulièrement à Lubumbashi, les salaires du personnel, plus accentué encore à Goma, le remboursement des prêts et le paiement des factures. En mai, les unités économiques ont perdu, dans l’ensemble plus de 44,1 % de leur chiffre d’affaires mensuel. La situation est identique pour les unités de Kinshasa (43,2 %) et de Lubumbashi (41 %). C’est à Goma que le pourcentage de la perte est plus importante (plus de 50 %).