Dans le BTP, «comment faire avec ce qu’on a déjà?»

La géographe Laëtitia Mongeard souligne l’ancienneté des pratiques de réemploi dans le secteur de la construction. Mais elle incite à aller plus loin.

Selon les Nations unies, la population mondiale, estimée à 7,7 milliards de personnes, pourrait atteindre 10 milliards d’habitants en 2050, dont deux tiers vivront dans un centre urbain. Comment édifier la ville pour rendre sa croissance possible et tenable compte tenu des matériaux disponibles ? La géographe Laëtitia Mongeard (1), postdoctorante à l’Ecole normale supérieure de Lyon au sein du laboratoire «Environnement ville société», qui a consacré sa thèse au rôle de la démolition dans la fabrique de la ville, explique le rôle du réemploi et du recyclage dans le secteur du bâtiment.

Comment les déchets constituent-ils une ressource dans le BTP ?

Les entreprises qui s’occupent de la démolition de bâtiments produisent des déchets en grande partie inertes, les gravats. 

En France, la quantité produite est équivalente à celle des déchets ménagers, de l’ordre de 30 millions de tonnes par an. Dans notre société, le rebut ou la matière qui n’a plus d’usage souffre d’une connotation négative. Or les gravats sont très souvent réutilisés : ils sont concassés et servent en sous-couche dans la construction de routes ou en terrassement.

S’agit-il d’un usage ancien ?

Très tôt dans l’histoire de la construction, on trouve des exemples de réemploi de matériaux. On entend couramment dans la profession qu’un bon chantier est un chantier qui équilibre ses déblais et ses remblais. 

Cette pratique consiste à se servir de ce qu’on a extrait à un endroit d’un chantier pour combler un vide à un autre endroit ou sur un autre chantier. A Lyon, où la démolition de bâtiments répond à une logique de rénovation urbaine, l’idée de démolir est associée à une reconstruction ou à un réaménagement du tissu urbain. Les déchets inertes que produit la démolition des structures bâties n’apparaissent donc pas comme problématiques en termes de pollution, de débouchés ; ils sont facilement valorisés.

Les gravats non pollués ne deviennent déchets qu’au moment où ils quittent le chantier. Avant, ils ont déjà pu être réemployés en remblais. Devenus déchets, leur valorisation se fait idéalement par le recyclage : les gravats sont concassés pour devenir une matière première secondaire. C’est là qu’ils se transforment en ressources et perdent définitivement leur statut de déchets. 

On garde cependant une trace de leur origine : il va être stipulé que ce sont des graves de démolition ou des graves recyclées. En premier lieu parce que l’usage fait des matériaux dépend de leur nature : ceux issus d’une structure bâtie ont des caractéristiques particulières.

Comment encourager la filière du BTP à aller plus loin ?

La prochaine étape serait de produire moins de déchets. Il y a un réel enjeu de prévention : comment faire avec ce qu’on a déjà ? Quelles innovations pour permettre plus de réemploi ? Ensuite, il faudrait mieux recycler et également mieux utiliser les produits recyclés. Or ces matières coûtent plus cher. Le réemploi peut représenter une prise de risque pour les maîtres d’ouvrage, en termes de gestion de chantier, de responsabilité : comment les accompagner pour le développer ?

(1) Elle participera à l’émission radio des rencontres «A l’école de l’anthropocène» le 30 janvier à 12 h 30. Lire aussi «Recyclage : dans le bâtiment, un modèle en chantier» de Sibylle Vincendon, dans Libération du 29 novembre.

Maïté Darnault correspondante à Lyon